La laîche et le livarot

La « laîche », ce grand roseau spontané des lieux humides, est depuis plus d’un siècle lié à la fabrication du livarot…

En 1980, Denis, diplômé de l’école de fromagerie de Mamirolle dans le Doubs, s’installe à la Houssaye à Boissey.

« Quand j’ai repris la fabrication du livarot, on n’utilisait plus de laîche. C’était seulement du papier : vert chez Desjardins, orange chez Graindorge. Yves Meslon avait été le dernier à utiliser  de la laîche autour de son fromage le cadichon. Il la  ramassait sur un étang à Montviette. »

« Le livarot est fait au lait écrémé. C’est un fromage maigre un peu comme le gauville fabriqué près de L’Aigle. Ce dernier faisait moins de trois centimètres de talon, alors que le livarot est épais, ce qui oblige à tenir la pâte.

J’ai repris la laîche, car je supposais qu’elle conservait l’humidité autour du fromage  et offrait un habitat aux micro-organismes. Le service des fraudes me l’a déconseillé. J’ai proposé des analyses sur la laîche sèche ; ils n’ont rien trouvé. »

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La laîche, en réalité le Typha latifolia ou massette ou « roseau totem », est le plus grand roseau des zones humides de Normandie. Sa fleur, un pompon brun foncé, était utilisée dans les bouquets secs et vendue chez les fleuristes.

Ses longues feuilles résistantes et souples avaient aussi servi à attacher les piles de camemberts, car  avant l’introduction des boîtes en peuplier  ils étaient simplement rangés dans des caisses en bois.

« Quand Renée ma grand-mère était jeune, elle a vu les camemberts en bottes attachés avec de la laîche, pour les amener sur les marchés. » Écots (14)

Préparer la laîche

Les fermiers ont d’abord utilisé la laîche qui poussait dans les fossés. Puis ils l’ont cultivée dans les mares. Armand se souvient que les vaches aimaient tellement la laîche qu’il a fallu planter des haies autour ou clôturer les mares.

Les plus anciens témoignent : « En septembre, on coupait la laîche sur la mare avec les voisins. Les femmes la nettoyaient et la calibraient. Mise en bottes, elle était pendue à sécher dans les greniers. » Montviette (14)

Images : La coupe de la laîche, Raymond Leprieur, 1988 ; Coupe de la laîche Montviette, 1954, photographie coll. Montviette Nature, Etiquette boîte à fromage de la ferme Leboucher, Montviette, vers 1920, coll. Montviette Nature.  

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Cette pratique abandonnée pendant quelques années est relancée par Denis : « Isidore Guilmin m’a montré. La pousse, je ne m’en occupais pas. Dans la deuxième quinzaine d’août, on la coupait à la serpe. Ensuite on l’effeuillait. On ne gardait que le vert, le beau roseau. Puis on la mettait dans le grenier en bottes.

Une fois sèches, on emmenait les bottes à madame Madeleine et chez les écaleuses.

Fernande travaillait aux caves chez Desjardins à Sainte-Marguerite-de-Viette et, les soirs d’hiver, elle emmenait ça à faire chez elle à Montviette. Elle utilisait un couteau pointu. Auparavant on écalait avec un morceau de buis taillé en pointe.

Carte postale Fromagerie Desjardins, Sainte-Marguerite-de-Viette (14), coll. Montviette Nature.


Encore aujourd’hui, on la fend en lanières que l’on gratte avec le couteau ou l’ongle du pouce pour enlever l’espèce de moelle, comme sur le jonc. On reforme ensuite la botte et on la plie en écheveau.

Plus tard, quand on en a besoin pour lier le livarot, on trempe la botte dans un seau d’eau et on déplie l’écheveau pour le travailler. »

Cette pratique devrait se développer puisqu’à compter du 1er mai 2017, le cahier des charges AOC (appellation d’origine contrôlée) et AOP (appellation d’origine protégée) impose l’utilisation de la laîche autour du livarot 4/4 d’un poids de 450 à 500 g.