Plantes magiques

Savoirs et superstitions

Au cours des enquêtes menées par Montviette Nature sur le patrimoine naturel en Normandie, les personnes interrogées ont raconté comment des plantes servaient à faire des blagues, soigner, faire peur, prévenir du mal et du malfait, deviner et même nuire…

Faire de mauvaises blagues en utilisant des plantes sauvages communes était le jeu des farceurs mais aussi des sorciers…

Avec les grandes herbes

Quand les gens circulaient chaque jour par les chemins de Normandie, ils se livraient parfois ou étaient victimes de cette farce : de chaque côté du chemin, on choisit de longues herbes que l’on       attache ensemble.

Alors au crépuscule, l’écolier qui rentre chez lui, la trayeuse ou l’homme de journée qui s’en revient du travail, se prennent les pieds dedans et  tombent.

"Baletière" et un peu sorcière, randonnée "Des bêtes et des gens", Montviette 2018
Se rendre invisible

On racontait aussi que l’on pouvait se rendre invisible !

Pour cela, il fallait fabriquer une potion, mais pas n’importe              laquelle.

Il fallait recueillir des spores de fougère quand elles se détachent de la fronde… mais avant qu’elles ne touchent le sol.

Cette récolte est presque impossible et le reste de la recette             demeure secret…

Des plantes pour soigner

Pour soigner les petits maux, passer le pipi au lit des enfants, tenter de guérir des bêtes malades, se débarrasser  des verrues, de l’eczéma ou de dartres

La fougère


« Pour passer le pipi au lit des enfants, mettre des fougères dans leur matelas. » Normandie
« Pour le fourchet, quand une vache boite, la faire piler sur un rond plantain. Le couper quand le pied est dessus. Puis faire sécher dans une épine de la haie. » Mittois, Montviette (14)

 

La plante à herber les veaux

« Il fallait herber les bêtes avec la plante à herber les veaux. Elle était dans le jardin cachée à cause des enfants, cultivée derrière la maison. Il fallait percer un trou dans l’oreille du veau, avec un fer rougi à blanc. La racine était grattée. On la gardait en place plusieurs jours. C’était les gamins qui       venaient la titiller plusieurs fois par jour. Il leur en venait gros comme ça. Le veau était sauvé ! Pareil avec les cochons. » Ronfeugerai (61)

Ellébore fétide en graines

 

Cerner les dartres

Cette recette retrouvée dans le tiroir du buffet de ses grands-parents fermiers entre 1920 et 1950 à Cussay (61) a été conservée et confiée à Montviette Nature par Monique.
« Demain matin à jeun, tu iras chercher 5 pousses d’Erable de l’année, les couper de manière que les petits rejetons qui se trouvent sur les pousses soient en forme de croix. Ensuite cerner la dartre plutôt en plus de grandeur qu’elle n’existe avec chacun des petits bois, les déposer tour à tour dans un petit sac, pendre le sac au-dessus de la porte où il passe le plus souvent, c’est-à-dire à la porte de votre cuisine.
Et dire ensuite cinq Pater et cinq Ave en l’honneur des cinq plaies de notre Seigneur Jésus-Christ. (Et toujours à jeun.)
Cerner avec la main droite du sens que le soleil tourne. »

……………………

« Trois pousses d’églantier ou trois pousses d’érable sur les dartres. Faire trois prières : trois Notre Père, trois Je vous salue Marie et trois Notre-Dame. J’avais attrapé ça sur les veaux. »  Écorches (61)

Passer les verrues

« Piquer la verrue principale avec la pointe d’une épine noire. Casser le rameau sans le détacher tout à fait. Il doit tenir encore par un petit morceau d’écorce comme un fil. Quand la branche est sèche, toutes les verrues sont parties. » Saint-Ouen-le-Houx (14)

« Couper la moitié d’une pomme de terre, la  poser sur la verrue,  reconstituer la pomme de terre et l’enterrer. Quand elle est pourrie, la verrue s’en va. » Sainte-Marguerite-des-Loges (14)

Erable champêtre
Prévenir et protéger

Prendre soin de sa maisonnée, protéger les bêtes et les gens, se prémunir des petits maux…
Autrefois, dans les fermes, on ne changeait pas les bêtes d’herbage le vendredi.

Pétales de rose

« Mon père faisait la pavée de la Fête-Dieu. Il prenait les roseaux d’une mare et plein de roses. Devant l’autel, on faisait une rosace, grande comme une assiette, qu’avec des roses. Le curé marchait sous le dais avec l’ostensoir. De petites filles avaient des  paniers de pétales de roses effeuillées. Elles les jetaient «  à l’ostensoir » sur le passage du curé qui bénissait les reposoirs. Après les vêpres, les gens ramassaient les pétales tombés au sol parce qu’ils étaient bénits. Ils les emportaient chez eux : ça protégeait la maison de la foudre. Au 15 août, après la procession avec les cierges, on emportait les cierges dans les maisons : on mettait ces flambeaux-là au pied du lit du mort. » Saint-Cyr-du-Ronceray, Cheffreville-Tonnencourt (14)

Prévenir et protéger 

Marron d’Inde

« Pour ne pas avoir d’hémorroïdes, mettre un marron dans sa poche. Le changer à la nouvelle saison et brûler l’autre. » Saint-Pierre-sur-Dives (14)

Buis
« Le jour des Rameaux on met du buis bénit dans les étables et les écuries. » Livarot (14)
«Quand vient l’orage, on asperge les pièces de la maison avec de l’eau bénite avec un rameau de buis bénit. »  Sainte-Marguerite-de-Viette (14)

Persil
« Le persil, il ne faut pas le repiquer ni donner des pieds. Accrocher une branche dans un arbre, il se sème tout seul. Il faut en ressemer tous les ans. La deuxième année, il ne faut pas s’en servir, il n’est plus bon. Il est devenu maléfique. » Ronfeugerai (61)

Prévenir et protéger 

Houx

« Pour protéger les animaux des maux de l’hiver et aussi pour ceux qui naissent pendant l’hiver, on mettait à la porte de l‘étable un bouquet, une gerbe ou couronne, faits de gui, de houx et de sureau. » Vire (14)
« Une feuille de houx et quelques grains de sel dans la baratte pour que le beurre prenne. »  Livarot (14)
« On suspend un bouquet de houx vert dans l’étable aux petits veaux. »  Asnières (27), Montviette, Notre-Dame-de-Courson (14)
« Pour soigner des cors aux pieds : prendre cinq ou sept pousses de houx, les pincer en leur laissant un morceau de pelure sur la tige. Il faut que la tige reste accrochée à l’arbre. Quand elles sèchent une semaine après, il n’y a plus de cors aux pieds. Ma voisine l’a fait. » Asnières (27)

Prévenir et protéger 

Chasse-diable

Millepertuis androsème ou « chasse-diable » : « Chaque été, ma grand-mère m’emmenait chercher une fleur jaune sur un talus. Elle disait que c’était pour parfumer son missel ». Thury-Harcourt (14)

Prévenir et protéger 

Ne pas manquer d’argent

En 1997, au Jardin Conservatoire, lors d’une visite guidée sur le thème des Plantes de la guerre, le guide présente topinambour, rutabaga, orge, et une petite plante sauvage, l’argentine, dont on a parfois mangé la racine. Dans le groupe, un homme très attentif, commence alors  à raconter  son aventure liée à cette plante : « Je travaillais chez un artisan et mon épouse faisait des ménages chez les autres. Je perds mon travail et je suis bien inquiet des revenus qui vont nous rester pour vivre. Je rencontre un copain qui me dit : « Tu vas aller faire un tour, chercher le lait à la ferme, ou promener le chien. Et sur le chemin, tu vas forcément trouver de l’argentine. Tu vas en cueillir une feuille, la mettre dans ton portefeuille en faisant un vœu :    celui de ne jamais manquer d’argent. Pas d’en gagner beaucoup, seulement de ne pas en manquer. Et tu vas continuer ta balade. » C’est ce que j’ai fait. Quinze jours plus tard un autre artisan m’a proposé du travail… » Dieppe (76)
Le terme « argentine » est identifié par le botaniste Alphonse de Brébisson.  (Flore de la Normandie, Première partie, Phanérogamie, A. Hardel, Caen, 1836, p. 98)
L’argentine ou potentille ansérine  est une plante vivace commune au bord des chemins,  autour des étables,  ainsi nommée en raison de ses feuilles couvertes en dessous d’un duvet d’un blanc argenté. Elle était aussi appelée « herbe à cochon ». La plante est signalée sous ce nom à Vimoutiers et la Ferté-Fresnel par l’abbé  A.- L. Letacq. (« Des noms vulgaires de plantes usités dans les cantons de Vimoutiers et de La Ferté-Fresnel (Orne) », Bulletin mensuel de la Société scientifique Flammarion d’Argentan, 1888, p. 128.)

Prévenir et protéger 

Absinthe

Au Breuil-en-Auge (14),  Geneviève s’en servait pour mettre ses poules à couver : «  À la pleine lune, les œufs éclosent bien. Mais à la nouvelle lune, ça s’en va en s’étiolant… Pour que la poule reste sur ses œufs, on mettait dessous, dans le nid, trois brins d’absinthe fraîche mais bien sèche, en étoile. Alors la poule reste bien sur ses œufs. »
Mais Geneviève met en garde : « Il ne faut pas en mettre plus. Une fois, j’ai mis plusieurs brins, ça l’a entêtée. Elle a laissé ses œufs… »
Pour une bonne couvée, les poussins doivent naître dans la journée, sinon la poule abandonne les derniers œufs à éclore.

Deviner

Ortie et pommes pour deviner


« Pour deviner le nom de mon futur époux, j’ai pelé une pomme sans casser la pelure. Je l’ai  jetée par-dessus mon épaule. En tombant par terre, la pelure a formé une lettre : l’initiale de mon futur… »
Pont-l’Évêque (14)

Une feuille d’ortie pour savoir si le malade       vivra…

« Pour savoir si un malade vivra ou mourra, mettre une ortie dans l’urine du malade pendant vingt-quatre heures. Si l’ortie sèche, il mourra. Si l’ortie reste verte, il vivra. » (Carnet de formules magiques d’un sieur Dossin des environs de Pont-l’Évêque, XIXe siècle – Société historique de Lisieux)

Des plantes pour nuire

Certains, malveillants, utilisent des plantes pour malfaire ou nuire : datura, if, œillet.

L’ « herbe aux sorciers » ou datura servait à « endormir » les bêtes à l’engraissement. En 1842, une dame d’Avranches voulut se débarrasser de son mari en lui en faisant absorber quotidiennement. Le malheureux réchappa de l’affaire après de       terribles souffrances et la dame termina sa vie en prison. (D’après Michel Vivier, revue Le Pays d’Auge)
« Des fois quelqu’un a de mauvaises pensées : il met de l’if coupé dans un herbage où il y a des bêtes. » Montviette (14)

 Œillet

« On m’a offert des œillets à mon mariage. Ma mère a dit que ce n’était pas bien de faire ça. »  Saint-Pierre-sur-Dives (14)
« Ma mère a eu un bouquet d’œillets et quelqu’un est décédé dans la maison presque aussitôt… » Sallenelles (14)

Faire peur

L’herbe éguérante

On craignait aussi de rencontrer le sorcier, surtout à la lisière des bois. Le fourbe aborde le passant, fait innocemment un bout de chemin avec lui, mais s’arrange pour le faire marcher sur une plante qui semble anodine. En fait, il s’agit de l’herbe éguérante. Le passant est alors incapable de retrouver son chemin et se perd dans le bois.
L’herbe éguérante n’est autre qu’une potentille des terres acides  qui pousse uniquement à la lisière des bois de feuillus, appelée tormentille ou tourmentille (Potentilla erecta). Sa fleur devrait avoir cinq pétales comme les autres potentilles, mais elle n’en a que quatre. On ne sait pourquoi.

Cette anomalie botanique n’égare pas que les marcheurs : dans un bulletin de l’association Le Pays Bas-Normand de Flers paru en juillet 1919,     J. Lechevrel rapporte qu’après avoir dansé autour du feu de la Saint-Jean « Filles et garçons voient avec mélancolie la flamme s’éteindre. […] C’est fini, malheur à qui s’attarde dans l’effusion d’une dernière étreinte, l’herbe éguérante cachera son chemin, il tombera de fatigue mystérieusement, attiré par les brindilles à l’étrange pâleur. »             (J. Lechevrel, « La chanson populaire au pays bas-normand », Le Pays Bas-Normand, juillet 1919,      p. 215)

Ne pas marcher sur la « tourmentine ». C’est une      « malherbe », l’herbe éguérante. Elle pousse en cercles dans toutes les forêts sauf celles à conifères et se cueille l’été. (D’après Anne Marchand, conteuse – Société historique de Lisieux)

 

Houlque laineuse
De bonnes blagues

Aujourd’hui les blagues sont plus raisonnables, comme de faire goûter une prunelle (Prunus       spinosa) à un innocent à la fin de l’été quand sa chair paraît mûre, délicieuse et attirante, mais s’avère en réalité horriblement astringente !

Au cours d’une balade, lorsque l’on voit des graminées bien mûres, comme la houlque laineuse (Holcus lanatus),  le plaisantin peut proposer de confectionner des paniers en tressant de manière savante quelques tiges de graminées ramassées.
Pour tresser ces brins, il réclame de l’aide. Il croise alors les herbes dans la bouche de sa victime, lui demande de serrer un peu, juste ce qu’il faut,  et… tire d’un coup sec.

« Holcus lanatus, une des trente espèces les plus répandues dans la région. »

La houlque laineuse pousse dans les prairies et sur les talus, au bord des chemins de Normandie.

(Michel Provost, Atlas de répartition des plantes vasculaires de Basse-Normandie, Presses universitaires de Caen, 1993)