À la fin du XIXe siècle, une mode inédite entre dans les parcs et jardins : l’art du faux bois, le rusticage et celui du rocaillage. De petits édifices, faits de pierre, de ferraille et de ciment imitant le naturel, créent de nouveaux espaces pour « recevoir dans son parc »…
La technique du faux bois
Avant 1820, le ciment ne permet d’assembler que des pierres ou des briques, jusqu’à ce qu’apparaisse le ciment Portland capable de s’accrocher sur le fer. La découverte en revient à deux inventeurs : le Français Louis Vicat et le Britannique Joseph Aspdin. En 1867, Joseph Monier dépose le brevet d’une caisse d’oranger en béton armé de fer.
Le ciment Portland est obtenu par la mouture de clinkers produits par la cuisson d’un mélange de silice, de chaux, d’alumine et d’oxyde de fer.
Des maçons italiens installés en Normandie développent alors la technique dite du faux bois ou rusticage : du fer tordu, du grillage pour former les volumes et du ciment imitent la branche ou l’arbre, puis quelques coups de spatule savants donnent l’illusion de l’écorce. Ils s’exercent d’abord sur des objets traditionnels en fabriquant des jardinières qui ressemblent à des troncs d’arbres abattus, des niches bordées de branches tordues…
Le faux bois entre dans le paysage
Partout en Normandie, un véritable engouement pour cet art naît chez les propriétaires de parcs. Ici, un faux ruisseau traverse une serre tropicale plantée de bananiers et de fleurs exotiques et mouille une grotte à deux étages.
Là, le rocailleur a creusé des pierres à l’acide, puis les a assemblées pour figurer une grotte, un bassin et des jardinières dans un jardin d’hiver.
Dans les paroisses, on édifie des calvaires, des oratoires à la Vierge. Le monument aux morts de Saint-Martin-de-Fresnay (14) est fait d’une rocaille reconstituée et d’un enclos de faux bois. Il est inauguré en juin 1923…
Les maçons normands s’emparent de la technique
« … Restent à voir les remarquables travaux de rocaille de monsieur Carbonnet (cimentier rocailleur de Caen, fin du XIXe siècle). Il arrive avec du ciment et des acides à faire des imitations de pierres, de branches de bois entourées de leur écorce. » Saint-Pierre-sur-Dives (Bulletin de la Société d’horticulture et de botanique du centre de la Normandie, 1896, p. 185)
« Cette serre, véritable jardin d’hiver, est traversée par un ruisseau descendant d’une belle rocaille et serpentant au milieu de lycopodes, de fougères arborescentes… » Saint-Pierre-sur-Dives (Bulletin de la Société d’horticulture et de botanique du centre de la Normandie, 1891, p. 352)
À Saint-Pierre-sur-Dives, en plein centre de la ville, un faux ruisseau est créé en remontant l’eau de la Dives par un système de « bélier ». Il traverse une serre tropicale plantée de bananiers et de fleurs exotiques, puis coule au pied d’une grotte à deux étages éclairée de lumignons. Dans la même rue, un jardin d’hiver relie les deux maisons du domaine grâce à la technique Eiffel (assemblage de poutrelles métalliques).
Il abrite grotte, bassin et plantes grasses. Plus loin, un kiosque à musique est suspendu au-dessus d’un bassin où les jets d’eau s’animent grâce à une machinerie complexe mais parfaitement conservée…
Rue du Bosq, abritées derrière la maison de maître, des grottes ont été réalisées avec une autre technique : des pierres extraites de la carrière du Rocreux ont été évidées à l’acide puis assemblées pour former une grotte artificielle. L’ensemble, couronné d’une balustrade en faux bois représentant des arbres tordus, donne une atmosphère troublante et romantique.
Au XIXe siècle, à Alençon, le célèbre rocailleur Ernest Lemée a réalisé rocailles et kiosques dans l’ensemble du département de l’Orne.
À Bayeux, l’entreprise Dosso construisait des ponts, des escaliers et des volières en faux bois.
À Vimoutiers (61), plusieurs créations sont réalisées par le rocailleur Melchiorri (1902-1992).
À Lisieux, rue de la Gare, François Huvé met en avant l’usage du ciment Portland. Un peu partout en Normandie, calvaires et oratoires ont été édifiés avec cette technique.
À Saint-Pierre-sur-Dives, l’enseigne du cimentier rocailleur Besnard-Blaise est toujours visible en façade de son ancienne entreprise, rue de Falaise. Le balcon construit en regard servait de modèle.
Dans la plupart des cimetières, en Normandie, des croix ont été créées par des maçons du village, comme ici au cimetière de Bellou ou à Sainte-Marguerite-des-Loges , communes historiques de Livarot-Pays d’Auge (14).
Ainsi, l’enclos de l’oratoire de Tôtes interroge le visiteur : où se situe la branche du mahonia ? Où est la branche en faux bois de l’enclos ?
Jean Frezza, maçon à la retraite, raconte : « Mon père est arrivé vers 1920. On était maçons mais je n’ai pas fait de rocaille. C’était déjà la fin de cette mode. Il fallait de l’imagination pour faire des crèches, des monuments, des bassins… C’était des particuliers qui commandaient ces travaux pour leur jardin. Ça devait coûter cher. Les maçons ont aussi construit des crucifix. Le père Guillard, maçon à Tôtes, a dû faire le monument de Saint-Martin-de-Fresnay. »