Au cours de l’histoire, l’arbre est si présent dans le quotidien et l’imaginaire des hommes qu’ils en font un usage domestique essentiel et parfois vénèrent certains sujets…
Le paysage au Moyen-âge
Au Moyen-âge, les arbres sont appréciés pour l’usage que l’on en fait : « bois à mesrien pour son edifier », bois d’œuvre pour la construction, bois de chauffe, palissage des enclos, cueillette des fruits, glandée, fourrage…
Entre 1398 et 1416, Hector de Chartres, maître des eaux et forêts du roi Charles VI, dresse l’inventaire des droits sur les forêts normandes. Ces droits sont répertoriés dans le Coutumier d’Hector de Chartres, manuscrit conservé aux Archives départementales de Seine-Maritime. En Normandie, il visite les forêts de Seine-Maritime, de l’Eure, de Touques, d’Orbec et des Moutiers-Hubert, l’Orne et les forêts de Brix et de Gavray, de Lithaire (50). Il recense les droits sur le fou, le chesne, le meslier, la puisne, la bourdaigne, l’esglentier, le pommier de bosc, le saux, le maresaux et l’espine (hêtre, chêne, néflier, troène, bourdaine, églantier, pommier sauvage, saule, saule marsault, aubépine).
Les noms de lieux
Ces arbres sont si présents dans le quotidien et l’imaginaire des hommes que leur nom se fixe dans le toponyme de la paroisse. Aujourd’hui, de nombreuses communes et de lieux-dits portent le nom d’arbres : Saint-Martin-de-Fresnay (frêne), Saint-Germain-de-Livet et Saint-Pierre-des-Ifs (if), La Boissière (buis), Le Tilleul, Le Pin, La Pommeraie (pommier), La Boulaie (bouleau), La Houssaye (houx), La Verneusse (verne, aulne), L’Épinette…
Le linguiste Dominique Fournier, qui a longuement étudié les noms de lieux liés à la végétation, apporte un éclairage sur leur origine. (Voir bulletins Histoires et Traditions populaires, Le Billot)
L’if, qui pousse à l’état spontané dans les massifs forestiers, est particulièrement abondant en Pays d’Auge. Le terme gaulois ivos (if) a donné aussi livet, livaye : Saint-Pierre-des-Ifs, Saint-Germain-de-Livet, Notre-Dame-de-Livaye.
Le buis, introduit par les Romains au début de l’ère chrétienne, s’est naturalisé çà et là. Son nom latin buxus a donné La Boissière, Boissey : lieu où pousse le buis.
Le Chêne, du gaulois cassanos, fut le nom d’une paroisse rattachée en 1830 à celle de Lessard pour former la commune de Lessard-et-le-Chêne.
Le pommier sauvage, qui sera cultivé ensuite, a donné son nom à La Pommeraie, commune rattachée à celle de Saint-Désir, près de Lisieux.
Le pin est un arbre peu répandu qui a cependant laissé une trace dans le nom de la commune de Le Pin.
Plus au sud du Pays d’Auge, on a vénéré le frêne à Saint-Martin-de-Fresnay ainsi que le tilleul dans la paroisse du Tilleul rattachée en 1831 à la commune de Saint-Georges-en-Auge.
Au XVe siècle, à Montviette, la vente d’une parcelle de bois pour la production de vaisselle en bois de poirier tourné montre que cet arbre poussait à l’état sauvage dans les bois avec le pommier, le merisier et le bouleau : « toute la vesselle de boys que le ledit vendeur pourra faire pour le pris de chacun cent d’escuelles et plateaux de perier » (Tabellionnage de Longny, 11 décembre 1482 – Archives départementales de l’Orne)
Marronniers à l’entrée des fermes
À la fin du XIXe siècle, des marronniers ont été plantés à l’entrée des fermes fromagères. Cette économie nouvelle qui allait faire la renommée du Pays d’Auge a aussi marqué le paysage. Ces arbres ont une durée de vie de deux cents ans. Ils sont désormais menacés et mériteraient d’être sauvegardés.
Vieux arbres et arbres sacrés
Au XIXe siècle, le naturaliste rouennais Henri Gadeau de Kerville parcourt la Normandie à la rencontre de vieux arbres vénérables.
Il les photographie, les identifie, les mesure, et publie ses travaux dans le Bulletin de la Société des amis des sciences naturelles de Rouen. (Coll. Montviette Nature)
Quelques arbres ont marqué autrement l’imaginaire des habitants, comme le « chêne aux chiffes » au Pré-d’Auge, le « chêne à l’image » de Barneville-la-Bertran ou de Friardel. Trois chênes sacrés : le « Gros chêne » de Friardel abritait une statue de la Vierge, celui de Barneville-la-Bertran celle de saint Jean-Baptiste. Et le chêne du Pré-d’Auge est encore aujourd’hui au centre d’un pèlerinage pour demander de l’aide à saint Méen, patron de la paroisse et saint guérisseur.
Symbole d’éternité, l’if a été planté dans la plupart des cimetières. Les tempêtes de 1987 et de 1999 en ont abattu de très anciens qui n’ont pas été remplacés.
À Lisieux, une aubépine a servi de limite de territoire entre la cathédrale et l’abbaye du Pré. On l’appelait l’ « épine du chapitre ».
À Préaux-Saint-Sébastien, l’ « épine à la dame » près de l’église rappelle un événement de la confrérie de Charité de la paroisse.
À Saint-Vaast-en-Auge, en novembre 1919, la commune et les anciens combattants plantent un « arbre de la Victoire », toujours vénéré.
Le chêne à l’image de Barneville-la-Bertran /Arthème Pannier
(Extrait du carnet n°126, conservé à la Société historique Lisieux)
Arthème Pannier (1817-1882) cofondateur de la société historique de Lisieux écrit :
Barneville
Sur le bord de l’ancien
chemin vicinal qui conduit à la route d’Honfleur
chemin de Barneville à Équemauville,
à Honfleur se dresse
un vieux chêne plus que
séculaire dont il ne reste plus que le vieux tronc
qui est creux, ce tronc
renferme une petite niche
qui contient une statue
de saint Jean (Légende)
Autrefois on allumait
un feu de joie auprès
de ce vieux chêne,
un feu de joie que
le clergé bénissait
À peu de distance du
village de Barneville
au pied d’un coteau boisé
se dresse un vieux chêne
dont les branches tuteurs
couvrent de leur feuillage
une statuette de St Jean
placée dans une niche que
renferme le tronc creux du
chêne appelé dans le pays
chêne de l’image.
Les vieillards du pays racontent que
toutes les nuits, à minuit, Satan
empruntant une forme humaine
apparaît au pied de
ce chêne.
Malheur à ceux qui passaient
à cette heure (à cet endroit) au
pied du vieux chêne.