« Croyez-vous qu’on pourrait retrouver le ‘Coco de Pont-Audemer’ ? Nous, maraîchers, l’avons cultivé et vendu sur les marchés de Lisieux et de Cabourg. »
1994. Claude Mesnil, président de la Société d’horticulture et de botanique du centre de la Normandie, ancien « maraîcher de ceinture » à Lisieux puis au Breuil-en-Auge (14), s’adresse à Montviette Nature pour retrouver ce haricot qu’il appréciait tant.
1997. Après trois ans de recherches, le haricot est enfin retrouvé dans l’Eure auprès d’un jardinier amateur. Claude est formel : c’est bien celui qu’il a cultivé. Il en reprend la culture pour maintenir la variété et aider Montviette Nature à la diffuser.
« Mes parents récoltaient pas mal de graines. »
« Je suis né à Norolles en 1931. Mes parents étaient jardiniers. Mon grand-père, avant 1914, était jardinier à la Monteillerie. Du côté de ma grand-mère, ils étaient six enfants, tous jardiniers : un au jardin public, un au jardin de l’hôpital… J’étais au travail à quatorze ans chez mes parents. À Lisieux, on a exploité 60 ares avec coffres et châssis jusqu’en 1965. On a été expropriés. On a cherché un terrain avec une bonne terre à proximité. Au Breuil-en-Auge, on a trouvé une terre de gros sable et d’alluvions. On a monté une serre légumière de 2000 m2 et tout le restant en plein champ, en versant nord-sud. Le Douet du Mieux a fourni de l’eau même pendant la sécheresse de 1976. »
Claude et son épouse Colette cultivent des variétés normandes, comme le ’Poireau de Carentan’ « mais devenu trop court pour la clientèle », le « pois » ‘Petit carré de Caen’… « On avait un hectare et demi d’exploitation. C’était rentable. » « Mes parents récoltaient pas mal de graines. »
Pour la récolte des haricots : « Il y avait des tâcherons, des cueilleurs qui faisaient les vendanges, la saison en montagne, les cueillettes de cerises, de fraises, de fruits. Ils arrivaient en voiture et leur caravane. Ils cueillaient les haricots chez nous. »
« Après le marché de Lisieux, on a décidé de faire les marchés sur la côte, à Cabourg puis Dives-sur-Mer. Sur la côte, les clients aiment la marchandise fraîche, belle et bonne. On présentait les légumes dans les paniers à pommes de mon père en châtaignier. »
Le ‘Pont-Audemer’
Le haricot que Claude et Colette ont cultivé sous le nom de ‘Pont-Audemer’ est un haricot nain, à feuillage vert moyen, à fleur blanche. La gousse large, d’abord verte, se marque rapidement de stries rougeâtres. En mûrissant, la gousse jaunit, les stries deviennent d’un rouge plus vif. Le grain : les gousses longues, droites contiennent de six à dix grains. Grain beige fauve dessiné de stries d’un rouge brun violacé. Exposé à la lumière, le grain brunit et se teinte d’une couleur rouille foncé. Il se consomme entre vert et sec.
Pas de trace écrite du ‘Coco de Pont-Audemer’
Le ‘Coco de Pont-Audemer’ était cultivé autour de Lisieux et dans l’Eure, sous cette appellation. Mais le nom de ‘Coco de Pont-Audemer’ n’est jamais référencé dans les catalogues des semenciers nationaux, ni chez les cultivateurs grainiers normands. Alors comment l’identifier ?
La piste du manuscrit d’Avranches
La bibliothèque patrimoniale d’Avranches conserve un manuscrit de l’agronome Louis-René Le Berryais (1722-1807) sur les haricots connus au XVIIIe siècle*. Parmi une dizaine de haricots nains dits « haricots suisses », à noter la description du ‘Suisse rouge’ : « Phaseolus humilis albus e rubro variegatus cylindrus. Haricot Nain / nain blanc suisse marbré de rouge : de tous les haricots suisses, celui-ci est le plus beau. Il est très hâtif ; et produit des cosses étroites, mais longues de six à sept pouces, garnies de fèves longues de neuf à dix lignes, cylindriques, marbrées de rouge sur fond blanc. »
* Signalé par Michel Vivier et mis en lumière par Antoine Jacobsohn dans son ouvrage Du fayot au mangetout, L’histoire du haricot sans en perdre le fil, Éd. du Rouergue, 2010. À lire : la biographie de Le Berryais sur le site Wikimanche.
Le haricot ‘Suisse rouge’
En 1891, Vilmorin-Andrieux fait une rapide description d’un haricot ‘Suisse rouge’: « Plante vigoureuse ramifiée, mais ne filant ordinairement pas ; feuillage raide pas très grand ni très ample, uni, d’un vert un peu grisâtre. Grain allongé presque droit, marbré de taches lie de vin, généralement allongé formant des stries longitudinales sur un fond rouge pâle. »
Il est produit chez deux cultivateurs-grainiers à Caen : A. Lenormand en 1901 et I. Sénécal en 1921 sous le nom de ‘Suisse rouge’.
Aux États-Unis, le haricot ‘Improved Goddard’ ou ‘Boston Favorite’ est très proche du ‘Coco de Pont-Audemer’.
Peut-être que de nouveaux documents d’archives et des recherches plus fines permettront d’identifier formellement ce mystérieux ‘Coco de Pont-Audemer’…