« C’est vous qui êtes le père du Quercus ferrugina, le Black Jack, si remarquable par son singulier feuillage : le bois de Boulogne est le seul endroit où il existe en Europe… » (Lettre de Michaux adressée à Michel-Victor Leroy le 16 février 1832)
Au début de ce XIXe siècle, le botaniste François-André Michaux ne tarit pas d’éloges à propos des découvertes de Michel-Victor Leroy. À plusieurs reprises, au fil de sa correspondance, il lui assure la reconnaissance du monde scientifique : Leroy a introduit en Europe quantité d’arbres et d’arbustes à ce jour inconnus…
Un parcours singulier…
Michel-Victor Leroy est né à Lisieux le 7 octobre 1754. Il étudie au collège de Lisieux. Vers 1775 ou 1778, il embarque au Havre avec son frère Pierre-Nicolas pour l’île de Saint-Domingue (Haïti) dont on vante la merveilleuse fertilité.
Quelques années plus tard, les frères Leroy ont réussi : ils possèdent une vaste propriété, située sur la côte septentrionale du golfe des Gonaïves. Leur plantation a si bien prospéré qu’ils y ont ajouté une distillerie pour la fabrication du rhum.
L’entreprise est en pleine prospérité, lorsqu’en 1791 éclate la révolte des esclaves à Saint-Domingue, en contrecoup de la Révolution française et qui s’achèvera par la perte de la colonie. Les esclaves incendient les habitations de leurs maîtres, ravagent les plantations. Ils massacrent le plus jeune des frères sous les yeux de l’aîné.
M.-V. Leroy est sauvé de justesse. Il se réfugie à Boston où il enseigne les langues, puis il s’installe à Baltimore.
En 1800, il rencontre le botaniste François-André Michaux qui l’initie à la recherche d’arbres américains.
Il achète alors une propriété à Baltimore où il se livre à la botanique, à l’horticulture, n’interrompant ses cultures que pour parcourir les forêts du Tennessee, les bords des lacs Érié et Ontario, les monts Alleghanys d’où il rapporte graines, plantes, arbustes qu’il expédie ensuite à François-André Michaux qui, à son tour, les confie à différents jardins et botanistes à travers la France et l’Europe..
Aux archives du séminaire St. Mary est conservée la trace de sa demeure au coin du quartier Barre & Shaye Street. Il y crée une pépinière pour acclimater les nombreux arbres et arbustes recueillis au cours de ses explorations dans les forêts…
Revenu à Lisieux
En 1831, François-André Michaux écrit : « J’ai surtout à cœur de vous prouver que vous ne pouvez pas vous fixer à Lisieux. C’est à Paris seul que votre temps sera employé à coopérer aux travaux de la Société Royale d’Agriculture. Je vous présenterai, vous serez admis partout… »
Mais Michel-Victor Leroy, malade, revient vivre à Lisieux chez sa cousine Mme Leroy-Desclozages. Sa santé se rétablit et il va donner ses conseils à Jules Oudin dans son établissement horticole du boulevard Sainte-Anne.
Michel-Victor Leroy meurt le 7 juillet 1842, au 33 rue Petite Couture à Lisieux…
Les arbres introduits
De Baltimore, Michel-Victor Leroy envoie à Paris des caisses d’arbres enracinés : le pommier à odeur, le marronnier rouge, le noyer d’Amérique, une longue liste que l’on peut consulter sur le site de la bibliothèque numérique de Lisieux…
Les connaissances que nous avons aujourd’hui sur les introductions d’arbres en Europe permettent d’affirmer avec certitude que Michel-Victor Leroy a contribué à introduire et acclimater trois espèces : le marronnier rouge, le noyer noir d’Amérique, hybridé ensuite pour produire le noyer regia, et l’oranger des Osages.
En effet, au sud des États-Unis, il découvre le Maclura pomifera avec lequel les indiens Osages fabriquent leurs arcs. En 1823, il en envoie cinq sujets en France. L’oranger des Osages ressemble à un oranger par son feuillage vert sombre et luisant. Les fruits sont comparables à des oranges non comestibles. D’abord pressenti pour nourrir les vers à soie, le projet sera abandonné et le Maclura deviendra un arbre ornemental. Matthieu Bonafous l’affirme en 1835 : « L’oranger des Osages a été introduit par Michel-Victor Leroy en Europe. »
Le marronnier rouge, plus petit que le commun à fleurs blanches, est remis par Michaux au Jardin des plantes de Paris en 1812. Issu de ce premier pied, un premier cultivar sera obtenu par les pépinières Trianon à Versailles en 1858 : le marronnier rouge ′Briotii′, d’un rouge plus vif.
Dans les caisses qu’il expédie, certains arbres avaient déjà été introduits auparavant. Ainsi le chêne phellos ou « chêne à feuilles de saule » a été introduit en 1723 par le marquis de la Glaçonnière, un siècle avant les envois de M.-V. Leroy. On pourrait lui attribuer cependant certaines réintroductions comme le chêne tinctorial, l’orme rouge, l’orme de l’Hudson, le pommier à odeur. Il est quasiment certain que la plante Jeffersonia est due à M.-V. Leroy, mais nous ne sommes pas en mesure d’en apporter la preuve. Peut-être des recherches et des découvertes nouvelles nous permettront d’affiner cette connaissance.
Un rond-point Michel-Victor Leroy
La ville de Lisieux a voulu honorer la mémoire et l’œuvre de ce savant méconnu. À la lumière de ces recherches qui confirment que Michel-Victor Leroy est bien l’introducteur de trois essences d’arbres en Europe, les élus ont choisi de donner son nom à l’arboretum situé rue Roger Aini, d’y planter les arbres introduits. Enfin, le rond-point nouvellement aménagé au-dessus de l’hôpital, rue Roger Aini, tout près de l’arboretum, est dédié à Michel-Victor Leroy…