Archives pour la catégorie BALADE BAVARDE

Dans la mare

« J’aurais jamais cru qu’il y avait autant de bestioles là-dessous. » Renée

Mai 1998, Montviette, sortie « Les petites bêtes de la mare » : une vingtaine de participants découvrent dans le filet troubleau du naturaliste Loïc Chéreau nombre d’amphibiens, insectes aquatiques et mollusques… Renée, quatre-vingts ans, agricultrice, croyait bien connaître les habitants de la mare. Elle fut alors surprise… 

Sortie découverte de la mare, Montviette

À l’occasion des enquêtes menées par Montviette Nature depuis 1990, de précieux témoignages ont été collectés.

Une mare aux sangsues
Extrait ordonnancier de la pharmacie de Livarot, 1896, coll. Montviette Nature

Dans les ordonnanciers (collection Montviette Nature) des docteur Louis-Désiré Lescène (1866-1933) puis Marcel Lescène (1892-1956), pharmaciens à Livarot (14), il est fréquemment prescrit l’emploi de sangsues. André, Madeleine, Jean, Marguerite, Andrée, Mauricette, se souviennent : 

« Mon père en a eu une congestion. Le médecin lui a prescrit des sangsues. On les posait derrière l’oreille. Et quand les sangsues étaient pleines de sang, on les mettait dans la cendre pour les faire dégorger. » Montviette (14)
« Ma mère a été en chercher chez le pharmacien à l’angle de la rue du Bosq à Saint-Pierre. Après on les a remises dans la mare, mais on ne les a pas retrouvées. » Vieux-Pont-en-Auge (14)
« On avait une cousine à la maison qui a fait une manière de congestion. Le médecin a dit de prendre deux sangsues à la pharmacie : ça se met derrière l’oreille. » Montviette (14) 

Sangsue

« Les médecins faisaient ramasser les sangsues sur les mares. » Toutainville (27)
« À Lisores (14), il y en avait dans une mare. Certains venaient en chercher pour en remettre dans un autre étang. Les gens en recherchaient. »
« Les gens les ramassaient et les mettaient en réserve d’eau. Quand les gens avaient une congestion, on leur mettait des sangsues. » Grandmesnil (14)
« À Montpinçon et à Tortisambert (14), il y avait une mare aux sangsues où on attrapait les sangsues en attachant un « cheval fini », un vieux cheval, toute la journée les pattes dans l’eau. Le soir, son maître le sortait et ramassait les sangsues accrochées et les portait chez le pharmacien. » André

La salamandre  

Aux abords des bois, les petites mares sont fréquentées par la salamandre. 

Salamandre, bois de Montpinçon (14)
Larve de salamandre

« On la voit au bord de l’eau et dans les fossés. Il y a une mare sous l’étable, il y a une source. On allait y chercher l’eau. » La Croupte (14) 

Grenouilles  

Les grenouilles chantent les soirs de printemps et d’été aux abords des mares.

Montviette (14), fête de la Saint-Jean (24 juin) vers 1930 : « On faisait une course à la brouette avec des grenouilles. Il ne faut pas qu’elles sautent de la brouette. » André
« Pour les attraper, on se servait d’une branche de noisetier et de pétales d’œillet rouge au bout d’une ligne. » Raymond 

Rainette verte, Hyla arborea

« Ça monte dans les pommiers. » Montviette (14)
« Elles font du bruit quand il est pour venir de l’orage. » Grandmesnil (14)
« Les grenouilles et les crapauds, ça mange les limaces. » Saint-Pierre-de Mailloc (14) 

Quand on curait… 

Le curage des mares se fait à la fin de l’été, en corvées, avec l’aide des voisins. La vase est mise en tas à égoutter durant huit à quinze jours. Elle est ensuite épandue sur les prés à faucher. « Celui qui avait assez de vase avait de l’herbe pour deux à trois ans. » 

« Dans la vase de l’étang, les pêcheurs venaient chercher des vers, des vers rouges. »
« La vase était mise sur le bord. Il y avait un étang près du pont. Quand on curait l’étang près du pont, on levait les anguilles à la pelle. Les truites, on n’en prenait pas beaucoup. Il y avait pas mal de gros cailloux dans le fond du ruisseau et dessous des écrevisses. On s’amusait surtout avec. Ça pince quand tu les prends mal. Il y avait aussi des vairons, par bancs. On les prenait dans une bouteille. » Montviette (14)
« Le sang de l’anguille est acide si on a une coupure à la main. Il faut mettre du plantain qu’on appelle « oreille de lièvre », l’écraser entre les doigts. »
« Les porte-bois dans la rivière ou les mares. Il fallait casser l’écorce et sortir la larve : c’est un appât et on en met un ou deux pour pêcher la truite. » Thiéville (14)
« C’est comme les vers de terreau. C’est toujours des vers rouges dans le compost. Des rouges et ceux qui avaient la tête noire : c’est les meilleurs pour la pêche. » Thiéville (14) 

Préserver les mares et leur faune
Renoncule aquatique, mare Montviette

Dès avril, les abords et le fond des mares se couvrent d’une végétation diversifiée : plantain d’eau, potamot flottant, renoncules aquatiques et joncs divers. 

De 1996 à 2000, dix mares de la commune de Montviette (14) ont été retenues pour participer au Programme national de recherche sur les zones humides. Un collectif de scientifiques a encadré l’équipe de l’association Montviette Nature pour y mener des inventaires approfondis. Ce sont les mares qui jalonnent le plateau, celles qui sèchent parfois en été et prennent ces teintes vertes peu engageantes, qui abritent la faune la plus riche. Dytiques, nèpes, notonectes, ranatre, libellules, grenouilles vertes et rousses, tritons, crapauds, s’y       reproduisent. Couleuvres à collier et poules d’eau viennent s’y nourrir. La plupart sont des      espèces fragiles. 

Dytique bordé, Dyticus marginalis
Larve de dytique bordé
Népe cendrée, Nepa cinerea

« La couleuvre va à l’eau ; elle nage la tête sortie de l’eau. Elle niche dans la rive. » Toutainville (27)
« Ma grand-mère croyait que l’arc-en-ciel pouvait vider l’eau d’une mare au profit de la sienne. » Saint-Georges-en-Auge (14) 

Petits mammifères à la trace

Le rat d’or et le rat des moissons

Dans les haies, les jardins, sous terre ou dans les airs, on peut essayer de reconnaître les petits mammifères qui occupent le territoire et d’en identifier les traces : hérisson, écureuil, mulot, campagnol, fouine, martre, taupe, chauve-souris, pour les plus faciles à déterminer.
Mais qui a déjà croisé la trace du rat d’or et celle du petit rat des moissons ? 

Le rat d’or 

« Le muscardin, je l’ai encore vu voilà une dizaine d’années dans le bois [vers 2005]. C’est pas un mulot, c’est comme un petit écureuil. C’est gros comme mon pouce. Dans une épine, ils étaient deux ou trois dans le nid. » Saint-Pierre-de-Mailloc (14) 

Nid du muscardin, lisière de bois, photo Montviette Nature, 1993

Roger Brun, naturaliste normand (1906-1980), a publié en 1953 et 1954 des articles sur la faune du Pays d’Auge dans la revue Le Pays d’Auge. Il prospecte en Normandie pour collecter les animaux les plus rares. Michel, ami de Maurice, le fils de Roger Brun, raconte : « Il cherchait aussi le muscardin. On le voit encore de temps en temps. Mon père en avait trouvé un couple dans les bois. Il leur avait fait une cage. Il les nourrissait avec des fraises du jardin. » Saint-Pierre-de-Mailloc (14)
« Le loir muscardin (myoxus avellanarius L.), de la taille d’une souris, a une fourrure d’un magnifique jaunâtre doré. C’est pour la faune française, une espèce presque spécifiquement normande, moins répandue que le lérot, bien qu’existant dans notre Pays d’Auge ; il est aussi beaucoup moins nuisible, ayant comme l’écureuil une préférence pour les fruits secs forestiers, noisettes en particulier (d’où son nom latin). » Roger Brun, « Faune du Pays d’Auge », Le Pays d’Auge, septembre 1953, p. 8. 

Muscardin dans une épine. Photo Gérard Bertran

« Le muscardin (Muscardinus avellanarius) fait partie de la famille des gliridés tout comme ses cousins le loir et le lérot. De petite taille (6,5 à 8,5 cm), il est roux doré d’où son autre surnom le « rat d’or ». Il est plus clair sur le ventre et le menton, ses oreilles sont petites arrondies et peu poilues mais apparentes. Sa queue équivaut à la taille de son corps, elle est touffue sur toute sa longueur et présente la particularité de pouvoir se sectionner si un prédateur la saisit, lui laissant un fourreau poilu et vide en guise de repas. Sa queue contrairement à celle des batraciens ne repousse pas.
Il a également de grands yeux noirs globuleux et de longues vibrisses qui le rendent particulièrement adapté à la vie nocturne. Son poids varie entre vingt et quarante grammes suivant la période de l’année.

Il est particulièrement adapté à la vie arboricole, ses pattes sont pourvues de longs doigts préhensiles, de coussinets plantaires bien développés sur les pieds et d’articulations pouvant pivoter latéralement à angle droit. Cela lui permet de grimper jusqu’au sommet des branches les plus hautes ou de s’avancer jusqu’à l’extrémité des rameaux.
Ce rongeur est typiquement forestier et il évolue, essentiellement, dans les arbres et les arbustes de petite taille, avec une préférence pour les milieux assez ensoleillés, comme les haies, les lisières forestières, les clairières, les coupes forestières récentes, les taillis et broussailles. » Voir l’article complet : Loïc Nicolle, « La haie et la biodiversité », Le Pays d’Auge, septembre-octobre 2022, p. 28-33.

Noisette rongée par le muscardin, photo Loïc Nicolle, naturaliste
Chercher le rat des moissons

Rarement observé par les amateurs, le rat des moissons fait l’objet de recherches et de comptage par les associations naturalistes de Normandie.
En 1953, le naturaliste Roger Brun ne l’avait pas encore croisé lors de ses explorations. Pourtant, dans son musée créé à Friardel (14) puis transféré au muséum de Rouen après 1980 figure un rat des moissons capturé le 29 avril 1967 à Friardel ; il a été naturalisé. 

Rat des moissons mâle, Friardel, cliché Rodolphe Murie, photographe

« Le rat nain ou rat des moissons (mus minutus Pall.) [aujourd’hui Micromys minutus], plus petit que la souris et qui construit son nid au sommet des tiges de céréales, doit exister dans notre région ; il est mentionné comme peu commun dans la magistrale Faune de Normandie, de H.-G. de Kerville. Je ne l’ai, pour ma part, jamais rencontré jusqu’à présent. » Roger Brun, « Faune du Pays d’Auge », Le Pays d’Auge, septembre 1953, p. 8.
Voir aussi le site du Groupe Mammalogique Normand : www.gmn.asso.fr 

La haie morte

Longtemps en Normandie, le jardin a été clos d’une haie morte et la haie des herbages réparée par un tronçon de haie morte ou haie sèche. Une technique à réapprendre… 

Entretenir la haie 
Forces, outil collection Emmanuel, Montviette Nature

« Les haies, on les fait avec des forces. Le pied, à la faux, le faucard. On coupe le pied avec le faucard et après les forces. Les forces affûtées sur la meule. Le faucard, on le battait comme une faux. Le croissant, avec un long manche, servait à élaguer plus haut sur le bord des routes. On y passait des semaines. » Saint-Pierre-de-Mailloc (14)

« On élague à l’intérieur du champ, mais aussi à l’extérieur si la haie borde un chemin. Si le chemin est très emprunté, on élague à vue de ciel pour que le chemin soit bien ensoleillé. »

« Sur les haies d’épine, c’étaient les forces. Tous les six ou sept ans, à la serpe qu’on coupait ça, ou à la hache. Beaucoup à la hache. Pour les fossés, c’étaient les sapes, les faucilles, pour couper l’herbe et un fourchet long comme ça, 60 centimètres, qui servait à maintenir l’herbe qu’on coupait. C’était un travail spécial au Pays d’Auge. Passé Saint-Pierre-sur-Dives, c’était la plaine de Falaise. Y avait pas de haies comme dans le Pays d’Auge. » Saint-Pierre-de-Mailloc (14) 

Le croissant, avec un long manche, servait à élaguer plus haut
Réparer la haie : la haie morte
"Quand on faisait une haie..."

« Quand on faisait une haie, il ne restait pas grand-chose, car on réparait d’abord les haies. » Montviette (14)
« On reclôt ou on répare les brèches dans la haie avec du bois appointi à la serpe, planté debout, les affiches. Les fameuses affiches, on les fendait en deux avec le fauchet quand c’était du bois qui se fendait bien. Quand il y avait de l’orme, ça se fendait bien. Puis, avec de grandes branches horizontales, des liures de saule, on serrait la haie. » Saint-Pierre-de-Mailloc (14) 

« Les affiches tous les 20-30 centimètres pour faire coller (tenir) le menu bois mis en arrière. C’était bien quand c’était bien clos.  Entre les affiches, on mettait du petit bois debout, des branchages de bois, comme des rames ; un coup de serpe pour les appointir. On les enfonçait en terre. Normalement c’était du bois debout, le bois de la haie qui était là. » Francis
« Des fois, il y avait un frêne ou un chêne. On le replantait dans un trou de la haie d’épine, pour reboucher. » Boissey (14)
« Même l’épine, on la remettait dans le trou pour boucher. » Montviette (14)
« On allait couper des vignons (Ulex europaeus) près des bois. On les ramenait avec le cheval sur la charrette. On en faisait des haies mortes, des fois jusqu’à 800 mètres. On plantait des piquets en terre et on les serrait avec une vis et une manivelle. » Montpinçon (14)
« Mon père se servait d’une pince à raffiquer les haies. » Moyaux (14) 

Le serre-haie ou pince à "raffiquer" la haie
Autres usages de la haie  

Avec le reste, on fait des fagots. Certains ouvriers effectuaient ce travail « à la loue », c’est-à-dire payé à l’unité. « Un fagot bien fait doit passer dans un sac à pommes. » Il pèse au moins 25 kilos.
« À la saison, on commençait par élaguer le chemin à Paul, à la sape. On reprenait au croissant à vue de ciel et Simone venait râteler les élagures. On en mettait sur les garennes dans la cour de maison ; je me rappelle au moins trois. On furetait avec les furets. Dans le bas du p’tit pré, la cabane (qui abritait le taureau) n’était couverte que d’élagures et les murs en fagots. » Saint-Pierre-de Mailloc (14)
« On couchait les branches en travers et on les resserrait avec les presses à haie. Les branches, on les coupait au faucillon et on les couchait. Pas trop gros, on les couchait. On coupait tous les dix, douze ans. On les tord et on les rattache avec l’osier. » Montviette (14)
« Les fagots étaient faits sous le pied, avec un brin de coude qu’ils arrivaient à nouer. Sinon, le métier à fagots : on faisait des tas au pied des haies. On déplace le métier à fagots. » 

Un fagot sur le métier à fagots

« Les grandes épines qui poussent vite, grandes ronces qui servaient à attacher les balais : ils la fendaient en deux pour lier les balais de bouleau et de bruyère et pour lier les tonneaux. » Montviette (14)
« Édouard, mon père, cherchait dans la haie les manches des outils. Il faut observer, repérer. Pour l’effort : la masse, la hache, le merlin, c’est du houx et qu’il soit plus gros d’un côté…  Les manches de fourche en frêne ou noisetier pelé. » Les Champeaux (61)

Sécateur à long manche. Coll. Emmanuel, Montviette Nature
Faire des fagots, Raymond, Montviette, 1990

La haie plessée

Le plessage, une technique ancienne et efficace, refait son apparition.

Pourquoi plesser une haie ?
Cette méthode permet de se passer de matériaux artificiels (barbelés, etc.) et nécessite peu d’équipement. De plus, la régénération de la haie plessée consiste en un nouveau plessage et l’efficacité ne sera perdue que le temps de l’opération. Par contre, la régénération d’une haie vive demande un recépage, ce qui implique une inefficacité de plusieurs années.

Entailler, plier, entrelacer
Partant d’une haie vive, l’idée est de créer une trame ou un maillage vivant. On entaille les troncs à la base de haut en bas sur la longueur et la profondeur nécessaires pour les rendre flexibles. Puis on les amène presque à l’horizontale, les tressant entre des piquets ou des troncs laissés intacts, faisant office de piquets vivants. Des pousses, sur les troncs pliés et à la base, complèteront la trame année après année.  Le « miracle » est que la fine lame qui relie le tronc à sa base, si elle contient écorce, liber, cambium et un peu d’aubier,  permet la survie et la croissance du sujet. La souche, elle, se comporte comme après un recépage ; ce qui en  augmente la durée de vie.

la fine lame qui relie le tronc à sa base...

Une technique ancienne…
Cette technique, peut-être d’origine celte ou saxonne, était répandue en Europe. On en trouve une description dans la Guerre des Gaules de Jules César : « ils [les Nerviens] ont eu l’habitude, pour arrêter plus facilement la cavalerie des peuples voisins, dans le cas où le désir du pillage l’attirerait sur leur territoire, de tailler et de courber de jeunes arbres, dont les branches, horizontalement dirigées et entrelacées de ronces et d’épines, forment des haies semblables à un mur, et qui leur servent de retranchement, à travers lesquels on ne peut ni pénétrer ni même voir. »  (Livre II, chapitre XVII -Traduction française disponible sur  http://bcs.fltr.ucl.ac.be/CAES/BGII.html)  [consulté le 24.10.2022]
De multiples variantes régionales existent, chacune étant la meilleure !
Le summum étant une haie plessée d’aubépines uniquement, montée sur un talus empierré et doublée d’un fossé, impénétrable au cheval comme au lapin.
La haie plessée était présente dans la région comme en attestent les noms de lieux-dits y faisant référence, (lire ci-dessous le document du chercheur Dominique Fournier) ainsi que des tableaux (voir le tableau de Claude Monet La Pie (1868-1869), des photos ou des vestiges sur de vieilles haies.
Elles disparurent avec l’apparition du barbelé à la fin du 19e et surtout après la Première Guerre mondiale. Le coup de grâce fut donné par la mécanisation intensive et le remembrement au sortir de la Deuxième Guerre mondiale.

… remise en valeur aujourd’hui
Depuis quelques décennies, la technique connaît un regain au Royaume-Uni où sont même organisés des concours de plessage régionaux. Les participants doivent respecter scrupuleusement le style associé et l’usage des outils afférents.
En France, la technique réapparaît dans le Nord, le Nord-Ouest, le Perche, le Morvan, etc.

Les essences
Les végétaux utilisés pour créer une haie qui sera plessée sont multiples. Il vaut mieux prendre des plants indigènes et éviter ceux toxiques pour les animaux concernés. Pour contenir le bétail, aubépine, prunellier et houx sont les plus efficaces, mais le houx est très lent à croître. Les autres espèces faciles à plesser sont : noisetier, charme, hêtre, érable champêtre, chêne… Un mélange de ces espèces créera une bonne haie.

Erable champêtre

Quand plesser ?
Après la plantation, il faudra attendre cinq à dix ans et/ou une hauteur de haie de 2,5 à 4 mètres avant de plesser, pour obtenir après plessage une hauteur de 1,20 à 1,40 mètre. (Les hauteurs et durées sont indicatives, car variables en fonction des essences, de l’environnement et du climat.)
La période pour effectuer le travail va de septembre à mars, hors gel. Les mois de septembre, octobre et mars sont préférés pour la cicatrisation.
La répétition du processus se fait tous les quinze à vingt-cinq ans, voire cinquante ans dans des conditions optimales. Et la perte d’efficacité ne durera que le temps du plessage, ce qui en fait la conduite idéale des haies pour clore un champ.
La taille d’entretien devrait idéalement se faire manuellement, ce qui permet de voir et d’anticiper les problèmes. La fréquence de la taille, qu’elle soit manuelle ou mécanique, devrait être d’une fois tous les deux à trois ans pour donner plus de sous-produits, favoriser la biodiversité et allonger la durée de vie des plants. La taille en dôme, en triangle ou en trapèze favorisera l’accès de la lumière sur toute la haie.

La procédure
Il faut compter plesser 10 à 30 mètres par jour en fonction de ses capacités (!) et de l’état de la haie.
Sur une pente, on commence par le haut du terrain et on plesse la haie du bas vers le haut, ce qui diminue la pliure.

  1. On commence par nettoyer la base de la haie : on ôte les bois morts et mal configurés, les ronces, etc. Puis on sélectionne les troncs que l’on va plier en évitant cependant d’enlever trop vite les surnuméraires. On élague les branches pouvant entraver le pliage. Du côté animaux, on garde des branches pour protéger la base de la haie. De l’autre côté, on élague bien pour permettre à la lumière d’atteindre les troncs et les bases, afin que les pousses verticales puissent démarrer.
  1. Ensuite, pour un droitier, on exerce une traction de la main gauche sur le tronc et avec la serpe on entame celui-ci en oblique à une hauteur d’au minimum trois fois le diamètre au minimum (10-20 centimètres du sol). On entaille jusqu’au moment où le tronc devient flexible. Tout est alors une question de dosage entre coupe et traction pour amener le sujet presque à l’horizontale dans l’axe de la coupe sans casser le lien de vie. On plie jusqu’à ce que le tronc soit stable, en contact avec le sol ou avec le tronc précédent. Jusqu’à 7 centimètres de diamètre, on utilise la serpe ou la hache. Au-delà, la tronçonneuse facilite le travail (mais ne peut pas être utilisée lors de concours !).
    Ceci fait, on coupe le talon de la taille en évitant de créer une poche qui pourrait accumuler l’eau  et on passe au tronc suivant.
  1. En fin de journée, on enfonce des piquets de noisetier ou de châtaignier (4 centimètres de diamètre et 150 centimètres de hauteur) tous les 50 centimètres, légèrement décalés côté bétail, et on tresse au sommet des tiges de noisetier ou de charme pour stabiliser l’ensemble. Cela s’appelle la parure.
    La vie des piquets et des tiges n’est pas très longue, mais les pousses sur les troncs et à la base renforceront le maillage et compenseront rapidement l’affaiblissement de la structure morte.
    Pour les puristes, une touche finale consiste à couper en biais le sommet des piquets à la même hauteur.

Les outils
une serpe, qui peut être à long manche, pour dégager les ronces, orties, débris, bois mort divers et pour réaliser l’entaille;
– un échenilloir pour élaguer les troncs;
– une hache pour élaguer et pour réaliser les piquets;
– une scie à archet pour couper les talons;
– une tronçonneuse pour les gros sujets (diamètre de plus de 10 centimètres);
– un maillet en bois (qui peut être une section de tronc avec un tronçon de branche toujours attaché);
– un sécateur;
– une pierre à aiguiser, des vêtements résistant aux épines, de solides chaussures et des gants (et une trousse de premiers secours…).

Serpe à long manche, gros sécateur et hache, collection Montviette Nature et château de Crèvecoeur

 

Les variantes

Chaque type de plessage est lié à une région, c’est-à-dire au matériel végétal qui est disponible et à la destination de la haie. Plutôt que de décrire toutes ces variantes, voici les options principales à chaque étape.
La haie peut être simple ou double, avec même un chemin d’entretien entre les deux ensembles. Elle peut aussi être montée sur un talus doublé de fossés.
Le sens du plessage est généralement unique, mais rien n’empêche d’utiliser les deux sens, à partir d’un siège de noisetiers par exemple.
En Allemagne, des haies de charmes sont plessées en croix, et au point de contact, l’écorce est enlevée, ce qui fera fusionner les deux végétaux.
Pour combler un vide, on peut également partir en sens opposé, faire à mi-hauteur une seconde entaille et revenir dans le sens initial.
Avec ce même objectif, on peut plesser sous l’horizontale et au point de contact avec le sol faire une deuxième entaille et marcotter la tige à cet endroit.
Dans la même idée, une tige irrégulière peut être ramenée dans l’axe de la haie par plusieurs entailles dans le plan horizontal.
Le plessage peut s’effectuer à différentes hauteurs. C’est alors la partie verticale des troncs qui sert  de piquet.
Les piquets peuvent être droits, inclinés, décalés, morts ou vivants, positionnés avant le plessage ou après.
Le sommet peut être coupé droit, en oblique, en pointe ou contenir un segment de branche qui aura le même rôle que la parure.
La parure connaît de nombreuses versions dont une des extrêmes est le chevron utilisé dans certaines parties du Yorkshire.
Des arbres de haut jet ou des têtards peuvent être présents. Ils sont facilement intégrés au système et apportent ombre, bois, fruits, beauté et enrichissent le biotope.

Article et réalisations Philippe Deltenre

 

Pour en savoir plus
Franck Viel, Le plessage de la haie champêtre, clôture vivante, Maison botanique (de Boursay) et Association Passages, août 2003.

Le plessage de la haie champêtre, clôture vivante, Guide technique, Maison botanique, 2012 (consultable en ligne).
Conduite de la haie : plessage, Fiche réalisée par le Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement de la Sarthe, 2009 (disponible en téléchargement).
Le plessage des haies, sur le site Internet de l’association Haies vives.
John Wright, A Natural History of the Hedgerow, Profile Books, London, 2017.
Murray Maclean, Hedges and Hedgelaying, The Crowood Press, 2020.
Alan Brooks, Hedging, A Practical Handbook, British Trust for Conservation Volunteers, 1975.

 

Le Plessis et la Plesse dans les noms de lieux

par Dominique Fournier (linguiste, spécialiste de la microtoponymie)

 La pratique du plessis, de la haie pliée ou plessée est attestée dans la toponymie normande depuis le Moyen Âge, et ses traces sont nombreuses en pays d’Auge. Le terme de base évoquant cette technique est l’ancien français plaisse, plesse désignant une haie faite de branches entrelacées, puis un terrain clos ceint d’une telle haie. Le mot survit en patois normand et d’autres parlers d’oïl avec un sens technique : il y désigne la branche d’une haie dépassant le niveau voulu de la clôture, et rabattue obliquement vers le centre où elle est maintenue par un lien. Il est aussi attesté dans le Berry au sens de “branche rabattue”, et dans le Maine avec celui de “clôture ; clôture en épines”. Ils’agit soit du dérivé de plaissier, plessier“plier; entrelacer” (du latin populaire °plaxare), soit du produit du gallo-roman °plaxa, féminin de °plaxu “plié, entrelacé”, issu du latin populaire °plaxus, réfection du latin classique plexus, de même sens.

Les mots plaisse et plaissier appartiennent à une très riche famille en ancien français, dont plaisseis, plessis est sans doute le mieux connu. Ce dernier possède tous les sens de plaisse, et a désigné plus généralementdivers lieux clos de haies entrelacées, de claies, de clôtures ou de palissades. De cette même famille relèvent encore plais, synonyme de plaisse (d’où le type toponymique le Plais, le Play, le Plix, etc.) ; plaissié, synonyme de plaisseis (d’où le type le Plessé, etc.); plaissee “clos, parc fermé de haies”, etc.

On constatera que de nombreux toponymes augerons du type la Plesse ou le Plessis ont désigné des manoirs et des fiefs ainsi défendus, mais aussi des domaines plus modestes ou des bois usant de cette technique. Pour ce qui est du premier type, connu dans toute la Normandie, l’un des domaines les plus importants de ce nom dut être celui de la Plesse, manoir, seigneurie et ancienne ferme à Saint-Germain-de-Montgommery (la Plesse 1666, la Plaise 1753/1785, la Plesse 1834, la Plisse 1835/1845, la Plesse 1883, 2022).

Mais c’est le type Plessis qui est le mieux attesté, tant dans le pays d’Auge (on y relève plus d’une vingtaine d’occurrences) que dans le reste de la Normandie, environ 150, sans doute plus, comme Le Plessis, lieu-dit à Forges (61). Parmi les toponymes les plus anciens, citons le Plessis, ancienne ferme et bois du fief de Beaumont-en-Auge (es plesseiz 1261/1266, le Plessis 1753/1785) ; ancien domaine vers Le Pin (le Plesseiz;eu Plesseiz du Pin 1261/1266 ; ancien bois à Ouilly-le-Vicomte (quoddam nemus cum fundo terre quod vocatur Le Plesseiz 1277) ; le Plessis Esmangard, nom primitif de Dozulé (Plessitium Ermengardis 1382 (?), Notre-Dame du Plessis Ermengard 1400, le fief du Plessis Esmenguard, autrement Silly 1620/1640, le Plessis Esmangard 2001) ; le Plessis, ferme, manoir et ancien fief à Saint-Germain-la-Campagne, 27 (le Plessis 1416, 1753/1785, 1998) ; hameau et ancien fief à Épaignes, 27 (le fief du Plessis 1540, le fief du Plessis, assis a Espaigne 1541, le Plessy 1753/1785, le Plessis 1878, 1985 ; etc.

 

 

 

Petits usages du noisetier

« Dans les haies, des noisetiers il y en a partout » raconte Raymond.  D’autres l’appellent « la coude » ou « le coudrier ». Pour le paysan ou le jardinier, le noisetier présente de nombreux atouts : c’est un bois souple, facile à travailler qui  convient bien pour les objets longs.
Les enquêtes menées auprès des anciens en Normandie ont révélé qu’une vingtaine d’objets étaient  facilement fabriqués.
A la ferme : Gaule, réquêt ou gaulet, perche, tendeur à peaux de lapin, manches d’outils, hart, fourchet, trique, baguette de sourcier, bâton de marche.
Au jardin : Cordeau, pique-chou, rames à haricots, rames à pois.
Jeux d’enfants : Lance-pomme, lance-pierre, bûchettes

Gaule à pommes : Les noisetiers les plus vigoureux poussent bien droit. On peut ainsi confectionner de longues gaules légères. Pour gauler les pommes, il ne faut pas frapper sur les branches comme une brute mais utiliser la flexibilité du bois de noisetier pour agiter les branches sans abimer les bourgeons.  A la fin de la saison, les gaules sont remisées à l’arrière du pressoir ou de la grange.
Quand on est assez jeune et peu enclin au vertige, on monte dans les pommiers les plus chargés en fruits pour abattre les pommes. On se sert alors d’une courte gaule, le réquet,  pour atteindre les fruits peu accessibles. « Quand mon père secouait une grosse branche, il pouvait faire tomber une « pouche » de pommes. » Le Pin  « J’ai un gaulet, petite gaule à pommes pour monter dans les pommiers ». Saint-Martin-de-Fresnay
Dès la fin du mois de juillet, les pommiers commencent à ployer sous le poids des fruits. Pour éviter que les branches ne se brisent, on les soutient avec des perches. Les pommes sont ainsi hors de portée des vaches même si on les entrave avec des « piétins ».

Ce petit bâton fourchu permet de redresser « l’herbe versée » quand on fait les talus, la faucille d’une main, le fourchet dans l’autre.

« Pour faire les harts, en général c’était la coude. Mais aussi avec les repousses  de chêne. Le père Couraye, il avait le coup, il en faisait en moins de deux pour lier les fagots. Ça se fait quand la sève marche. En mars, avril, ça se tordait mieux.  On faisait à mesure. En général,  c’était solide. Ça ne coutait pas cher, mais c’était moins rapide que le fil de fer.  C’était surtout pour faire des bourrées au pied, tu appuyais au pied, ça serrait, on tirait dessus avec le hart. J’aimais ça. » Francis,  Saint-Pierre-de-Mailloc

Tendeur à peaux de lapin ; Autrefois dans les fermes, lorsque l’on tuait un lapin, sa peau était mise à sécher dans un grenier sur un tendeur ou une fourche en noisetier dans l’attente du passage du marchand de peaux de lapins. Le prix de vente des peaux était dérisoire. « Ma mère nous remettait cette maigre recette qui était placée dans notre tirelire ». Le Pin

Quand on coupe une haie, on sélectionne les branches les plus droites et au diamètre adéquat pour confectionner tous les manches d’outils qui cassent fréquemment, de la binette à la fourche à fumier. On pèle  l’écorce du bois encore vert à la plane, « sur le banc à planer pour écorcer le noisetier ou peler le noisetier ». Ablon

« Je tresse trois pousses de coude ensemble. Je les attache et les laisse pousser au moins deux ans. Ça  fait une jolie canne ». René, Grandmesnil
« Mon père refaisait les barreaux des râteliers avec du noisetier pelé. » Renée, Saint-Désir-de-Lisieux
Le sourcier, celui « qui a le don de trouver l’eau» utilise uniquement une baguette fraiche de noisetier qu’il cueille dans la haie la plus proche. «  Dans ma ferme, quand j’ai décidé de creuser un puits pour abreuver tous les animaux, le patron de l’entreprise de forage a déterminé l’endroit où creuser avec une baguette de sourcier. » Saint-Pierre-de-Mailloc, 1990
Quand on change les veaux ou les bœufs d’herbage, il faut avoir une bonne trique pour les faire avancer, les arrêter ou les empêcher de se diriger dans une mauvaise direction. A utiliser avec modération. On ne frappe pas les vaches laitières que l’on doit pouvoir approcher chaque jour pour les traire. En revanche, on ne pénètre jamais dans la cour au taureau sans une grosse trique qui stationne toujours à l’entrée de l’herbage.

Pique-chou en noisetier

Le « haricot à rames » est une plante grimpante qui a besoin d’être tuteurée « Dès que les haricots réclament les rames ». Ils s’enroulent autour de baguettes de noisetier fixées deux par deux par le jardinier. L’hiver venu, les rames sont soigneusement remisées pour être réutilisées l’année suivante.
Contrairement aux haricots, le pois s’accroche aux rames avec des vrilles comme la vigne. Les branches d’orme en forme d’arrête de poisson convenaient bien pour le soutenir. Le noisetier a remplacé l’orme disparu des haies vers 1980.
« Mon grand-père était fier de montrer ses poireaux alignés « au cordeau ». Manerbe

Bûchettes en rameaux de noisetier dans un cahier de 1937, école de Grandmensil (14)

« Quelques jours après la rentrée des classes du cours préparatoire,  la maîtresse  nous a demandé d’apporter une dizaine de buchettes pour apprendre à compter. » Ecole Le Pin, 1963
Les « mauvais gamins » fabriquent facilement des lance-pierre qui peuvent s’avérer dangereux. Les plus intrépides s’en servent pour casser les carreaux des maisons abandonnées. « J’étais très adroit avec le lance-pierre. J’abattais un pigeon à 20 mètres, mieux qu’avec un fusil. » Pont-L’évêque.  « Dans les élingues, des fois on mettait des billes. » Thiéville.  « Lance-pierre pour tirer les merles ». Patrick, Clarbec
« Quelques jours après la rentrée des classes du cours préparatoire,  la maîtresse  nous a demandé d’apporter une dizaine de buchettes pour apprendre à compter. » Ecole Le Pin, 1963
Le lance pomme sert à multiplier la forme du bras.

A découvrir l’atelier découverte « Les petits usages du noisetier » sur les évènements à suivre…

Les haies : de vraies richesses pour les oiseaux

Dans la nature, autour des herbages ou près des habitations,  les haies, quel que soit leur type,  sont d’une grande importance pour les animaux, en particulier pour les oiseaux. En Pays d’Auge, plus d’une quarantaine d’espèces d’oiseaux  utilisent les haies à tous les étages.

Qu’elles soient hautes ou basses, jeunes ou anciennes, arbustives, buissonnantes, constituées d’alignements d’arbres, elles sont toutes intéressantes. En effet, elles apportent le couvert, la nourriture et  l’abri.

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Plantes magiques

Savoirs et superstitions

Au cours des enquêtes menées par Montviette Nature sur le patrimoine naturel en Normandie, les personnes interrogées ont raconté comment des plantes servaient à faire des blagues, soigner, faire peur, prévenir du mal et du malfait, deviner et même nuire…

Faire de mauvaises blagues en utilisant des plantes sauvages communes était le jeu des farceurs mais aussi des sorciers…

Avec les grandes herbes

Quand les gens circulaient chaque jour par les chemins de Normandie, ils se livraient parfois ou étaient victimes de cette farce : de chaque côté du chemin, on choisit de longues herbes que l’on       attache ensemble.

Alors au crépuscule, l’écolier qui rentre chez lui, la trayeuse ou l’homme de journée qui s’en revient du travail, se prennent les pieds dedans et  tombent.

"Baletière" et un peu sorcière, randonnée "Des bêtes et des gens", Montviette 2018
Se rendre invisible

On racontait aussi que l’on pouvait se rendre invisible !

Pour cela, il fallait fabriquer une potion, mais pas n’importe              laquelle.

Il fallait recueillir des spores de fougère quand elles se détachent de la fronde… mais avant qu’elles ne touchent le sol.

Cette récolte est presque impossible et le reste de la recette             demeure secret…

Des plantes pour soigner

Pour soigner les petits maux, passer le pipi au lit des enfants, tenter de guérir des bêtes malades, se débarrasser  des verrues, de l’eczéma ou de dartres

La fougère


« Pour passer le pipi au lit des enfants, mettre des fougères dans leur matelas. » Normandie
« Pour le fourchet, quand une vache boite, la faire piler sur un rond plantain. Le couper quand le pied est dessus. Puis faire sécher dans une épine de la haie. » Mittois, Montviette (14)

 

La plante à herber les veaux

« Il fallait herber les bêtes avec la plante à herber les veaux. Elle était dans le jardin cachée à cause des enfants, cultivée derrière la maison. Il fallait percer un trou dans l’oreille du veau, avec un fer rougi à blanc. La racine était grattée. On la gardait en place plusieurs jours. C’était les gamins qui       venaient la titiller plusieurs fois par jour. Il leur en venait gros comme ça. Le veau était sauvé ! Pareil avec les cochons. » Ronfeugerai (61)

Ellébore fétide en graines

 

Cerner les dartres

Cette recette retrouvée dans le tiroir du buffet de ses grands-parents fermiers entre 1920 et 1950 à Cussay (61) a été conservée et confiée à Montviette Nature par Monique.
« Demain matin à jeun, tu iras chercher 5 pousses d’Erable de l’année, les couper de manière que les petits rejetons qui se trouvent sur les pousses soient en forme de croix. Ensuite cerner la dartre plutôt en plus de grandeur qu’elle n’existe avec chacun des petits bois, les déposer tour à tour dans un petit sac, pendre le sac au-dessus de la porte où il passe le plus souvent, c’est-à-dire à la porte de votre cuisine.
Et dire ensuite cinq Pater et cinq Ave en l’honneur des cinq plaies de notre Seigneur Jésus-Christ. (Et toujours à jeun.)
Cerner avec la main droite du sens que le soleil tourne. »

……………………

« Trois pousses d’églantier ou trois pousses d’érable sur les dartres. Faire trois prières : trois Notre Père, trois Je vous salue Marie et trois Notre-Dame. J’avais attrapé ça sur les veaux. »  Écorches (61)

Passer les verrues

« Piquer la verrue principale avec la pointe d’une épine noire. Casser le rameau sans le détacher tout à fait. Il doit tenir encore par un petit morceau d’écorce comme un fil. Quand la branche est sèche, toutes les verrues sont parties. » Saint-Ouen-le-Houx (14)

« Couper la moitié d’une pomme de terre, la  poser sur la verrue,  reconstituer la pomme de terre et l’enterrer. Quand elle est pourrie, la verrue s’en va. » Sainte-Marguerite-des-Loges (14)

Erable champêtre
Prévenir et protéger

Prendre soin de sa maisonnée, protéger les bêtes et les gens, se prémunir des petits maux…
Autrefois, dans les fermes, on ne changeait pas les bêtes d’herbage le vendredi.

Pétales de rose

« Mon père faisait la pavée de la Fête-Dieu. Il prenait les roseaux d’une mare et plein de roses. Devant l’autel, on faisait une rosace, grande comme une assiette, qu’avec des roses. Le curé marchait sous le dais avec l’ostensoir. De petites filles avaient des  paniers de pétales de roses effeuillées. Elles les jetaient «  à l’ostensoir » sur le passage du curé qui bénissait les reposoirs. Après les vêpres, les gens ramassaient les pétales tombés au sol parce qu’ils étaient bénits. Ils les emportaient chez eux : ça protégeait la maison de la foudre. Au 15 août, après la procession avec les cierges, on emportait les cierges dans les maisons : on mettait ces flambeaux-là au pied du lit du mort. » Saint-Cyr-du-Ronceray, Cheffreville-Tonnencourt (14)

Prévenir et protéger 

Marron d’Inde

« Pour ne pas avoir d’hémorroïdes, mettre un marron dans sa poche. Le changer à la nouvelle saison et brûler l’autre. » Saint-Pierre-sur-Dives (14)

Buis
« Le jour des Rameaux on met du buis bénit dans les étables et les écuries. » Livarot (14)
«Quand vient l’orage, on asperge les pièces de la maison avec de l’eau bénite avec un rameau de buis bénit. »  Sainte-Marguerite-de-Viette (14)

Persil
« Le persil, il ne faut pas le repiquer ni donner des pieds. Accrocher une branche dans un arbre, il se sème tout seul. Il faut en ressemer tous les ans. La deuxième année, il ne faut pas s’en servir, il n’est plus bon. Il est devenu maléfique. » Ronfeugerai (61)

Prévenir et protéger 

Houx

« Pour protéger les animaux des maux de l’hiver et aussi pour ceux qui naissent pendant l’hiver, on mettait à la porte de l‘étable un bouquet, une gerbe ou couronne, faits de gui, de houx et de sureau. » Vire (14)
« Une feuille de houx et quelques grains de sel dans la baratte pour que le beurre prenne. »  Livarot (14)
« On suspend un bouquet de houx vert dans l’étable aux petits veaux. »  Asnières (27), Montviette, Notre-Dame-de-Courson (14)
« Pour soigner des cors aux pieds : prendre cinq ou sept pousses de houx, les pincer en leur laissant un morceau de pelure sur la tige. Il faut que la tige reste accrochée à l’arbre. Quand elles sèchent une semaine après, il n’y a plus de cors aux pieds. Ma voisine l’a fait. » Asnières (27)

Prévenir et protéger 

Chasse-diable

Millepertuis androsème ou « chasse-diable » : « Chaque été, ma grand-mère m’emmenait chercher une fleur jaune sur un talus. Elle disait que c’était pour parfumer son missel ». Thury-Harcourt (14)

Prévenir et protéger 

Ne pas manquer d’argent

En 1997, au Jardin Conservatoire, lors d’une visite guidée sur le thème des Plantes de la guerre, le guide présente topinambour, rutabaga, orge, et une petite plante sauvage, l’argentine, dont on a parfois mangé la racine. Dans le groupe, un homme très attentif, commence alors  à raconter  son aventure liée à cette plante : « Je travaillais chez un artisan et mon épouse faisait des ménages chez les autres. Je perds mon travail et je suis bien inquiet des revenus qui vont nous rester pour vivre. Je rencontre un copain qui me dit : « Tu vas aller faire un tour, chercher le lait à la ferme, ou promener le chien. Et sur le chemin, tu vas forcément trouver de l’argentine. Tu vas en cueillir une feuille, la mettre dans ton portefeuille en faisant un vœu :    celui de ne jamais manquer d’argent. Pas d’en gagner beaucoup, seulement de ne pas en manquer. Et tu vas continuer ta balade. » C’est ce que j’ai fait. Quinze jours plus tard un autre artisan m’a proposé du travail… » Dieppe (76)
Le terme « argentine » est identifié par le botaniste Alphonse de Brébisson.  (Flore de la Normandie, Première partie, Phanérogamie, A. Hardel, Caen, 1836, p. 98)
L’argentine ou potentille ansérine  est une plante vivace commune au bord des chemins,  autour des étables,  ainsi nommée en raison de ses feuilles couvertes en dessous d’un duvet d’un blanc argenté. Elle était aussi appelée « herbe à cochon ». La plante est signalée sous ce nom à Vimoutiers et la Ferté-Fresnel par l’abbé  A.- L. Letacq. (« Des noms vulgaires de plantes usités dans les cantons de Vimoutiers et de La Ferté-Fresnel (Orne) », Bulletin mensuel de la Société scientifique Flammarion d’Argentan, 1888, p. 128.)

Prévenir et protéger 

Absinthe

Au Breuil-en-Auge (14),  Geneviève s’en servait pour mettre ses poules à couver : «  À la pleine lune, les œufs éclosent bien. Mais à la nouvelle lune, ça s’en va en s’étiolant… Pour que la poule reste sur ses œufs, on mettait dessous, dans le nid, trois brins d’absinthe fraîche mais bien sèche, en étoile. Alors la poule reste bien sur ses œufs. »
Mais Geneviève met en garde : « Il ne faut pas en mettre plus. Une fois, j’ai mis plusieurs brins, ça l’a entêtée. Elle a laissé ses œufs… »
Pour une bonne couvée, les poussins doivent naître dans la journée, sinon la poule abandonne les derniers œufs à éclore.

Deviner

Ortie et pommes pour deviner


« Pour deviner le nom de mon futur époux, j’ai pelé une pomme sans casser la pelure. Je l’ai  jetée par-dessus mon épaule. En tombant par terre, la pelure a formé une lettre : l’initiale de mon futur… »
Pont-l’Évêque (14)

Une feuille d’ortie pour savoir si le malade       vivra…

« Pour savoir si un malade vivra ou mourra, mettre une ortie dans l’urine du malade pendant vingt-quatre heures. Si l’ortie sèche, il mourra. Si l’ortie reste verte, il vivra. » (Carnet de formules magiques d’un sieur Dossin des environs de Pont-l’Évêque, XIXe siècle – Société historique de Lisieux)

Des plantes pour nuire

Certains, malveillants, utilisent des plantes pour malfaire ou nuire : datura, if, œillet.

L’ « herbe aux sorciers » ou datura servait à « endormir » les bêtes à l’engraissement. En 1842, une dame d’Avranches voulut se débarrasser de son mari en lui en faisant absorber quotidiennement. Le malheureux réchappa de l’affaire après de       terribles souffrances et la dame termina sa vie en prison. (D’après Michel Vivier, revue Le Pays d’Auge)
« Des fois quelqu’un a de mauvaises pensées : il met de l’if coupé dans un herbage où il y a des bêtes. » Montviette (14)

 Œillet

« On m’a offert des œillets à mon mariage. Ma mère a dit que ce n’était pas bien de faire ça. »  Saint-Pierre-sur-Dives (14)
« Ma mère a eu un bouquet d’œillets et quelqu’un est décédé dans la maison presque aussitôt… » Sallenelles (14)

Faire peur

L’herbe éguérante

On craignait aussi de rencontrer le sorcier, surtout à la lisière des bois. Le fourbe aborde le passant, fait innocemment un bout de chemin avec lui, mais s’arrange pour le faire marcher sur une plante qui semble anodine. En fait, il s’agit de l’herbe éguérante. Le passant est alors incapable de retrouver son chemin et se perd dans le bois.
L’herbe éguérante n’est autre qu’une potentille des terres acides  qui pousse uniquement à la lisière des bois de feuillus, appelée tormentille ou tourmentille (Potentilla erecta). Sa fleur devrait avoir cinq pétales comme les autres potentilles, mais elle n’en a que quatre. On ne sait pourquoi.

Cette anomalie botanique n’égare pas que les marcheurs : dans un bulletin de l’association Le Pays Bas-Normand de Flers paru en juillet 1919,     J. Lechevrel rapporte qu’après avoir dansé autour du feu de la Saint-Jean « Filles et garçons voient avec mélancolie la flamme s’éteindre. […] C’est fini, malheur à qui s’attarde dans l’effusion d’une dernière étreinte, l’herbe éguérante cachera son chemin, il tombera de fatigue mystérieusement, attiré par les brindilles à l’étrange pâleur. »             (J. Lechevrel, « La chanson populaire au pays bas-normand », Le Pays Bas-Normand, juillet 1919,      p. 215)

Ne pas marcher sur la « tourmentine ». C’est une      « malherbe », l’herbe éguérante. Elle pousse en cercles dans toutes les forêts sauf celles à conifères et se cueille l’été. (D’après Anne Marchand, conteuse – Société historique de Lisieux)

 

Houlque laineuse
De bonnes blagues

Aujourd’hui les blagues sont plus raisonnables, comme de faire goûter une prunelle (Prunus       spinosa) à un innocent à la fin de l’été quand sa chair paraît mûre, délicieuse et attirante, mais s’avère en réalité horriblement astringente !

Au cours d’une balade, lorsque l’on voit des graminées bien mûres, comme la houlque laineuse (Holcus lanatus),  le plaisantin peut proposer de confectionner des paniers en tressant de manière savante quelques tiges de graminées ramassées.
Pour tresser ces brins, il réclame de l’aide. Il croise alors les herbes dans la bouche de sa victime, lui demande de serrer un peu, juste ce qu’il faut,  et… tire d’un coup sec.

« Holcus lanatus, une des trente espèces les plus répandues dans la région. »

La houlque laineuse pousse dans les prairies et sur les talus, au bord des chemins de Normandie.

(Michel Provost, Atlas de répartition des plantes vasculaires de Basse-Normandie, Presses universitaires de Caen, 1993)

La laîche et le livarot

La « laîche », ce grand roseau spontané des lieux humides, est depuis plus d’un siècle lié à la fabrication du livarot…

En 1980, Denis, diplômé de l’école de fromagerie de Mamirolle dans le Doubs, s’installe à la Houssaye à Boissey.

« Quand j’ai repris la fabrication du livarot, on n’utilisait plus de laîche. C’était seulement du papier : vert chez Desjardins, orange chez Graindorge. Yves Meslon avait été le dernier à utiliser  de la laîche autour de son fromage le cadichon. Il la  ramassait sur un étang à Montviette. »

« Le livarot est fait au lait écrémé. C’est un fromage maigre un peu comme le gauville fabriqué près de L’Aigle. Ce dernier faisait moins de trois centimètres de talon, alors que le livarot est épais, ce qui oblige à tenir la pâte.

J’ai repris la laîche, car je supposais qu’elle conservait l’humidité autour du fromage  et offrait un habitat aux micro-organismes. Le service des fraudes me l’a déconseillé. J’ai proposé des analyses sur la laîche sèche ; ils n’ont rien trouvé. »

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La laîche, en réalité le Typha latifolia ou massette ou « roseau totem », est le plus grand roseau des zones humides de Normandie. Sa fleur, un pompon brun foncé, était utilisée dans les bouquets secs et vendue chez les fleuristes.

Ses longues feuilles résistantes et souples avaient aussi servi à attacher les piles de camemberts, car  avant l’introduction des boîtes en peuplier  ils étaient simplement rangés dans des caisses en bois.

« Quand Renée ma grand-mère était jeune, elle a vu les camemberts en bottes attachés avec de la laîche, pour les amener sur les marchés. » Écots (14)

Préparer la laîche

Les fermiers ont d’abord utilisé la laîche qui poussait dans les fossés. Puis ils l’ont cultivée dans les mares. Armand se souvient que les vaches aimaient tellement la laîche qu’il a fallu planter des haies autour ou clôturer les mares.

Les plus anciens témoignent : « En septembre, on coupait la laîche sur la mare avec les voisins. Les femmes la nettoyaient et la calibraient. Mise en bottes, elle était pendue à sécher dans les greniers. » Montviette (14)

Images : La coupe de la laîche, Raymond Leprieur, 1988 ; Coupe de la laîche Montviette, 1954, photographie coll. Montviette Nature, Etiquette boîte à fromage de la ferme Leboucher, Montviette, vers 1920, coll. Montviette Nature.  

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Cette pratique abandonnée pendant quelques années est relancée par Denis : « Isidore Guilmin m’a montré. La pousse, je ne m’en occupais pas. Dans la deuxième quinzaine d’août, on la coupait à la serpe. Ensuite on l’effeuillait. On ne gardait que le vert, le beau roseau. Puis on la mettait dans le grenier en bottes.

Une fois sèches, on emmenait les bottes à madame Madeleine et chez les écaleuses.

Fernande travaillait aux caves chez Desjardins à Sainte-Marguerite-de-Viette et, les soirs d’hiver, elle emmenait ça à faire chez elle à Montviette. Elle utilisait un couteau pointu. Auparavant on écalait avec un morceau de buis taillé en pointe.

Carte postale Fromagerie Desjardins, Sainte-Marguerite-de-Viette (14), coll. Montviette Nature.


Encore aujourd’hui, on la fend en lanières que l’on gratte avec le couteau ou l’ongle du pouce pour enlever l’espèce de moelle, comme sur le jonc. On reforme ensuite la botte et on la plie en écheveau.

Plus tard, quand on en a besoin pour lier le livarot, on trempe la botte dans un seau d’eau et on déplie l’écheveau pour le travailler. »

Cette pratique devrait se développer puisqu’à compter du 1er mai 2017, le cahier des charges AOC (appellation d’origine contrôlée) et AOP (appellation d’origine protégée) impose l’utilisation de la laîche autour du livarot 4/4 d’un poids de 450 à 500 g.