« On a manqué de tout dès le début de la guerre. J’avais treize ans quand la guerre a commencé. » Marguerite, Montviette (14)
Les restrictions :
Janvier 1940 : premières pénuries alimentaires.
12 juillet 1940 : création d’un ministère de l’agriculture et du ravitaillement.
7 décembre 1940 : les services du rationnement sont mis en place dans les départements.
Dès le début de l’Occupation allemande en Normandie (mai 1940), la population manque de denrées essentielles, comme le blé, le pain, les pommes de terre, le sucre, l’huile ou le savon, mais aussi le café et le tabac. Alors on les remplace par des plantes de substitution.
« Au pensionnat à Livarot, à la rentrée de 1940, on nous servait au réfectoire des bettes justes cuites dans l’eau, sans aucun assaisonnement. C’était particulièrement mauvais ! » Denise, Madeleine Même si « en ferme, on avait ce qu’il fallait. » Raymond
Le pain noir
« Les réquisitions, ça venait du gouvernement dans les mairies. Ils réquisitionnaient selon la grandeur de l’exploitation. On était imposés à donner aux coopératives du blé, de l’avoine, de tout, un peu de tout. » Vendeuvre (14)
« On faisait du pain d’orge, car le blé était réquisitionné. Dans la farine d’orge, il y avait des barbillons. Ça nous blessait les gencives. » Escures-sur-Favières (14)
« Dans l’Eure, pendant l’Occupation, on portait le grain et on revenait chercher la farine. » Yvonne
« On portait notre grain au moulin de Vicques. On allait porter le jour. « Vous revenez dans deux jours.« Il avait du boulot : tout le monde apportait du grain à moudre. » Raymond
« On a réparé les fours avec de l’argile et on a cuit le pain dans les fours. » Laurent, Orne
« Selon les familles, on avait la carte de pain. »
« Pour le repas de communion, on n’avait que du pain noir à l’époque. Nous, on est allés ramasser du blé à la campagne où il restait des trésiaux (gerbes de blé debout rangées en rond). Il ne fallait pas toucher aux trésiaux. Et on glanait dans le champ.
On est allés au moulin d’Ouville (Ouville-la-Bien-Tournée). La farine, on l’a donnée à Monsieur Clément, le boulanger. Il nous a fait du pain blanc. Pour nous, c’était une fête. » Marie-Thérèse, Donville, Saint-Pierre-sur-Dives (14)
« On a mangé du sarrasin, en bouillie. » Lisieux (14)
« Chez le boulanger, si le pain ne faisait pas deux kilos, il y avait un pain dans lequel le boulanger prenait un bout : le « pain de pesée ». » Saint-Pierre-de-Mailloc (14)
« Pendant la guerre, les boulangers ont attrapé la gale du pain. Ils avaient des croûtes sur les mains à cause de la farine qui était si mauvaise. » Montviette, Garnetot (14)
Rutas et topinambours
Avant l’Occupation, rutabagas et topinambours étaient cultivés comme plantes fourragères.
Le topinambour servait à l’engraissement des cochons. Dès 1940, il est consommé à la crème, à la vinaigrette ou avec seulement de la moutarde. « On a mangé des rutabagas en frites. Rien n’était perdu : les tiges et les feuilles étaient données aux lapins. »
« On a cultivé des haricots ‘Soissons’ à très gros grain. On les cultivait en grand. » Témoignages Jardin Conservatoire
Laisser de la terre pour les pommes de terre
Dès 1941, « il a fallu laisser de la terre pour cultiver des pommes de terre en grand. » Livarot (14)
À Saint-Pierre-sur-Dives, tous les terrains en friche de la ville sont répartis en lots de 200 mètres carrés et confiés aux personnes qui veulent cultiver des légumes. Délibérations 1941 et 1942 (Archives communales)
« On mangeait des radis noirs, des bettes et des betteraves aussi. C’était cultivé sur le terrain de sport. » Saint-Pierre-sur-Dives (14)
« On a mangé la moelle des choux à vache, juste bouillie avec un peu de beurre. » Avranches (50), Témoignage Jardin conservatoire , 1er mai 2009
« Pendant la guerre, une partie du jardin a été cultivée en ‘Soissons’ et l’autre en pommes de terre. » Témoignage Jardin Conservatoire
« Ça germe ; il fallait égermer. Pour cultiver, on ne mettait en terre que les yeux des pommes de terre. » Témoignage Jardin Conservatoire
Entre les pages d’un Manuel de culture potagère publié en 1943, son propriétaire de l’époque a glissé un « Plan de culture du jardin pendant l’Occupation, (42, 43) » annoté de méthodes de semis des scorsonères, navets, carottes et poireaux. E. Delplace, Manuel de culture potagère, E. Meyer éditeur, Paris, 1943. (Collection Montviette Nature)
Les jardins scolaires
En février 1943, une circulaire de l’inspection académique du Calvados impose la création de jardins scolaires en ville comme à la campagne pour contribuer au ravitaillement national.
À Montviette, l’instituteur ouvre son jardin, situé devant son logement, aux élèves et fait un reportage photographique.
Des plantes sauvages :
« Sur le marché de Vimoutiers, on faisait passer des racines de consoude pour la scorsonère géante de Russie !» raconte Jean Bréteau.
« Les nonottes, c’est comme du radis blanc, tout petit dans les herbages. Ça pique un peu. Les gamins les ramassaient sur les talus. » Falaise, Trun (14) – Bailleul (61)
La génotte, ou noisette de terre (Conopodium majus, Apiaceae), est une petite plante assez commune. Elle pousse en bord de forêt, sur sols acides et légers. Son tubercule est comestible.
« Du sucre avec du jus de pomme »
« Pas de sucre. Le sucre, c’était pour les Allemands. » Vendeuvre (14)
« Au début de la guerre, dans la première maison où je travaillais, aussitôt on a manqué de sucre. » Toutainville (27)
« On a cuit de la rhubarbe sans sucre, de la compote sans sucre. Depuis, je n’ai plus mangé de rhubarbe. Rien que le mot rhubarbe… » Hélène, Caen
« On faisait une confiture de carottes à confiture, des carottes violettes, auxquelles on ajoutait un quart de pommes sures. » Grandmesnil (14)
Dans toute la Normandie, dans les fermes, on a fabriqué de la « compote de cidre » ou du « sirop de cidre » pour remplacer le sucre : « Mon père fabriquait du sucre avec du jus de pomme. On coupait des pommes dedans. On les cuisait très longtemps, dans une bassine en cuivre. Quand il était réduit, on arrêtait et on le mettait en pots. Ça faisait un sirop épais. On mettait des pommes de Duret. Ça n’avait pas tellement le goût de pommes, mais ça sucrait. » Marguerite, Montviette (14)
« Le sirop de cidre avec du cidre doux cuit, ça épaississait et on mettait en pots. » Vaudeloges (14)
Lierre et herbe à savon
« On a fait du savon avec de la soude caustique, du gras de bœuf et une grosse poignée de feuilles de lierre. Elles cuisent, on ne les retrouve pas. Il faut faire bouillir longtemps avec un peu d’eau. Puis on versait dans un bidon coupé. Quand c’était bien froid, on coupait des morceaux. On laissait sécher sur une planche jusqu’à ce qu’ils ne collent plus. » Sainte-Marguerite-de-Viette (14)
« Pendant l’Occupation et bien après la guerre, on a refait la lessive à la cendre. On mettait le linge à tremper dans la cendre. Ils frottaient, rinçaient au lavoir. » Montviette. Le Pin (14)
« Ma mère me lavait le visage avec de l’herbe à savon. » Flers (61)
Le tabac : « On a fumé des feuilles de noyer. »
« On a manqué de tabac. Il fallait un ticket. J’avais l’âge d’avoir le droit à la carte ; j’avais un paquet de gris à rouler tous les mois. » Laurent
Le tabac a aussi beaucoup manqué. Certains on pu se procurer des graines en Belgique. « On avait droit à sept, huit pieds. Un grand tabac difficile à faire sécher. » À défaut, d’autres ont dû rechercher des plantes à sécher. « On a fumé des feuilles de topinambour et des feuilles de noyer. Il fallait les faire sécher et les couper en petits morceaux pour mettre dans la pipe. » Saint-Pierre-de-Mailloc (14)
« J’ai fumé des feuilles de pomme de terre. » Lisieux (14)
La cantine d’Occupation
« Ils ont tiré la faim du ventre des gamins… » à Saint-Pierre-sur-Dives (14)
« À l’époque de l’Occupation allemande, on était une famille nombreuse, on était sept gamins. À Saint-Pierre, un couple qui n’avait pas eu d’enfants a ouvert une cantine pour les grandes familles. On avait du pain, du pain un peu mieux. » Marie-Thérèse
« Monsieur Gustave allait dans les fermes chercher des pommes de terre. Je me souviens : on mangeait du boudin et de la purée. Ils nous ont tiré la faim du ventre, et à tous les gamins. On n’était pas moins d’une quarantaine et pendant toute la guerre… »
« La cantine était entre l’église et l’école. C’était comme une grange. La cuisine était dedans. La mère d’un des enfants faisait toutes les peluches et son fils Lucien venait l’aider. » Marie-Thérèse, Monique, Saint-Pierre-sur-Dives (14)
Arthur Gustave, 1877-1950, est élu adjoint au maire en 1941. Avec son épouse, ils mettent en place la « cantine d’Occupation » dans un bâtiment près de l’abbatiale, aujourd’hui disparu. Arthur Gustave a reçu la médaille d’argent de la reconnaissance française à titre civil pour bon fonctionnement des services administratifs du 6 juin au 20 août 1944.
Le « café de jardin »
Depuis 1920, les familles ont pris l’habitude de boire un café, au moins le dimanche.
Le café vert est torréfié dans les bourgs. Dès 1940, il est remplacé :
« On grillait de l’orge ; des fois, des glands. Un bonhomme a fait du café avec des carottes jaunes coupées en rondelles et moulues… »
« Enfants, pendant et bien après la guerre, on nous envoyait récolter à la campagne deux ou trois rangs d’une fève très grande, cultivée pour le café. Les gousses étaient mises à sécher à l’abri. Le grilloir que l’on se passait de ferme en ferme, ou que l’on empruntait à l’épicerie du village, était un cylindre qui tournait au-dessus de la braise. Ce café était très gras. Un autre produit de remplacement du café fut la carotte jaune : on les coupait en tranches minces pour les griller au four jusqu’à ce que les morceaux soient cassants et d’une belle couleur marron. On peut alors les moudre. » Saint-Frimbault (61)
« Le boulanger faisait griller l’orge dans son four à bois. » Vimoutiers (61)
Remplacer l’huile
« Pendant la guerre, l’huile c’était rare. » Renée, Grangues (14)
« Avant, on avait de l’huile d’olive, achetée en bonbonnes de cinq litres en verre et recouvertes de liège. On la mettait en bouteilles au fur et à mesure qu’on en avait besoin. » « L’huile on la remplaçait par de la crème pour la vinaigrette : une cuillère de crème, vinaigre, sel, poivre. » Montviette (14)
Du vinaigre pour mariner
« On a mangé du renard… Mon père le mettait toute la nuit dans le vinaigre. On avait du mal à s’y faire. Ma mère l’a fait mariner toute la nuit. Elle mettait ses morceaux à mariner dans le vinaigre avec des oignons, de l’ail, comme du civet. » Saint-Pierre-sur-Dives (14)
Des fleurs à la Libération
« On a donné des bouquets de fleurs aux Canadiens.» Jort (14)
« Une fleur, une seule, comme ça une rose. » Falaise (14)
« La veille, il y avait eu la tragédie de Saint-Michel-de-Livet. Une famille avait offert des fleurs aux Anglais. Des Allemands cachés les ont vus et les ont tués. Seuls survivants : une fille et un petit réfugié cachés sous un lit. Donc on n’a pas donné de fleurs aux Anglais. » Montviette (14)
Autel des prisonniers et oratoires
« Pendant la guerre, le curé Ménager avait dressé un autel dans l’église de Montviette (14). On priait pour eux tous les dimanches. » Roger
« Après la Libération, les réfugiés de Saint-Georges-en-Auge (14) ont construit un oratoire à la Vierge, pour remercier d’avoir été épargnés. » Thérèse
À Saint-Pierre-sur-Dives (14), un autre oratoire à la Vierge est aménagé dans le mur du manoir des Roches.
Bien après la guerre
1er novembre 1945 : suppression de la carte de pain.
28 décembre 1945 : rétablissement de la carte de pain.
1er mai 1947 : la ration officielle de pain est fixée à 250 grammes par personne.
« Les tickets, ça a encore duré un moment.
« J’ai fait ma communion en 1947. Chacun amenait ce qu’il pouvait avec des tickets. On n’a pas fait de menu. » Hélène, Caen