Archives pour la catégorie Plantes cultivées

Aspérule odorante ou petit muguet

Étrange petite plante sauvage qui ne sent rien lorsqu’elle est fraîche et qu’il est nécessaire de laisser sécher pour en sentir le parfum. En redécouvrir les usages…

Sous les hêtres

L’aspérule odorante (Galium odoratum) est une plante discrète des sous-bois de feuillus. En forêt de Montpinçon (Calvados), elle pousse sous les hêtres et les chênes en touffes serrées. En mai, sa floraison est remarquable : ses petites fleurs blanches en étoile tapissent le pied des arbres.

Mais paradoxalement elle ne sent rien, ou presque, quand elle est fraîche. Son arôme se dégage lorsque l’on coupe la fleur et qu’elle commence de sécher. La plante dégage alors un parfum d’amande.

Muguet des armoires

Autrefois, en Basse-Normandie,  les fleurs et le feuillage séchés de l’aspérule étaient glissés en bouquets enveloppés de papier de soie entre les piles de linge rangées dans les  armoires pour éloigner les mites, d’où son nom de « muguet des armoires ». Le botaniste normand Louis-Alphonse de Brébisson ajoute, dans sa Flore de la Normandie en 1835, qu’il a entendu  qu’on l’appelait  « petit muguet ».

Elle fut tellement utilisée que les Normands l’ont cultivée au jardin. Culture facile à conduire.

En cuisine

Le chef cuisinier Jean-Marie Dumaine, originaire de Tinchebray, exerce ses talents en Allemagne. Il ne cuisine que les plantes sauvages. En 2012, pour son retour dans son pays natal, et avec la complicité de Montviette Nature, il avait préparé une délicieuse crème à l’aspérule. La veille, il avait parfumé le lait chaud en y  laissant, toute la nuit, des feuilles et des fleurs sèches d’aspérule. Le lendemain, après l’avoir égoutté, il avait préparé une crème aux œufs selon une recette traditionnelle.

Dangers et vertus de l’absinthe

Malgré sa mauvaise réputation, l’absinthe a été cultivée dans les jardins de Normandie, mais pour de curieux usages…

Au banc des accusées

En 1906, la Ligue nationale contre l’alcoolisme tempête contre l’usage de l’absinthe : « Elle rend fou et criminel, fait de l’homme une bête et menace l’avenir de notre temps. »

À la fin du XIXe siècle, la consommation abusive de l’absinthe distillée est responsable de formes de folie qui amènent les autorités à l’interdire à partir du 16 mars 1915.

Cette mesure restera en vigueur pendant 96 ans.

Et pourtant, pourtant…

Au  XIIe siècle, l’usage de la plante (Artemisia absinthium) était préconisé par sainte Hildegarde qui lui accordait de nombreuses vertus :                                   « Vin d’absinthe en friction sur la tête jusqu’au matin avec un bonnet de laine

Pour éclaircir les yeux, donner un élixir d’absinthe fait de vin cuit dans du miel et de jus d’absinthe

Troubles digestifs, hypertension

Inflammation des gencives : vin d’absinthe

Pommade contre l’arthrite faite de jus d’absinthe, de graisse de cerf et de bouc.  »

(Hildegarde de Bingen, Physica)

De même, le Livre des simples médecines publié au XIIe siècle recommande l’emploi de l’absinthe contre une douzaine de maux dont les vers du ventre, l’obstruction du foie et la jaunisse, les maux de tête, l’apoplexie…

Le comble est sans doute « contre l’ivresse, donner du jus d’absinthe avec du miel et de l’eau chaude ».

Elle est même appelée herbe sainte

Dans sa Flore populaire de la Normandie en  1887, Charles Joret mentionne le nom d’ « herbe sainte » à propos de l’absinthe dans la région de Condé-sur-Noireau.

Certaines femmes s’en servent de contraceptif. Parfois même, elle entre dans des préparations abortives avec la rue officinale.

On l’appelle aussi l’ « herbe aux vers ». Pour les adultes, les feuilles sont mises à macérer dans du vin blanc.

Aux enfants sujets aux vers, chaque printemps, on fait boire une tisane de feuilles. « J’ai le souvenir d’une boisson très amère », grimace Roland, qui s’était arrêté comme de nombreux visiteurs devant la plante au Jardin Conservatoire à Saint-Pierre-sur-Dives.

À la nouvelle lune…

Au Breuil-en-Auge, Geneviève s’en servait pour mettre ses poules à couver. Elle raconte : «  À la pleine lune, les œufs éclosent bien. Mais, à la nouvelle lune, ça s’en va en s’étiolant… Pour que la poule reste sur ses œufs, on mettait dessous, dans le nid, trois brins d’absinthe fraîche mais bien sèche, en étoile. Alors la poule reste bien sur ses œufs. Il ne faut pas en mettre plus : une fois j’ai mis plusieurs brins, ça l’a entêtée ; elle a laissé ses œufs… »

Pour une bonne couvée, les poussins doivent naître dans la journée, sinon la poule abandonne les derniers œufs à éclore.

On peut lire les ouvrages de Benoît Noël sur l’histoire de l’absinthe aux Éditions BVR.

L’arbre aux chapelets

Les historiens estiment que l’usage du chapelet coïncide avec les débuts du culte à la Vierge Marie, probablement dès le Xe siècle.

Graines et gousses d'arbre aux chapelets
Histoire du chapelet

À l’origine, le chapelet est une couronne de fleurs appelée « chapel » ou petit chapeau. Cette couronne devient un objet religieux et se transforme. Le chapelet catholique est constitué de cinq dizaines de grains pour compter les Je vous salue Marie.
Dès le Moyen-âge, les chapelets sont fabriqués en perles de verre et le plus souvent en perles taillées dans des os de cheval. C’est le métier du patenostrier. Ces chapelets sont réservés aux paroissiens plutôt fortunés. Les pauvres doivent se contenter de matières peu chères. Ainsi, dans les couvents, on a cultivé un arbre sur lequel on récolte des graines qui sont ensuite enfilées.

Fleurs en grappe odorante, début mai
L’arbre aux chapelets

Selon de récentes recherches menées par des historiens, il semblerait que, dès le Xe siècle, et jusqu’au XIIIe siècle, des moines cisterciens établis en Hongrie aient rapporté le Staphylea pinnata, puis l’aient cultivé dans les monastères de l’est de la France (Publication de la Société des naturalistes luxembourgeois, 2000). Cette pratique se serait ensuite répandue dans l’ensemble du pays. Les graines récoltées fraîches au milieu de l’été servaient à fabriquer le chapelet des pauvres.

Les gousses de l'arbre aux chapelets

Au XVIe siècle, dans le Nouvel herbier des plantes qui croissent en Allemagne de Jérôme Bock, il est précisé à propos du staphylier : « On en  fait aussi des chapelets. »
Cette culture se répand ensuite un peu partout en France. En Pays d’Auge, nous en avons retrouvé des sujets dans des jardins à Moyaux, Grandmesnil, Saint-Martin-de-Fresnay. Un staphylier pousse dans la haie d’un herbage à Bavent…
Un arbre aux chapelets fleurit dans le jardin du moulin d’Argences et un autre au Jardin Conservatoire à Saint-Pierre-sur-Dives.
Cet arbuste de deux à cinq mètres est spontané en Alsace et dans le nord du Jura. Au jardin,  il se multiplie facilement par semis ou drageons. Début mai, ses fleurs  en bouquets blancs embaument les parterres.
Dès le XVIe siècle, différents ouvrages de botanique signalent l’usage des graines de staphylier pour la fabrication de chapelets. (D’après F. Geissert,  Bulletin de l’association des Amis du jardin botanique de Saverne, 2001, p. 21-25)

Vers 1850, Arthème Pannier note dans un de ses carnets conservés à la société historique de Lisieux la présence d'un staphylier.
Les graines sont récoltées début juillet

Cocos normands

Le haricot, rapporté par les conquistadors, est introduit assez tard en Europe du Nord. À la fin du XIXe siècle, des variétés normandes font leur apparition sur les marchés, comme le ‘Coco de Pont-Audemer’…

Les « pois de mai »

Au XVIIIe siècle, deux siècles après leur découverte par les conquistadors, les Normands adoptent ces légumineuses qui ressemblent fort aux pois et aux fèves qu’ils consommaient depuis toujours… Ainsi, les premiers haricots cultivés en Normandie sont appelés « pés » ou « pois de mai » et parfois « fèves ». Ferdinand Gidon, médecin à Caen, a mené des recherches sur l’origine des plantes alimentaires en Normandie. Dans ses « Notes pour l’archéologie de l’alimentation » publiées en 1936 (Bulletin de la Société des antiquaires de Normandie), il écrit : « Le haricot décrit par Albert Legrand au Moyen-âge était en France du Nord et en Allemagne une forme naine de Dolichos ou Vigna appelées fèves à visage, fèves peintes, cultivées jusqu’à l’arrivée en Europe du haricot (Phaseolus) rapporté par Christophe Colomb. Mais le nom de haricot est étranger au dialecte normand. »

Le 'Soissons' à rames
Coco de Pont-Audemer

Les premiers haricots introduits sont à rames et se mangent secs ou demi-secs. Leur gousse est dure et parcheminée et ne se consomme pas. Le type même en est la variété ‘Soissons’. Puis les haricots ont évolué : les grains deviennent plus fins et apparaissent les variétés « de pied », naines. Au début du XXe siècle, on trouve sur les marchés des variétés locales dont la généalogie n’a pas été déterminée : le ‘Coco de Caen’ ou le ‘Pont-Audemer’…

Le 'Coco de Pont-Audemer'

En 1937, la Maison André Heusse, rue Pont-Mortain à Lisieux, propose aux jardiniers un ‘Haricot prolifique de Lisieux’ et le ‘Coco de Caen’.
Jusqu’en 1960, les jardiniers de l’Eure et de Lisieux ont cultivé le ‘Coco de Pont-Audemer’.

Claude Mesnil, président de la Société d’horticulture de Lisieux jusqu’en 2014 et maraîcher à la retraite, se souvient : « On était des producteurs de ceinture. Nos terres étaient juste à la sortie de la ville. Le ‘Pont-Audemer’, c’était un fameux haricot, on le cultivait sur nos terres, rue Roger Aini et ensuite au Breuil-en-Auge. À la fin de l’été, on le vendait sur les marchés de Lisieux et de Cabourg. » Et Claude ajoute que pour la récolte  « il y avait des tâcherons, des cueilleurs qui faisaient les vendanges, la saison en montagne, les cueillettes de cerises, de fraises, de fruits. Ils arrivaient en voiture avec leur caravane. Ils cueillaient les haricots. »

Claude Mesnil, maraîcher à Lisieux, trie ses cocos

À Condé-sur-Noireau, à l’occasion d’une conférence à la médiathèque,  un jardinier âgé a envoyé son fils remettre à Montviette Nature le ‘Coco de la Passion’ « pour qu’il ne soit pas perdu ».

Il est aujourd’hui cultivé et remis dans le circuit des échanges…

Retrouver la recette ?

Un jardinier raconte : « À Saint-Julien-sur-Calonne, on cultivait le haricot ‘Saint-Marc’. On le semait le jour de la Saint-Marc, le 25 avril. Ce haricot était proche de la variété ‘Pont-Audemer’… »

Un soir, à la fermeture du Jardin Conservatoire à Saint-Pierre-sur-Dives, une famille apporta une boîte contenant des haricots. Des cocos. Ils se souvenaient : « Lorsque l’on était enfants, on allait chez notre grand-mère, près d’Orbec. Elle nous servait une tarte aux cocos. On n’en connaît pas la recette… »

Les primevères à oreilles

Les primevères « à oreilles » ou auricules sont de petites plantes discrètes encore cultivées par des grands-mères attentives et des amateurs éclairés…

dans un jardin de grand-mère
Bleu porcelaine
Auricule feu ou caramel

La rencontre avec les primevères à oreilles peut étonner : elles sont bleu porcelaine, caramel, feu, grenat ou pourpre. Et les pétales de certaines fleurs sont comme poudrées de farine ! C’est une vivace indigène originaire des Alpes. Son nom vient de la forme de ses feuilles lisses en forme de cornet.

Leur histoire

Au XVIe  siècle, le botaniste Charles de L’Écluse ramasse cette petite plante discrète aux environs d’Innsbruck et la met en culture au jardin des plantes de Vienne. L’Europe va s’emparer bien vite de cette nouveauté : elle paraît dans les bouquets peints des œuvres flamandes dès le début du XVIIe siècle. Des tisserands exilés introduisent l’espèce en Angleterre où seront développées les « poudrées », au point d’en faire une spécialité, appelée plus tard les « anglaises ». Les horticulteurs français les achètent aux Hollandais pour les cultiver dans le nord. Ils créent de nouvelles variétés aux couleurs raffinées. Elles sont présentées à la cour de France en 1685.
Au XIXe siècle à Liège, les habitants  fiers de leurs collections les exposent à leurs fenêtres ou leurs balcons sur de petits gradins. Vers 1850, la mode gagne Paris où elles sont exposées dans de petits théâtres à fond peint d’un paysage.
Les célèbres pépiniéristes Vilmorin et Andrieux leur consacrent plusieurs pages de présentation dans le volumineux catalogue Les fleurs de pleine terre de 1894.

En Normandie

Dans la plupart des jardins, elles sont cultivées soit en petites bordures à l’ombre, soit le plus souvent dans une terrine ou dans de vieilles bassines qui ne servent plus à la maison. Les coloris sont assez variés, allant du bleu au grenat ou feu. L’œil de la plante est blanc ou jaune. Il est difficile de classer ces variétés dans un des types  précis décrits au XIXe siècle. Vilmorin et Andrieux en avaient proposé quatre :  les « pures » ou « ordinaires » à  coloris bleuâtre ou feu  et à œil blanc, les « liégeoises » à œil jaune ou olive, les « anglaises » toujours poudrées et, enfin, les « doubles ».

En Normandie, elles semblent apparaître tardivement avec la mode des plantes grasses à la fin du XIXe. Le cultivateur grainier A. Lenormand, installé à Caen depuis 1860, ne cultive que la  ‘Liégeoise variée’ qu’il décrit comme « extra, plante très jolie mais pas assez cultivée ». Elles figurent à son catalogue de 1909.  En 1928, l’établissement Rosette, rue Saint-Jean à Caen, propose des graines d’auricules liégeoises variées. En 1937, il n’y en a plus au catalogue Le Paysan. La mode en est passée…
Comme les primevères sauvages, les auricules fleurissent en avril et, au mois d’octobre, quelques fleurs réapparaissent dans les bordures ou les potées. Elles ne gèlent pas. Leur seule crainte est le trop d’humidité.
En Pays d’Auge, les variétés les plus rustiques sont conservées par des grands-mères soigneuses. Elles les reproduisent  par éclats de racine ou par bouture. Le semis est beaucoup plus délicat.

À Tortisambert, le calvaire est fleuri d’une potée d’auricules grenat.

dans un jardin de grand-mère
Auricule grenat

Dièreville, de Pont-l’Evêque jusqu’en Acadie

Au XVIIe siècle, Dièreville, chirurgien à Pont-l’Évêque, s’embarque pour l’Acadie à la recherche de plantes pour le Jardin du roi. Mais qu’allait-il faire en Acadie ?
Dièreville est un inconnu en Normandie, tandis qu’il est réputé pour ses écrits en vers  et ses récits de voyage au Québec et dans le reste du Canada. Mais il reste toutefois un personnage énigmatique…

Selon le chercheur québécois Normand Doiron, professeur de littérature française de l’université McGill de Montréal, les Dières sont originaires d’Irlande et s’établissent à Pont-l’Évêque au XVIIe siècle. Vers 1648, le père Marin Dières, chirurgien des armées du roi, épouse Marie Goguet des Ardillers, fille du maire de La Rochelle. Ils ont quinze enfants, dont huit sont baptisés à Pont-l’Évêque.
Marin, du même prénom que son père, est baptisé le 24 juillet 1653. À propos de son prénom, il écrira :    « N’ayant pour tout que le nom de Marin, j’enviois le courage de tous ces matelots. »
À partir de 1682, le jeune Dières se fait connaître dans les milieux littéraires par des pièces en vers publiées dans la revue Mercure Galant, qu’il signe « Dières du Pontlesvesque ».

Chasseur de plantes en Acadie

Le 20 août 1699, à 46 ans, Dières embarque sur la Royale Paix au départ de La Rochelle pour Port-Royal (aujourd’hui Annapolis Royal) en Acadie. Dans son ouvrage, la Relation du voyage du Port-Royal de l’Acadie,  il précise le but de son voyage  qui est de collecter en Acadie des plantes médicinales pour le Jardin du roi :
« Mille plantes, diverses herbes,
Que la terre y produit sous les sapins superbes
Et que pour la santé des hommes, Dieu y créa,
Ne se trouve point dans nos terres,
Il faut aller les chercher là.
J’étais chargé du soin glorieux d’en cueillir
Pour le jardin royal du plus grand des monarques…»
Après une traversée de 54 jours, pénible voyage qu’il raconte avec d’infinis détails, il séjourne un an en Acadie :
« Notre Vaisseau sembloit voler,
À peine tenoit-on sur la table la soupe… »
Pour honorer sa mission, il rapporte au moins 25 plantes, confiées au botaniste Tournefort et toujours conservées au Muséum d’histoire naturelle à Paris.

Il ne semble pas rapporter de plantes médicinales. Dans son récit, il décrit comment soigner avec le petun, nom local du tabac et cite également la recette d’une bière de sapin : « La fabrication de la bière de sommités de sapin, dont on fait une décoction qu’on entonne dans une barrique, où il y a du levain et de la mélasse qui est une espèce de sirop de sucre. Tout cela fermente ensemble deux ou trois jours… »
À la lecture de son récit, on dirait qu’il rentre quasiment bredouille de ses explorations. Mais alors quelle était sa mission réelle en Acadie que les Anglais tentaient déjà d’annexer ?…
À son retour, le 20 novembre 1700, il reprend ses activités d’écriture et la médecine. Le 24 novembre 1701, il est reçu chirurgien à l’hôpital général de Pont-l’Évêque.
Son récit en vers et prose,  Relation du voyage du Port-Royal de l’Acadie, paru à Rouen en 1708,  est traduit et publié à Londres en 1714, puis en langue allemande en 1751.

Plante rapportée par Dierville (détail)
En hommage à Dièreville

Les botanistes lui dédient le genre Diervilla, un type de plantes découvert en Amérique du Nord. Le Diervilla lonicera ou herbe bleue est un petit arbuste à fleurs jaune pâle en forme de cloches soudées par deux à l’extrémité d’une longue tige. Il fleurit en juin.
Durant trente ans, on n’entend plus parler de Marin Dières en Normandie et il meurt à Pont-l’Évêque le 6 octobre 1738. Il tombe dans l’oubli en Pays d’Auge tandis qu’entre 1885 et 1997 plusieurs publications et éditions critiques paraissent à Québec, Toronto et Montréal.
À Caraquet, au musée de cire de l’Acadie, une scène montrait Dièreville dans sa cabine de bateau, en train de rédiger sa Relation du voyage du Port-Royal de l’Acadie. Cette exposition a été démontée et, aujourd’hui, il n’en subsiste qu’une trace sur Internet, où une image a pu être recueillie et restaurée par le photographe Rodolphe Murie.

Rose de deuil

Jusqu’au début du XXe siècle, il était d’usage d’apporter des couronnes de perles tressées pour honorer les défunts. Ce n’est qu’après la guerre de 1914-1918 que l’habitude est prise de fleurir les tombes et les enterrements.

Pas de fleurs aux enterrements

Dans la revue  La semaine religieuse  de 1887 est rappelée une décision du synode de Gand :

« Pour mettre fin à l’abus véritable de fleurs, de bouquets et de couronnes dans les funérailles, le synode de Gand a statué que :

Article 1 : L’emploi des fleurs à l’enterrement des adultes est désapprouvé, et il est à souhaiter que cet usage disparaisse.

Article 2 : Il est strictement prohibé aux funérailles des ecclésiastiques. Pour les prêtres, la défense est absolue. »

 

Pour respecter cette règle, dans chaque bourg, dès la fin du XIXe siècle,  on trouve un atelier de fabrication ou d’assemblage de couronnes en perles de verre. Le plus souvent, le motif en est un bouquet de fleurs.

On peut encore apercevoir ces couronnes dans les chapelles des cimetières. Abritées du soleil et de la pluie, elles ont conservé leurs couleurs.

Couronne, cimetière Livarot
Des fleurs à l’église…

Vers 1920, les usages changent… et les fleurs entrent à l’église. Le curé de Lisores, près de Vimoutiers, voulait « des fleurs à l’église tous les jours ».

Pour les funérailles, les horticulteurs vont s’efforcer de créer ou de rechercher des variétés de roses d’un pourpre le plus sombre possible.

L'Evêque
William Lobb

Ces roses vont également apparaître dans les petits jardins. Deux d’entre elles ont été identifiées en Pays d’Auge : ‘William Lobb’, un rosier mousseux et  l’ ‘Évêque’ à la floraison prolifique. Si ces deux roses sont cultivées à l’ombre, leur teinte peut devenir presque noire.
Une rose au ton un peu plus lumineux, ‘Tuskany’, a été retrouvée près de Jort.

Rosier 'Tuskany', Montviette (14)

Roses en Normandie

La rose est au centre du jardin le plus somptueux comme du plus modeste. Au-delà de sa beauté et de son parfum, elle servait de remède et à fleurir les cérémonies…

La rose de Provins

De l’usage officinal de la rose au Moyen-âge subsiste, en certains jardins, la ′rose de Provins’. Bien des grands-mères fabriquent toujours une eau de rose utilisée en cas d’affection des yeux. Parfois l’application directe de pétales sur la paupière pouvait même suffire à les soulager.

Une grand-mère prenait les roses qui se fanaient, les laissait macérer dans du calva et « s’en passait sur la figure ».

Rose 'de Provins'
...au pied du rosier
Orner les cérémonies

À l’église, la rose est la fleur préférée de la sacristine, la personne qui orne les statues et les autels pour les fêtes de la paroisse.

En 1995, une grand-mère de Jort, près de Falaise, a apporté au Jardin Conservatoire de Saint-Pierre-sur-Dives le ′rosier de l’Ascension’ qu’elle tenait de sa famille, en expliquant que chaque année ce rosier est en fleur à l’Ascension…. Or, la date de la fête de l’Ascension est  mobile, calculée d’après  celle de Pâques. Elle peut varier de trois semaines d’une année à l’autre.

Éric Lenoir, spécialiste des roses normandes à qui elle a été confiée, est parvenu à l’identifier : il s’agit de  ‘Pimprenelle Hardy’. Elle fut créée  en 1828 par  M. Girardon de Bar-sur-Aube qui la dédia à un autre rosiériste : Hardy. La Société française des roses  pensait que ce rosier avait disparu…

C’est un petit rosier très épineux, aux feuilles finement découpées, dit à « feuilles de pimprenelle ». Avant de s’épanouir, le bouton est rose un peu vif. La fleur, d’un blanc pur, est double, plate, moyenne. Elle dégage un délicieux parfum d’agrume, assez citronné.

Enterrer le cordon au pied d’un rosier

Autrefois, quand les femmes accouchaient à la maison,  il était d’usage d’enterrer le cordon ombilical au pied d’un rosier dans le jardin, car le cordon ne devait ni « être jeté au fumier, ni mangé par des bêtes ». Traditionnellement, il y avait dans le jardin autant de rosiers que d’enfants nés.

À la naissance d’une fille, un peu partout en Normandie, la mère ou la marraine faisait un vœu pour qu’elle ait « une belle voix ou une belle chevelure ». D’autres affirmaient qu’ainsi « l’enfant serait en bonne santé ». Pour la naissance d’un garçon, la plupart des mères faisaient le vœu  de « protéger les garçons des brûlures »…

Rose de la communion

Un autre rosier, le « rosier de la communion », a été recueilli dans le jardin du presbytère de Lisores. C’est une liane vigoureuse aux petites fleurs blanches en grappes, très parfumées.

Ces rosiers peuvent être échangés à l’occasion de bourses d’échanges de plantes.
Ils sont à découvrir au Jardin Conservatoire à Saint-Pierre-sur-Dives.

Herbe aux vers et herbe aux puces

En Pays d’Auge, dans les poulaillers ou dans la niche du chien, on faisait une litière de tanaisie pour chasser les tiques et les puces.

L’herbe aux puces

Ce qu’on appelle « herbe aux puces » est en fait la pulicaire (Pulicaria dysenterica),  une  plante des marais, des prairies humides  et des fossés que les anciens utilisaient pour chasser les puces. Cet usage en est, semble-t-il, oublié. Par contre, la tanaisie est toujours utilisée à cet effet.

Herbe aux puces
L’herbe aux vers

La tanaisie vulgaire (Tanacetum vulgare) pousse dans les friches, sur les talus secs. Elle a été cultivée dans de nombreux jardins du Pays d’Auge pour que l’on puisse s’en servir en cas de besoin. Elle servait à éloigner les puces et les tiques des animaux. Les feuilles, très découpées, sont fortement parfumées. Les fleurs jaunes  s’épanouissent à la fin de l’été. On la mettait dans la niche des chiens, dans les poulaillers, sous le joug où se perchent les poules. Elle était aussi suspendue en bouquets dans les étables pour le même usage.

Tanaisie

La tanaisie est aussi appelée « herbe aux vers ».  « On posait des feuilles de l’herbe aux vers sur le ventre des enfants pour les faire descendre », racontent les anciens.  Pour les adultes, on préparait un vin appelé « chartreuse ». Des feuilles de  tanaisie étaient mises à macérer dans du vin blanc.

La tanaisie en cuisine

La tanaisie sert aussi parfois en cuisine. À Lisieux, une famille préparait la pâte à crêpes de la Chandeleur en la « parfumant » avec une jeune pousse de tanaisie crispée, cultivée au jardin. La tanaisie était finement coupée et mêlée à la pâte. La tanaisie crispée est une espèce ornementale peu commune, à la mode au XIXe siècle. Elle est conservée dans quelques jardins comme à Lisieux et à Grandmesnil.

Un ancien de Saint-Michel-de-Livet, près de Livarot, raconte cette pratique : « Après les foins, on allait ramasser des moules au bord de la mer. Pour les parfumer, à la cuisson, on mettait un brin de tanaisie. »

Cassis jaune et cassis gris

Lorsque l’on évoque le cassis, on pense toujours au fruit noir acidulé. Les recherches menées dans les jardins du Pays d’Auge et de  Basse-Normandie  ont permis  de découvrir  un autre cassis, un cassis à grain jaune…

Cassis jaune, cassis gris

Chaque jardin abrite un petit coin réservé aux fruits rouges où l’on cultive les  groseilles à fruits rouges ou parfois blancs,  des groseilles à maquereau et quelques pieds de cassis noir pour faire les gelées et la liqueur.

À Grandmesnil (14) et à Neauphe-sur-Dive (61), nous avons découvert un cassis à grain jaune et, près de Troarn (14),  nous avons recueilli un « cassis gris ».

Le grain est jaune doré
Préparés à l'eau-de-vie
Témoignages

Roland raconte : « On avait un seul pied pour faire du cassis à l’eau-de-vie. On récoltait les fruits bien mûrs. Il fallait les égrener et les rincer. Mettre les fruits dans un bocal en verre fumé (pour protéger de la lumière). Les couvrir d’eau-de-vie. Boucher et garder deux mois dans le noir. À l’automne, on ajoutait du sucre dans le bocal.

Il fallait attendre Noël pour les manger. Les fruits sont dégustés avec l’alcool, comme les cerises à l’eau-de-vie. »
Neauphe-sur-Dive (61)


Michel de Troarn en parle autrement :

« Mes parents ont ramené le ″cassis gris″ de la Manche. Ils étaient originaires de la région de Périers. On l’a toujours eu dans la famille.  On l’appelle  cassis « gris », mais il est beige, jaune. Celui-là, on l’aime beaucoup, car il est bien plus doux que le noir. On le mange comme ça à la branche. »

L’origine du cassis jaune

On sait peu de choses de son introduction. La Société nationale d’horticulture montre qu’au XIXe siècle deux variétés, à fruit blanc et et à fruit jaune, ont été cultivées en France.
La deuxième variété décrite correspond bien à celui que nous avons retrouvé en Basse-Normandie : « Cassis à fruits jaunes, Ribes nigrum, f. xanthocarpum hort. Doch.  Arbuste touffu, de vigueur plutôt moyenne. Feuille grande vert-vif.  Fruit assez gros, brun verdâtre. Pulpe juteuse, sucrée, parfumée,  ferme. Maturité tardive. Rendement abondant mais irrégulier. C’est une variété d’amateur. »