Archives pour la catégorie Plantes à usages

La culture de l’épinard fraise

A-t-on réellement cultivé l’épinard  fraise en Normandie au XIXe siècle et pour quel usage ?              La réponse de l’horticulteur Victor Pâquet…

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Voilà quelques années, à l’occasion d’une bourse d’échange de graines au Jardin Conservatoire de Saint-Pierre-sur-Dives, un visiteur apporte des graines d’une curieuse  plante : l’épinard fraise. Inconnue jusqu’alors au jardin, nous l’identifions, Blitum capitatum, et la mettons en culture pour observer son comportement, sa résistance et son rythme de végétation…  Passe Michel Vivier, ingénieur agronome, un de nos référents scientifiques : « Christiane, ce n’est pas sérieux. Cette plante n’a jamais été cultivée en Normandie. »

Le traité de Victor Pâquet

Obéissants, nous retirons la plante du jardin jusqu’à ce que, lors de recherches au fonds ancien de la Société nationale d’horticulture, l’on découvre un petit ouvrage signé Victor Pâquet, horticulteur né à Tour-en-Bessin (1812-1849) :  Traité complet de la culture ordinaire et forcée des plantes potagères dans les 86 départements de la France, publié en 1846. Quelques lignes précisent : « L’épinard fraise est cultivé dans deux, trois jardins de l’ouest dans le but d’utiliser dans les sauces ses petits fruits rouges. »

Pour essayer alors de découvrir à quel usage il est destiné nous avons posé la question à des chefs. Selon eux, le « fruit » était juste mangé cru comme une curiosité et pouvait aussi être préparé en « coulis » pour accompagner des plats de gibier.

Fruits et feuilles se consomment
À échanger au Jardin Conservatoire

Depuis quelques années, la plante est revenue à la table de quelques chefs et les graines se trouvent chez des semenciers. On peut aussi venir l’échanger au Jardin Conservatoire. Sa culture en est très facile : c’est une annuelle qui se ressème en place une fois bien installée au jardin.

Des plantes poison

Au jardin ou dans la haie, au milieu des plantes les plus communes se glissent parfois un arbuste ou une fleur loin d’être innocents…

Certaines plantes  peuvent être redoutables !  Et le meilleur moyen de se prémunir des accidents est de bien connaître les plantes et leurs dangers. Les anciens racontent l’usage  « malheureux de plantes toxiques »…

Dans les parterres de fleurs autour de la maison, le muguet, dont on attend la floraison pour le premier jour de mai, est malheureusement un poison redoutable. Plusieurs accidents ont été recensés en Basse-Normandie. La fleur, la tige et surtout les fruits sont toxiques.

Photo Rodolphe Murie

Dans la haie, le fusain d’Europe a des fruits rose intense dont la forme étrange lui a valu le nom de « bonnet d’évêque » : ce fruit contient une amande blanche à la peau orange vif. Cette graine aux couleurs si attirantes à l’automne est toxique.

« La ciguë ressemble à du persil. Tu l’écrases avec les doigts et ça ne sent pas le persil !… » Au Breuil-en-Auge, Geneviève avoue : « J’ai honte ; je la confondrais avec de la carotte sauvage. »

Moins commune et moins connue, la rue était cultivée dans les jardins comme plante contraceptive à l’époque où la médecine ne proposait pas de substance. Son usage en était dangereux, car les femmes ignoraient le dosage qui convenait.

Le prunellier, l’épine noire ou le « bois de guerre » comme l’appellent les anciens, est  un arbuste commun dans les haies du Pays d’Auge. Madeleine explique : « Si tu te piques avec une épine noire, ça s’envenime comme si le bois était infecté. » Et Roger ajoute : « La piqûre d’épine, surtout quand elle est en sève, il y a rien de pire… » Des témoignages plus récents montrent que certains y ont perdu l’usage d’un doigt. Près d’Orbec, Pierre se souvient qu’on raconte dans sa famille qu’une grand-tante a perdu la vie après s’être piquée sur une épine noire.

Photo Rodolphe Murie
Les enfants, il faut leur faire peur…

Sur les talus, le sceau-de-Salomon, le « faux-muguet », finit de fleurir avant de présenter des fruits noirs, très toxiques. « Les enfants, il faut leur apprendre ; il faut leur faire peur. » Une grand-mère raisonnable disait : « Aux enfants, on leur disait : « Cueillez des coucous si vous voulez, et c’est tout. » »

À lire dans « Plantes mortelles, Natures mortes » (Rodolphe Murie et Christiane Dorléans, Cahiers du Temps, 2013).

Plantes de la jonchée

Dans toute la Normandie, les fêtes religieuses du mois de juin ont laissé le souvenir de processions, d’ornements et de jonchées incomparables…

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En juin, à l’occasion de la Fête-Dieu, les paroisses du Pays d’Auge et en Normandie organisaient de longues processions où les plantes occupaient le centre de la cérémonie. À l’entrée des fermes, dans les bourgs, se dressaient les reposoirs, sortes de petits autels devant lequel le prêtre s’arrêtait pour prier et chanter. Les chemins et l’église étaient jonchés de fleurs et de feuillages. Le matin de la fête, la pave (ou iris des marais) était coupée au bord des fossés. D’autres paroissiens allaient ramasser la laîche  sur les mares des fermes fromagères. Ces roseaux  servaient à confectionner, dans le chœur de l’église, une rosace parsemée de pétales de roses…

Une épicière de Saint-Pierre-de-Mailloc se souvient que « les hommes apportaient une ″charretée″ de roseaux pour  la procession ». 

Laîche, Typha latifolia
Laîche, Typha latifolia
Pave ou iris des marais

« À la fête du Saint-Sacrement, toute la route était fleurie. Devant chaque autel, un soleil de laîche était étalé avec en son centre des pivoines rouges », raconte André de Montviette. Et il ajoute : « C’était la corvée du sacristain, car c’était lui qui devait nettoyer après la procession. »

L’iris des marais était le roseau le plus utilisé. Il est appelé parfois la « pave ». Selon le linguiste Dominique Fournier, on trouve  le nom de « pave » appliqué à des prés humides comme le Pré paveux à Putot-en-Auge.

À Ammeville, il existe encore un chemin de la Procession…

1953, Asnières 27, Reposoir
L’origine de la jonchée

Le terme de « jonchée » dérive de jonc, plante des prairies humides et des marais.

Dans Le livre des simples médecines de Matthaeus Platearius au XIIsiècle (sorte de dictionnaire de médecine à l’usage des apothicaires), on trouve une description de l’usage de l’iris des marais :   « Acore, iris ou glaïeul des marais : étalées sur le sol d’une pièce, les feuilles d’acore rafraîchissent merveilleusement l’air. Si on attache des feuilles d’acore aux ruches, les abeilles ne s’enfuiront  pas mais se multiplieront et en attireront d’autres. »

La ronce des haies

La ronce est regardée comme une peste.  Avec l’ortie et la « doche » les jardiniers  et les paysans n’ont de cesse de vouloir s’en débarrasser. Pourtant elle avait autrefois quantité d’usages…

Les anciens prédisent que : « Lorsque la ronce court dans le pré, c’est  le signe d’une année humide ! »

Ces mêmes anciens ne la détestaient pas autant qu’aujourd’hui : quand il n’y avait pas encore de fil de fer, les fagots et les balais étaient liés d’un brin de ronce fendue appelé le « hart ». On a aussi fabriqué des ruches en ronce fendue enduites d’argile.

Plante remède efficace ?

Ce fut une plante remède aux multiples vertus :
« Pour soigner un panaris, il avait mis une feuille de ronce à l’envers pour enlever le pus. » Boissey. « Sur un furoncle : une feuille de ronce », Montviette.  De même, près d’Orbec : « Enfant, une écharde s’est logée dans ma main. Ma grand-mère m’a appliqué une feuille de ronce, côté envers. Je l’ai gardée toute la nuit. Le lendemain matin, l’écharde était ressortie… »

Sur une dartre qui s’étendait : « La toucheuse m’a dit : prends de la tisane de ronce pendant une semaine ». Quelques jours plus tard, la dartre avait complètement disparu ! » « Pour guérir le mal de gorge, se gargariser d’une décoction de bourgeons de ronce. »  Livarot

Au printemps, les anciens mangeaient les jeunes pousses pour se fortifier….

La ronce à table

À la cuisine, les mûres sont préparées  en gelée, en confiture ou ajoutées aux salades de fruits de la fin de l’été. Il est possible de  faire du vinaigre de mûre. Les mûres sont préparées en gâteaux et toutes sortes de dessert.

Le fruit n'a qu'une seule drupéole
La ronce de Saint-Martin-de-Mailloc

À Saint-Martin-de-Mailloc près de la mairie, dans la haie qui borde l’aire de stationnement, pousse une ronce qui n’a pu encore être identifiée. Son port, la feuille paraissent  semblables à celles que l’on connaît. Le fruit en est remarquable : il n’est formé que d’une seule drupéole. La plante a été confiée au Conservatoire de botanique de Brest pour être identifiée.

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Victor Leroy, chasseur de plantes

« C’est vous qui êtes le père du Quercus ferrugina, le Black Jack, si remarquable par son singulier feuillage : le bois de Boulogne est le seul endroit où il existe en Europe… » (Lettre de Michaux adressée à Michel-Victor Leroy le 16 février 1832)

Au début de ce XIXe siècle, le botaniste François-André Michaux ne tarit pas d’éloges à propos des découvertes de Michel-Victor Leroy. À plusieurs reprises, au fil de sa correspondance, il lui assure la reconnaissance du monde scientifique : Leroy a introduit en Europe quantité d’arbres et d’arbustes à ce jour inconnus…

Un parcours singulier…

Michel-Victor Leroy est né à Lisieux le 7 octobre 1754. Il étudie au collège de Lisieux. Vers 1775 ou 1778, il embarque au Havre avec son frère Pierre-Nicolas pour l’île de Saint-Domingue (Haïti) dont on vante la merveilleuse fertilité.

Quelques années plus tard, les frères Leroy ont réussi : ils possèdent une vaste propriété, située sur la côte septentrionale du golfe des Gonaïves. Leur plantation a si bien prospéré qu’ils y ont ajouté une distillerie pour la fabrication du rhum.

L’entreprise est en pleine prospérité, lorsqu’en 1791 éclate la révolte des esclaves à Saint-Domingue, en contrecoup de la Révolution française et qui s’achèvera par la perte de la colonie. Les esclaves incendient les habitations de leurs maîtres, ravagent les plantations. Ils massacrent le plus jeune des frères sous les yeux de l’aîné.

M.-V. Leroy est sauvé de justesse. Il se réfugie à Boston où il enseigne les langues, puis il s’installe à Baltimore.

En 1800, il rencontre le botaniste François-André Michaux qui l’initie à la recherche d’arbres américains.

Marronnier à fleur rouge

Il achète alors une propriété à Baltimore où il se livre à la botanique, à l’horticulture, n’interrompant ses cultures que pour parcourir les forêts du Tennessee, les bords des lacs Érié et Ontario, les monts Alleghanys d’où il rapporte graines, plantes, arbustes qu’il expédie ensuite à François-André Michaux qui, à son tour, les confie à différents jardins et botanistes à travers la France et l’Europe..

Aux archives du séminaire St. Mary est conservée la trace de sa demeure au coin du quartier Barre & Shaye Street. Il y crée une pépinière pour acclimater les nombreux arbres et arbustes recueillis au cours de ses explorations dans les forêts…

Revenu à Lisieux

En 1831, François-André Michaux écrit : « J’ai surtout à cœur de vous prouver que vous ne pouvez pas vous fixer à Lisieux. C’est à Paris seul que votre temps sera employé à coopérer aux travaux de la Société Royale d’Agriculture. Je vous présenterai, vous serez admis partout… »

Mais Michel-Victor Leroy, malade, revient vivre à Lisieux chez sa cousine Mme Leroy-Desclozages. Sa santé se rétablit et il va donner ses conseils à Jules Oudin dans son établissement horticole du boulevard Sainte-Anne.

Michel-Victor Leroy meurt le 7 juillet 1842, au 33 rue Petite Couture à Lisieux…

Les arbres introduits

De Baltimore, Michel-Victor Leroy  envoie à Paris des caisses d’arbres enracinés : le pommier à odeur, le marronnier rouge, le noyer d’Amérique, une longue liste que l’on peut consulter sur le site de la bibliothèque numérique de Lisieux…

Les connaissances que nous avons aujourd’hui sur les introductions d’arbres en Europe permettent d’affirmer avec certitude que Michel-Victor Leroy a contribué à introduire et acclimater trois espèces : le marronnier rouge, le noyer noir d’Amérique, hybridé ensuite pour produire le noyer regia, et l’oranger des Osages.

En effet, au sud des États-Unis, il découvre le Maclura pomifera avec lequel les indiens Osages fabriquent leurs arcs. En 1823,  il en envoie cinq sujets en France. L’oranger des Osages ressemble à un oranger par son feuillage vert sombre et luisant. Les fruits sont comparables à des oranges non comestibles. D’abord pressenti pour nourrir les vers à soie, le projet sera abandonné et le Maclura deviendra un arbre ornemental. Matthieu Bonafous l’affirme en 1835 : « L’oranger des Osages a été introduit par Michel-Victor Leroy en Europe. »

Oranger des Osages, Grandmesnil

Le marronnier rouge, plus petit que le commun à fleurs blanches, est remis par Michaux au Jardin des plantes de Paris en 1812. Issu de ce premier pied,  un  premier cultivar sera obtenu par les pépinières Trianon à Versailles en 1858 : le marronnier rouge ′Briotii′, d’un rouge plus vif.

Dans les caisses qu’il expédie, certains arbres avaient déjà été introduits auparavant. Ainsi le chêne phellos ou « chêne à feuilles de saule » a été introduit en 1723 par le marquis de la Glaçonnière, un siècle avant les envois de M.-V. Leroy. On pourrait lui attribuer cependant certaines réintroductions comme le chêne tinctorial, l’orme rouge, l’orme de l’Hudson, le pommier à odeur. Il est quasiment certain que la plante Jeffersonia est due à M.-V.  Leroy, mais nous ne sommes pas en mesure d’en apporter la preuve. Peut-être des recherches et des découvertes nouvelles nous permettront d’affiner cette connaissance.

Un rond-point Michel-Victor Leroy

La ville de Lisieux a voulu honorer la mémoire et l’œuvre de ce savant méconnu. À la lumière de ces recherches qui confirment que Michel-Victor Leroy est bien l’introducteur de trois essences d’arbres en Europe, les élus ont choisi de donner son nom à l’arboretum situé rue Roger Aini, d’y planter les arbres introduits. Enfin, le rond-point nouvellement aménagé au-dessus de l’hôpital, rue Roger Aini, tout près de l’arboretum, est dédié à Michel-Victor Leroy…

Marronnier rouge, le Mesnil-Bacley

Le sainfoin

«  On a semé les sainfoins à Escures », écrivait Gabrielle à Isidore au printemps 1923.

Depuis les années 1950, on ne sème plus de sainfoin (Onobrychis viciifolia) en Normandie. Cette légumineuse, appelée aussi « esparcette », a été remplacée par la luzerne et le trèfle, deux autres plantes fourragères équivalentes.

Aujourd’hui, il est encore possible d’en apercevoir quelques pieds en fleurs sur les talus en bord de route à Ouilly-le-Vicomte, Vieux-Fumé, Livarot.

Autrefois cultivé en Pays d’Auge

À Mont-Ormel, un lieu-dit Les sainfoins nous interpelle sur l’ancienneté de la culture de cette légumineuse en Pays d’Auge. Une étude toponymique du linguiste Dominique Fournier, publiée dans la revue Le Pays d’Auge de novembre 2015, éclaire sur l’étendue de la culture du sainfoin. De Tôtes à Cheffreville-Tonnencourt, de La Houblonnière à Lisores et même à Lisieux, paroisse Saint-Jacques près du village du Chien, parfois plusieurs parcelles d’une même commune portent le nom de sainfoin. Sur l’ensemble du territoire, près d’une centaine de parcelles agricoles portent ce nom.

Sainfoin ou  saint-foin

Les formes « Le Saint-Foin » à Fervaques,  « Les Saintsfoins » à Rumesnil, « Le Saint-foin » aux Moutiers-Hubert, « Le petit St foin » à Cambremer, montrent comment le mot « sainfoin » a glissé en « saint-foin » par étymologie populaire, car on croyait  cette plante miraculeuse. « On adorait encore à Gênes  et dans quelques églises de Lorraine  certaines petites bottes de Saint-Foin qui étaient dans la crèche où naquit Notre Seigneur. Ce Saint-Foin avait la réputation de guérir les maladies des animaux. »  (Dictionnaire critique des reliques et des images miraculeuses, Tome I,  Guien et compagnie libraires, Paris, 1821)

On pouvait laisser des bovins…

Roger (commune du Pin, près de Lisieux) encore malheureux quarante ans après, raconte  comment il a laissé sa vache, la Mignonne, dans une parcelle de trèfle et l’a vue mourir en quelques heures, le ventre gonflé.

Le sainfoin avait l’avantage d’être vivace et de ne pas provoquer de météorisation,  une accumulation de gaz dans la panse chez les herbivores. On pouvait laisser des bovins sans surveillance dans un champ de sainfoin. Ce que l’on ne peut pas faire avec le trèfle.