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Melon de Honfleur – Sa disparition

La culture en plein champ a pris fin avec la guerre de 1914. On ne connaît pas l’état des récoltes de septembre 1914 quelques semaines après la mobilisation. Quelques catalogues de semences le proposent encore à la vente entre les deux guerres.

Un important grainetier des Ardennes belges, les Établissements Colard-Metz de Bastogne, les proposera de 1900 à 1914 avec les commentaires suivants : « Melon de pleine terre, très rustique, aux fruits particulièrement gros ».
Michel Vivier, « Le melon de Honfleur », in « À la fortune du pot. Du jardin à la table en Pays d’Auge », Le Pays d’Auge, n° 3, mai-juin 2001, p. 23..

L’Echo honfleurais du 1er septembre 1923 signale  : « M. Guérin, maraîcher à La Rivière-Saint-Sauveur, a porté plainte pour vol de trois melons dans son jardin. »

En 1937, les semences figurent toujours au catalogue de la graineterie Heusse, rue Pont-Mortain à Lisieux. Coll. Montviette Nature. 

Extrait catalogue Heusse, Lisieux, 1937
Recherche et reconstitution

À la suite des enquêtes menées en Pays d’Auge, un essai de reconstitution a été fait par un collectionneur…

Entre 2010 et 2013, Frédérik, un collectionneur partenaire de Montviette Nature a fait différentes tentatives de reconstitution du melon à partir de melons méditerranéens. Les essais ont été plutôt concluants : poids, forme, couleur, chair orange foncé et bien sucrée semblaient conformes au type ‘Honfleur’…

Mais pour des raisons d’honnêteté intellectuelle et d’éthique, nous avons décidé de ne pas poursuivre ces tentatives de reconstitution. 

Melon type Honfleur obtenu par Frédérik en 2012
D’autres melons normands à retrouver 

La Normandie a développé d’autres variétés de melons, sans doute moins réputées, mais qui méritent aussi d’être recherchées :

Melon de Lingreville (50)
Des cultures associées… À Créances, les melons sont cultivés en plein champ ; « seulement, pour les         garantir des vents, on entoure la pièce dans laquelle ils sont plantés de haies ou palissades, formées, les unes, avec des légumes à haute tige, comme des fèves, certains choux, ou des pieds d’oignons réservés pour graines ; les autres le sont avec des pailles enlacées : on cherche surtout à les garantir des vents de mer. »
« Congrès agricole de la Normandie, Rapport de la session générale annuelle de l’Association normande », Annuaire des cinq départements de l’ancienne Normandie, Vol. 11, Caen, 1845, p. 285.
Dans les champs de Hauteville (50), « La culture des melons est rare, parce que les cultivateurs prétendent qu’elle n’offre pas toujours un prix assuré. »  Ibidem., p. 279.                                                                                                                                                                                                            « C’est à Lingreville que nous avons rencontré les plus riches melonnières. Elles se composent de 28 et de 35 rangs, et chaque rang de 15 à 26 pieds. Pour faire obtenir à leurs melons une maturité plus hâtive , les cultivateurs creusent un trou aux environs du fruit, afin que le soleil vienne le frapper et que sa réverbération chauffe le melon et le fasse mûrir. »  Ibidem, p. 283.

Melon de Surtainville (50) recueilli par Montviette Nature en 1998. Les graines déjà trop anciennes n’ont pas germé.

Le Moscatello de Loisel
Loisel, directeur des jardins du marquis de Clermont-Tonnerre à Glisolles près d’Évreux (27), cultive les melons sur du fumier monté en cône jusqu’à une hauteur de 30 à 40 centimètres. Au sommet du cône, on dépose la graine que l’on recouvre d’une cloche ou de papier huilé.
Il cultive aussi un melon qu’on lui avait rapporté d’Italie, un moscatello (variété italienne ancienne de type cantaloup). Après croisement et divers essais de culture, il obtient une variété de moscatello très savoureuse et productive.
François-Ernest Loisel, Traité complet de la culture des Melons ou Nouvelle méthode de cultiver ces plantes sous cloches, sur buttes et sur couches, 2e édition, H. Cousin, Paris et Ch. Savy Jeune, Lyon, 1845, p. 50, 76 et 85.

Melons, catalogue Le Paysan, 1947, coll. Montviette Nature

Melon de Honfleur – Sa culture, un modèle de savoir-faire

En 1949, alors que la culture du melon en plein champ est abandonnée depuis 1914, la      revue Rustica publie encore une méthode dite « de Honfleur » pour cultiver des melons…
Rustica, n° 19, 8 mai 1949. 

Méthode de culture dite de Honfleur, Rustica, 8 mai 1949, coll. Montviette Nature

À suivre douze extraits publiés depuis la fin du XVIIIe siècle  présentant les méthodes de culture  du melon de Honfleur.

Dans le Cours complet d’agriculture…, on ne cite pas explicitement le melon de Honfleur, mais on décrit la méthode de culture des melons à Honfleur et on la compare à celle pratiquée aux environs de Paris.
Cours complet d’agriculture théorique, pratique, économique, et de médecine rurale et vétérinaire […], ou Dictionnaire universel d’agriculture, Tome 6, Paris, 1785, p. 484-485.

«  Méthode de cultiver les Melons à Honfleur »
Voir Journal des départemens de la Mozelle, de la Meurthe, de la Meuse, des Ardennes et des Vosges, 10 mars 1791, p. 76-77.

Dans son ouvrage, Étienne Calvel consigne la lettre d’un cultivateur de melons qui lui décrit la méthode qu’il pratique avec succès dans la région de Honfleur. Au sujet de l’arrosage, ce dernier dit : « Nous nous gardons bien de forcer d’arrosemens, qui nuiraient à la qualité. Le melon n’a pas autant besoin d’eau qu’on le pense ; les vapeurs de l’atmosphère sont pour nous un léger arrosement, assez sensible dans la végétation. Je ne doute pas que ces vapeurs salines ne contribuent en partie à nous donner les plus beaux et les meilleurs melons de France […]
Étienne Calvel, Du melon, et de sa culture sous châssis, sur couche et en pleine terre, Paris, A.-J. Marchant, 1805,      p. 25-29.

« Quelques cultivateurs des départemens de l’ouest ont essayé de cultiver le melon en pleine terre, et        plusieurs ont bien réussi : c’est principalement aux environs de Honfleur qu’on a obtenu les plus grands       succès ; on peut en juger par les beaux fruits qu’on porte à Paris tous les ans. Je passai au Palais-Royal il y a deux ans, et je vis sur un melon de Honfleur ces mots : Je pèse 36 livres, et je vaux 36 francs. Je dînai chez M. Vilmorin la même année ; il y avoit sur la table deux melons de Honfleur qu’il avoit fait venir pour en tirer la graine et s’assurer de l’espèce : ils pesoient chacun environ trente livres. […] Les cultivateurs de Honfleur attribuent leurs succès en partie aux pluies et aux vapeurs qui leur viennent directement de la mer, et qui contiennent des parties salines. »
Nouveau cours complet d’agriculture théorique et pratique […] ou Dictionnaire raisonné et universel d’agriculture, Tome 8, LIC-MYR, Déterville, Paris, 1809,  p. 259-260.

M. Montaigu, Mémoire sur la culture des melons dans le département du Calvados, et particulièrement à Honfleur et aux environs de Lisieux, F. Poisson, Caen, 1828, 12 p. (Extrait des Mémoires de la Société royale d’Agriculture et de Commerce de Caen, 1830)       https://www.bmlisieux.com/normandie/melons14.htm

« L’article de M. Montaigu est trop long pour être rapporté ici, et une analyse ne le ferait pas assez connaître. Nous dirons donc seulement qu’à Lisieux on élève les melons sous des châssis, dont les panneaux sont semi-cylindriques et garnis de papier oint d’huile de lin pour le rendre plus transparent, tandis qu’à Honfleur, où la température est moins favorable à cause de la proximité de la mer, on est obligé d’élever les melons sous cloches ou sous des châssis de verre; que la multiplication par boutures y est pratiquée depuis fort longtemps; qu’on y voit souvent des melons de 30 livres et plus; qu’à Lisieux on plante chaque année de 50 à 60 mille pieds de melons, qui produisent de 100 à 120 mille fruits; qu’à Honfleur chaque pied de melon rapporte 12 à 15 francs dans les bonnes années. »
Bulletin des sciences agricoles et économiques, Vol. 14, 1830, p. 167. 

Fleur mâle, Leçons de choses, vers 1920

Aîné Jacquin dans sa Monographie complète du melon distingue et détaille également deux méthodes de culture, celle de Honfleur et celle de Lisieux. Il tient ses renseignements de      M. Philippe, cultivateur à Lisieux. Celui-ci « prétend que la variété cultivée à Lisieux n’est pas le véritable melon de Honfleur. Elle est plus petite, plus ramassée et plus couverte ou brodée.  […]

Le lieu où l’on cultive doit être abrité du vent du nord ; s’il ne l’est pas naturellement, on fait des abris provisoires avec des branchages, des paillassons, etc. Lorsque les branches ont environ dix pouces, on en pince l’extrémité et on en agit de même à l’égard de celles qu’elles produisent. On sarcle et on arrose, mais rarement, à cause des vapeurs qu’entretient le voisinage de la mer ; vapeurs auxquelles les cultivateurs de Honfleur attribuent les qualités de leurs melons. Ceux-ci au reste, comme presque tous les maraîchers, perdent beaucoup par le transport. […]

On préfère généralement à Lisieux la graine qui a cinq ou six ans ; on la recueille sur les fruits les plus mûrs, et on choisit celle qui tient aux tranches supérieures du melon. Les uns la sèment sans préparation, les autres la font tremper pendant vingt-quatre heures dans du lait doux, dans du vin ou de l’eau de vie à 14 ou 15 degrés. […]

Cette culture, dont les indications nous ont été données par M. Oudin, fleuriste à Lisieux, est assez bien entendue ; il serait plus avantageux seulement de mettre plus d’espace entre les pieds. Elle est plus       économique que celle de Honfleur, où l’on emploie le verre de préférence. On cultive principalement le melon de Honfleur qui paraît y mieux réussir. Cependant on y cultive aussi les cantaloups. On ne voyait       autrefois que quelques cultures de melons dans les gorges et les vallons bien exposés. On en cultive aujourd’hui dans toutes les situations. On fait de 50 à 60,000 pieds de melons annuellement, dont on estime le produit à 50 ou 60,000 francs. 

M. Montaigu, dans les Annales d’horticulture, dit avoir obtenu, en cultivant à la manière de Lisieux et de Honfleur, 160 fruits sur 60 pieds qu’il avait plantés au jardin des plantes de Caen. Ce succès, obtenu en 1823, année peu favorable, prouve que la culture du melon sans verre peut réussir parfaitement dans d’autres localités que celles environs de Lisieux et de Honfleur. »
Aîné (Pierre Joseph ou Hector) Jacquin : Monographie complète du melon : contenant la culture, la description et le classement de toutes les variétés de cette espèce, suivies de celles de la pastèque à chair fondante, avec la figure de chacune dessinée et coloriée d’après nature, Rousselon et Jacquin Frères, Paris, 1832, p. 84-90.

« Note sur la culture du melon en pleine terre » « Le melon est cultivé en pleine terre à Honfleur, à Lisieux, à Orbec : dans ces pays on en récolte des milliers et on en fait un objet important de commerce.
M. Noget, curé d’Aubigny, près Falaise, a été pendant longtemps curé dans le canton d’Orbec ; il y faisait avec succès des melons en pleine terre : dans sa nouvelle paroisse il a fait des essais qui ont parfaitement réussi. Un grand nombre d’amateurs l’ont imité, et maintenant les melons en pleine terre prospèrent aussi bien aux environs de Falaise que dans le pays d’Auge, quoique le sol y soit d’une qualité bien inférieure.

Pourquoi n’en serait-il pas de même à Evreux ? Les essais faits en différentes années par plusieurs jardiniers de cette ville ne laissent aucun doute à cet égard. Moi-même, l’an dernier, j’ai récolté ainsi de très-beaux et de très-bons melons en pleine terre.

Cependant aux foires et marchés de tout l’arrondissement, nos voisins viennent vendre les leurs avec      profit ; mais ces fruits coupés pour la plupart avant le [temps], afin qu’ils puissent supporter le voyage, mûris seulement par les secousses du transport, relevés des marchés de la Basse-Normandie ou du Mans, dont ils sont souvent le rebut, doivent-ils faire nos délices ?

Nous engageons donc les amateurs, dans un pays où il y a tant de jardins, à y cultiver des melons en pleine terre, et sans couches, sans cloches et sans embarras, ils obtiendront le même succès que nos jardiniers. »
M. Bordeaux, « Note sur la culture du melon en pleine terre », Bulletin de l’Académie ébroïcienne : suivant les réglemens de l’ancienne Société d’agriculture, sciences, arts et belles-lettres du département de l’Eure, 1833,                p. 101-102.

Traité de la culture du melon, Marquis de Chambray, illustration CRÉe du lycée de Chambray (27)

 

Dans son Traité de la culture du melon, sur couche sourde et en pleine terre, Georges marquis de Chambray écrit : « C’est dans les vallées de Lisieux et d’Orbec, ainsi que je l’ai dit, que ce procédé de culture est particulièrement pratiqué. On y emploie des châssis de papier huilé, pour élever le plant ; le lève-melon pour transplanter ; et des feuilles de papier huilé pour le couvrir après la transplantation. La taille y consiste à étêter le plant, à supprimer les branches cotylédonaires, et à arrêter les branches tigiaires immédiatement au-dessus de la troisième feuille, et les branches secondaires également au-dessus de la troisième feuille.

L’espèce que l’on y cultive le plus, et qui réussit le mieux, est le gros maraîcher, plus connu sous le nom de melon de Honfleur : cette espèce a une belle végétation, est du nombre de celles qui donnent les plus gros fruits, et tient le milieu entre les melons hâtifs et les melons tardifs. »
Georges marquis de Chambray, Traité de la culture du melon, sur couche sourde et en pleine terre, Nevers et Paris, 1835, p. 76 . ‹Document aimablement confié par le CRÉe de Chambray (27)›

Il compare également les méthodes de culture du melon de Lisieux et de Honfleur.
Ibidem, p. 79-80. 

Planches 3 et 4, Georges marquis de Chambray

 

Jean-François Couverchel dans son Traité des fruits, tant indigènes qu’exotiques écrit ceci : « Melon de Honfleur. Les observations qui précèdent [melon de Langeais] s’appliquent également à cette variété ou sous-variété ; car, abstraction faite de son volume, qui est généralement plus considérable, et de l’insertion du pédoncule, qui offre moins d’étendue, les autres caractères ne présentent pas de différences sensibles. Le climat de Honfleur paraît lui être très favorable, car il n’est pas rare de trouver des fruits du poids de 30 à 40 livres.
L’influence du climat et du sol est telle sur la végétation, que nous ne doutons pas que, si le melon de Langeais était cultivé à Honfleur et celui de Honfleur à Langeais, ces variétés ne perdissent, après quelques années de culture, les caractères qui les distinguent. »
Jean-François Couverchel, Traité des fruits, tant indigènes qu’exotiques, ou Dictionnaire carpologique : comprenant l’histoire botanique, chimique, médicale, économique et industrielle des fruits […], Bouchard-Huzard, Paris, 1839,     p. 233. 

Fleur femelle, Leçons de choses, vers 1920

Victor Pâquet, rédacteur du Journal d’horticulture pratique décrit les soins à donner aux melons en mai : « Faisons à 2 ou 3 mètres de distance les uns des autres des trous d’une profondeur de 25 à 30 cent. (et même moins si le climat n’est pas très-froid), d’un diamètre de 50 centimètres à 1 mètre. Remplissons ces trous de fumier à moitié consommé jusqu’à ce qu’il y en ait plusieurs centimètres au-dessus du sol, ayant le soin de piétiner souvent pour prévenir le trop prompt affaissement de ce cône tronqué que l’on recouvre de 18 à 25 centimètres de terre grasse et substantielle ou de bon terreau, ce qui vaut mieux encore. On place sur cette butte une cloche en verre ou seulement une feuille de papier huilé supportée sur deux gaulettes en croisillon. Après un jour ou deux cette petite butte est échauffée, on y sème deux ou trois graines de melon ou on y en repique deux pieds élevés ailleurs ou pris chez un ami ; on donne ensuite à ces plantes les soins convenables pendant la durée de la végétation. Il n’est pas nécessaire de conserver les cloches ou le papier tout l’été ; une fois les grandes chaleurs arrivées, on laisse sans danger le plant exposé aux influences de la saison. C’est ainsi qu’à Honfleur, dans la vallée d’Orbec et les environs de Falaise (Calvados) on cultive le gros Melon dit d’Honfleur, et ce sont à peu près aussi les principes exposés par M. Loisel dans un excellent Traité complet de la culture des Melons. »
Journal d’horticulture pratique ou Guide des amateurs et jardiniers, Première année, Bruxelles, F. Parent, 1844,        p. 71.
Voir aussi : François-Ernest Loisel, Traité complet de la culture des Melons ou Nouvelle méthode de cultiver ces plantes sous cloches, sur buttes et sur couches, 2e édition, H. Cousin, Paris et Ch. Savy Jeune, Lyon, 1845.

Illustration du cône de Loisel, 1845, p. 20

« Lorsque le plant est prêt à être repiqué, on se sert du « lève-melon » que les ferblantiers d’Orbec          fabriquent à cet usage. »
Annie Fettu, Une culture insolite et oubliée… les melons de l’Orbiquet, Service éducatif des Archives départementales du Calvados.

 « On répandait de la brique pilée à leur pied pour obtenir de plus beaux fruits. Lorsqu’il       arrivait que des melons se fendent après une pluie, on saupoudrait du sucre dans la fente. »   Pierre Mesnil, jardinier Ouilly-le-Vicomte (14) 

 

Protections du melon à sa mise en terre fin mai, début juin  

 

Cultivé en plein champ, le melon doit être protégé des gelées matinales au moment de sa mise en terre. Plusieurs méthodes ont été expérimentées…

Montaigu, 1830, illustration Médiathèque André Malraux, Lisieux

M. Montaigu, Mémoire sur la culture des melons dans le département du Calvados, et particulièrement à Honfleur et aux environs de Lisieux, F. Poisson, Caen, 1828, 12 p. (Extrait des Mémoires de la Société royale d’Agriculture et de Commerce de Caen, 1830)         https://www.bmlisieux.com/normandie/melons14.htm 

 

« En Normandie, en Picardie, en Touraine et en Anjou où on cultive les melons en pleine terre, et surtout à Honfleur et à Coulommiers, on les risque rarement tout à fait en pleine terre; ordinairement on les abrite avec des couvertures faites avec du papier huilé soutenu par un petit bâtis en bois, dont l’ensemble fait office de cloches à melons. Dans ces localités on fait d’avance ces cloches de papier, et, au moment de leur emploi, on les imbibe d’huile de graine de lin, la meilleure pour cet objet. Peut-être l’application de ces cloches en papier pourrait être utilement faite à d’autres cultures qu’à celles du melon. »
Cours complet d’agriculture, ou Nouveau dictionnaire d’agriculture théorique et pratique, d’économie rurale et de médecine vétérinaire, Tome 14, Pourrat Frères, Paris, 1837, p. 67. 

Technique du papier huilé : « On colle le papier sur les cerceaux quelques jours à l’avance, et lorsqu’il est bien sec, on l’imbibe partout avec un morceau d’étoffe en laine trempé dans l’huile de lin. C’est celle que l’on préfère comme donnant au papier une plus grande transparence. Il faut que les châssis soient préparés huit ou dix jours avant de faire la couche, autrement la buée ferait décoller le papier. Celui-ci ne s’imbiberait pas également et les melons en sortant de terre pourraient être brûlés, si l’huile n était pas bien embue, et s’il en restait plus dans une place que dans une autre. Cette observation est de rigueur pour l’emploi du papier huilé. »
Aîné (Pierre Joseph ou Hector) Jacquin, Monographie complète du melon : contenant la culture, la description et le classement de toutes les variétés de cette espèce, suivies de celles de la pastèque à chair fondante, avec la figure de chacune dessinée et coloriée d’après nature, Rousselon et Jacquin Frères, Paris, 1832, Note p. 85. 

Au début du mois de juin, les jeunes plants sont repiqués à l’aide du lève-melon dans les        toupins, biens préparés avec du fumier chaud.

Pour les protéger des gelées tardives, on les abrite sous un petit tunnel en papier huilé.
Deux feuilles de papier huilé sont maintenues par deux petits bois en croix.

Le papier huilé est fabriqué aux moulins à papier de La Cressonnière, Saint-Martin-de-Mailloc, Glos. On foule les chiffes de lin ou de chanvre que l’on transforme en papier. Ce     papier est enduit d’huile de lin. « Ainsi traité, ce papier résiste à la pluie et au froid. » À la Saint-Jean, le 24 juin, les plants sont assez forts : on enlève les papiers à melons.

À la floraison, les melons sont pincés, « châtrés » pour ne conserver que deux ou trois fruits par pied. Ils mûrissent isolés du sol par un tuileau.
Recherches Annie Fettu, Archives départementales du Calvados et notes pour la revue Une autre regard, Falaise, 2007. 

Melon de Honfleur – Éléments d’histoire

Les historiens situent l’introduction des melons en Normandie au XVIe siècle. Près de Cherbourg (50), Gilles de Gouberville, écrit dans son Journal avoir reçu le 19 août 1549 en cadeau de son boucher un « pompon » (ou pepo pour melon). Cependant, les données historiques sur les débuts de sa culture sont fragmentaires. Quelques traces et représentations éclairent sur sa présence en Normandie.

À Lisieux, Claude Lemaître, spécialiste des céramiques du Pays d’Auge, avait recueilli un épi de faîtage couvrant un manoir du XVIIe siècle et représentant un melon de forme comparable au melon de Honfleur.

Dans un autre manoir proche de Lisieux, les portes de la salle sont surmontées  d’une imposte représentant, chaque fois au milieu d’autres fruits, un melon de Honfleur. Décors datés de la fin du XVIIIsiècle. 

Cliché Jean Bergeret, revue Le Pays d’Auge.
Cliché Jean Bergeret, revue le Pays d'Auge

 

« 1769-1784. […] Avis d’expédition de fournitures, notamment de melons de Honfleur. » Fonds de l’intendance de la Généralité de Rouen et de ses subdélégations, C.1080.

« L’article de M. Montaigu est trop long pour être rapporté ici, et une analyse ne le ferait pas assez connaître. Nous dirons donc seulement qu’à [ …] Honfleur […] on y voit souvent des melons de 30 livres et plus; qu’à Lisieux on plante chaque année de 50 à 60 mille pieds de melons, qui produisent de 100 à 120 mille fruits; qu’à Honfleur chaque pied de melon rapporte 12 à 15 francs dans les bonnes années. »
Bulletin des sciences agricoles et économiques, Vol. 14, 1830, p. 167.

Vente de melons, marché de Lisieux, carte postale vers 1910

« Culture des melons à Honfleur.
La culture des melons n’est pas toujours chose facile à exécuter, et tous les propriétaires de jardins, quelle qu’en soit l’étendue, veulent à tout prix, et avec grande dépense de peine et d’argent, avoir des melons bons à manger, pour en offrir au besoin à leurs amis. On conçoit aisément qu’il doit en être ainsi d’un fruit qui offre, pendant tout l’été, un met rafraîchissant et agréable au goût, surtout quand on réussit aussi bien dans ce genre de culture qu’on le fait dans quelques localités, comme Honfleur, Pont-Audemer, etc., où elle se pratique en grand, et est l’objet d’un commerce considérable avec la France et l’Angleterre. […] Le véritable melon de Honfleur est à chair rouge, brodé, allongé et à côtes. Les jardiniers de Honfleur ont depuis quelque temps abandonné cette première espèce pour donner la préférence à un melon qui a les mêmes caractères. Cette variété, qui produit beaucoup plus l’autre, est un peu plus arrondie. On s’accorde à reconnaître que M. Thierry est le plus fort jardinier de Honfleur : il a jusqu’à 500 cloches tous les ans. Les melons de Honfleur sont vendus pour Caen, Rouen, le Havre et Paris. »
L’Agriculteur praticien ou Revue progressive d’agriculture, de jardinage, d’économie rurale et domestique, 1844,      p. 180-181.

« Examinons avec un soin particulier, tout près de l’embouchure de la Seine les cultures jardinières des environs de Honfleur ; voici une culture que nous rencontrons pour la première fois ; ce sont des melonières de plusieurs hectares, en pleine terre. Goûtons au hasard un de ces cantaloups ; nous le trouvons peu inférieur aux produits de la culture savante des maraîchers parisiens. Nous apprécions ce qu’il faut de soin et de travail pour arriver à ce résultat sous ce ciel brumeux, sous ce climat océanique, sur cette terre où le fruit de la vigne refuse de mûrir. Le prix élevé de toutes les denrées en Angleterre permet aux melons de Honfleur de paraître avec avantage sur les marchés de l’autre côté de la Manche, en dépit des frais de transport et des droits d’entrée qu’ils ont à supporter. Grâce à ce débouché, la culture du melon en pleine terre se soutient et même s’étend aux environs de Honfleur, surtout depuis que le calicot remplace le verre pour les abris indispensables au jeune plant de melon. »
Maison rustique du 19e s, Encyclopédie d’agriculture pratique, Tome V, Horticulture, Paris, 1844, p. 423.

La Société d’agriculture, sciences et arts de la Sarthe vote une somme de soixante francs pour achat de graines potagères qui seront distribuées aux jardiniers maraîchers du Mans et de la banlieue. Parmi ces graines achetées à la maison Vilmorin, on trouve quatre paquets de melon de Honfleur.
Bulletin de la Société d’agriculture, sciences et arts de la Sarthe, Le Mans, 1852, p. 27.

Dans sa séance du 10 mars 1863, le comité de culture maraîchère de la Société d’horticulture de la Haute-Garonne reprend dans son ordre du jour la culture du melon.
« Quant aux Melons, dont des graines furent données au comité en 1857, l’absence d’une partie des horticulteurs ou des amateurs auxquels ces graines furent distribuées prive le
comité de renseignements sur plusieurs d’entre eux. Cependant, des indications peuvent être fournies sur un certain nombre par quelques membres du comité, et il importe de consigner ici les résultats des essais qui ont été faits.
Le Melon de Honfleur a été cultivé par M. Vidal; il est gros, mais peu productif, facile à pourrir et d’un goût médiocre. »
Annales de la Société d’horticulture de la Haute-Garonne, Toulouse, 1863, p. 233.

« Aux environs de Honfleur, près de Ficquefleur il existe une assemblée dite de la Saint-Gorgon que l’on désigne sous le nom de « Foire aux melons«  et qui se tient en septembre. » « L’Echo Honfleurais du 2 mars 1910 évoque les foires de Guibray (Falaise) où le melon de Honfleur était présent et précise : « La place Saint-Gervais ressemble à un arsenal : les melons guerriers y sont rangés en ordre et chaque marchand en dispose de plus de 5 à 600. On voit alors les visiteurs retourner à leur maison et porter le fruit sous leur bras. »
Françoise Lecoq, « Le melon de Honfleur », Bulletin de la société des marins de Honfleur, mai 1999, p. 48.

Le melon est à maturité début septembre. Il est alors vendu sur les marchés et expédié vers Paris : « On amenait les melons sur de la paille dans les charrettes jusqu’à la gare de Saint-Martin-de-Bienfaite. » Enquête pour exposition « À la fortune du pot », Espace culturel Les Dominicaines, Pont-L’Évêque, 2000. De là, ils partent pour Lisieux pour être ensuite expédiés vers les marchés parisiens. 

La foire des melons de la Saint-Gorgon avait lieu le dimanche le plus près du 9 septembre à Saint-Julien-de-Mailloc (14) : « Ce jour-là, de grand matin, les charrettes arrivent chargées de melons calés sur de la paille pour qu’ils ne se choquent pas. On les étale sur l’herbe dans le champ en contrebas de la chapelle. On s’acquitte d’un droit de place de 25 centimes. Chaque producteur trône au milieu de ses melons disposés parmi des feuillages. À Saint-Julien-de-Mailloc, les melons s’étalent par tonnes ! » « C’était aussi une fête foraine : il y avait des jeux. Un grand jeu de quilles en bois. Il fallait requiller les quilles pour se faire des sous. Il y avait plein de melons. Les melons sucrins d’Honfleur peuvent peser jusqu’à 10 livres. Même aussi gros, ils sont savoureux et sucrés. »
Enquête Mme Perreaud, 2010.  

Affiche Foire Saint-Gorgon, Saint-Julien-de-Mailloc (14), 1836, Archives départementales du Calvados

Dans un catalogue des végétaux cultivés à la pépinière du gouvernement à Alger, on trouve à la suite des melons cantaloups les melons suivants :
« MELON 1 brodé, à chair rouge. 2 de Cavaillon. 3 de Malte ou des Bédouins. 4 à chair blanche, écorce jaune. 5 moscatello de Loisel. 6 de Honfleur. 7 blanc de Dolo. 8 vert d’Espagne, chair blanche. 9 sucrin de Tours. 10 d’Archangel. 11 de Cassabar. 12 d’Égypte. 13 de Cincinnati. 14 de Coulommiers. 15 brodé de Ténériffe. 16 alongé de Virginie, ou ananas d’Amérique. 17 chaté. »
Auguste Hardy, Catalogue des végétaux cultivés à la pépinière centrale du gouvernement à Alger, Imprimerie du Gouvernement, Alger, 1850, p. 63. 

Catalogue des végétaux du gouvernement d'Alger, 1850

Melon de Honfleur – Étonnant melon

Melon ‘Sucrin de Honfleur’, ‘melon de Lisieux’ ou ‘de Notre-Dame de Courson’ : ce fabuleux melon était cultivé en plein champ en Normandie.
Jusqu’en 1914, le melon ‘Sucrin de Honfleur’ était cultivé sur les coteaux les mieux exposés au soleil autour de Lisieux, Honfleur, dans toute la vallée de l’Orbiquet (14) et jusque dans l’Eure (27).
Cette plante singulière a fait l’objet de très nombreuses publications, précises et finement détaillées, regroupées dans ces articles.
Pourra-t-on en retrouver la variété originale ? 

Derniers témoignages 
Affiche Foire Saint-Gorgon, Saint-Julien-de-Mailloc (14), 1836, Archives départementales du Calvados

À Beuvillers (14), Louis se souvenait en 1987 d’avoir goûté ce fruit peu après la Seconde Guerre mondiale : « Je me souviens : sa chair orangé foncé était très sucrée. »
À Tordouet, un ancien éleveur réservait le fumier de ses moutons pour la culture du melon de Honfleur. Enquête professeur Pierre-Noël Frileux, UFR Rouen, 1991

À Saint-Pierre-de-Mailloc, l’épicière avait gardé le souvenir de la foire de la Saint-Gorgon « dans le champ près de la chapelle des Quatre Mailloc. » Enquête 1992

« Les melons sucrins d’Honfleur peuvent peser jusqu’à 10 livres. Même aussi gros, ils sont savoureux et      sucrés» Enquête Pays de l’Orbiquet, 2009

« Ma grand-mère me parlait toujours des cantaloups. Elle en cultivait dans son jardin. Elle faisait un compost, et dessus elle cultivait des melons. Elle devait garder ses graines d’une année sur l’autre. C’était bon. Ils n’étaient pas couverts, ils descendaient par terre. On appelait ça faire une couche. Enquête Pays de l’Orbiquet, juin 2010

En 1937, les semences de melon de Honfleur sont encore au catalogue du grainetier Heusse, rue Pont-Mortain à Lisieux. Coll. Montviette Nature 

Extrait catalogue Heusse, Lisieux, 1937
Description 

Depuis le XVIIIe siècle, la culture du melon sucrin de Honfleur en plein champ et la taille exceptionnelle de son fruit ont marqué les curieux et inspiré de nombreux auteurs : agronomes, écrivains, illustrateurs…

M. Mustel, dans son Traité théorique et pratique de la végétation, dresse une liste des meilleures espèces de melons et cite le : « Melon d’Honfleur assez semblable au précédent [melon Morin], mais plus gros ; on le cultive en pleine terre dans une gorge à Honfleur, où il réussit parfaitement; mais il n’en est pas toujours de même dans les jardins. »
François-Georges Mustel, Traité théorique et pratique de la végétation contenant plusieurs expériences nouvelles & démonstratives sur l’économie végétale & sur la culture des arbres, Tome 4, Rouen et Paris, 1784, p. 523.

Michel Vivier, agronome et auteur de nombreuses notes sur le sujet, pensait que la description du « Gros Maraîcher » dans le Traité des jardins de Louis-René Le Berryais était celle du melon de Honfleur :
« Melon-Morin, Gros Maraicher […].  Ce melon est plus hâtif & plus gros que le précédent [Melon commun, Melon Maraicher], de forme sphérique, marqué à l’œil d’une espèce d’étoile ; la broderie de sa peau est très-relevée, sur un fond vert tirant sur le noir. Sa chair est fort épaisse, rouge, sucrée & vineuse. »
Louis-René Le Berryais, Traité des jardins, ou le nouveau de la Quintinye, Vol. 2, Jardin potager, Nouvelle édition, 1785, p. 281.

« MELON DE HONFLEUR , en Normandie, où on le cultive en pleine-terre, dans une gorge sablonneuse & très chaude : Cucumis Melo subrotundus, reticulatus, maximus. Un peu moins rond que le Morin, il est un tiers au moins plus gros ; sa chair, très-épaisse, d’un jaune rougeâtre, est couverte d’une écorce dont la broderie est lâche, souvent peu épaisse, & qui laisse soupçonner des côtes. Cette chair est fondante, très-aqueuse , bien sucrée, d’une saveur exquise quand le Melon rencontre le grain de terre qui lui convient, & l’exposition brûlante qu’il exige. »
Jean-Jacques Fillassier, Dictionnaire du jardinier françois, Tome 2, Paris, 1789, p. 32.

« Melon d’Honfleur, long, très-gros, à côte, chair rouge, vineux. Il n’est pas hâtif, il mûrit en Août et Septembre. Bon fruit, bois très-vigoureux. Il réussit en pleine terre dans des années favorables. »
Étienne Calvel, Du melon, et de sa culture sous châssis, sur couche et en pleine terre, A.-J. Marchant, Paris, 1805,     p. 33.

« Melon d’Honfleur. C’est un superbe melon, très gros, bien fait, ordinairement allongé, à larges côtes régulières, peu enfoncées, bien brodées. Sa chair n’est pas très fine, mais elle est pleine d’eau et de fort bonne qualité. »
Nouveau cours complet d’agriculture théorique et pratique […] ou Dictionnaire raisonné et universel d’agriculture, Tome 8, LIC-MYR, Déterville, Paris, 1809, p. 275-276.

Planche « Melon Morin, Melon de Honfleur et Melon de Langeais » Fonds Muséum d'histoire naturelle de Rouen

Melon d’Honfleur […]. Fruit plus allongé que le précédent [Melon de Langeais], auquel il ressemble quant au surplus du facies, excepté par l’attache du pédoncule, qui est beaucoup plus resserrée. Son bois est moins vigoureux. On voit de ces fruits très-gros et pesant de 30 à 40 livres. On lui laisse 2 ou 3 fruits. Moins tardif que le Coulommiers. Culture sur couche en tranchée sous cloches et sous papier. »
Aîné (Pierre Joseph ou Hector) Jacquin, Monographie complète du melon : contenant la culture, la description et le classement de toutes les variétés de cette espèce, suivies de celles de la pastèque à chair fondante, avec la figure de chacune dessinée et coloriée d’après nature, Rousselon et Jacquin Frères, Paris, 1832, pl. IV et p. 149.
(Fonds Muséum d’histoire naturelle de Rouen – Réunion des Musées métropolitains – Métropole Rouen Normandie) 

MELON DE HONFLEUR. […] Fruit très gros, allongé, à côtes assez marquées, finement brodé sur toute la surface, prenant à maturité une couleur jaunâtre un peu saumonée. Chair orange assez épaisse. La longueur du fruit peut atteindre facilement 0,35 m à 0,40 m, et la largeur 0,20 m ou 0,25 m. Quand il est bien venu, la qualité en est souvent excellente. Maturité demi-tardive. C’est, avec le Melon Cantaloup noir de Portugal, le plus volumineux de tous les melons cultivés sous notre climat. Il est également remarquable par sa très grande rusticité. »
Vilmorin-Andrieux et Cie, Les Plantes potagères, Description et culture des principaux légumes des climats tempérés, Vilmorin-Andrieux et Cie, Paris, 1883, p. 337.

« Melon de Honfleur. Fruit développé, allongé, brodé, à côtes assez marquées, vert pâle ; chair rouge orange, un peu grossière et un peu fade. Ce melon est cultivé avec succès en pleine terre bien exposée sur les côtes de Normandie ; il  est  très  rustique mais un peu      tardif. »
Gustave Heuzé, Cours d’agriculture pratique,  Les plantes légumières cultivées en plein champ […], Deuxième     édition, Paris, 1898, p. 308. 

Illustration Dufour de Villerose

« Melon de Honfleur, […], très-gros, ovoïde, très-allongé, à côtes bien marquées. épaisse broderie grise ; même qualité que le Coulommiers ; très-bon ; tardif comme tous les gros melons en général ; très-rustique. »
Dufour de Villerose, Culture du melon, Méthode simple et précise pour obtenir des melons d’une grosseur extraordinaire d’une qualité et d’un goût exquis, 4e édition, Auguste Gouin, Paris, 1856, p. 75.

Melons, catalogue Le Paysan, 1947, coll. Montviette Nature

Histoire du ‘Proudon’ et du ‘Prédome’ 

« Cette variété est aussi connue des vieux jardiniers du Cotentin sous le nom de « Prudent » ou « Prudon ». Il rappelle une variété normande le ‘Petit carré d’Hérouville’ », explique Georges Salliot, président de l’association des Jardins familiaux de Saint-Lô en 2006 en confiant quelques gousses de son précieux haricot aux guides du Jardin Conservatoire de Saint-Pierre-sur-Dives. 

Les gousses déposées au Jardin Conservatoire en 2006

Une fiche descriptive accompagne les gousses confiées au Jardin Conservatoire :

  • C’est une variété grimpante qui monte à deux mètres environ.
  • Ses gousses en grappes de quatre à huit éléments ont une dizaine de centimètres de long.
    Les renflements dus aux grains apparaissent rapidement mais le haricot reste tendre jusqu’à un état très avancé de sa maturité.
  • Le ‘Proudon’ est une variété remontante. Il produit une seconde fructification, certes moins abondante que la première, en fin d’été. 
Ses grains blancs peuvent être conservés...
Prudon, Proudon, Prodommet et ‘Blanc de Maltot’

Depuis 2006, Montviette Nature interroge les personnes ressources. Il est connu et réputé bien au-delà du Cotentin. Un couple âgé venu de la Mayenne a apporté à Montviette Nature des graines d’un haricot que leur famille cultive depuis plus de soixante-dix ans : le ‘Prodommet’.
Le conservatoire de la ferme de Sainte-Marthe conservait dans ses collections un ‘Blanc de Maltot’. Cultivés tous dans les mêmes conditions, il s’avère qu’ils sont parfaitement semblables. Reste à mener maintenant une recherche génétique. 

Et le ‘Prédome’ de Vilmorin et le ‘Prédome’ de Louis-René Le Berryais ?

Au XIXe siècle, dans l’ouvrage Les plantes potagères de Vilmorin-Andrieux est décrit un haricot ‘Prédome à rames’ appelé aussi « haricot Prudhomme, H. Prodommet, Pois anglais à rames ». Il est précisé que « Le H. Prédome est une des meilleures de toutes les variétés sans parchemin ; la culture en est très répandue en France, surtout en Normandie où il en existe deux ou trois formes qui diffèrent légèrement les unes des autres par les dimensions de la cosse et du grain. La maturité en est demi-tardive. »
En 1785, l’agronome Louis-René Le Berryais rédige un manuscrit sur la culture des haricots conservé à la bibliothèque patrimoniale de Avranches. Il y décrit un ‘Prédome blanc’ à rames : « haricot blanc sans parchemin. C’est le plus estimable de tous les haricots blancs. Il est d’un fort grand produit. Ses cosses petites, très nombreuses n’ont aucun parchemin, et sont comestibles jusqu’à ce qu’elles soient presque complètement sèches… »
En 1806, il complète son manuscrit par une série de quarante-neuf planches. La planche V, figure 2 montre le haricot ‘Prédome’.

Planche V, figure 2, Manuscrit sur les haricots, L.R.Leberryais, bibliothèque patrimoniale d’Avranches

Le transmettre

Il semble que ces descriptions se rapportent aux différentes variétés collectées depuis plus de trente ans en Normandie. Variété intéressante, savoureuse et facile à cultiver, il est important de la conserver et de la transmettre :
« Parce qu’il n’existe pas dans le commerce, ce légume exceptionnel doit être sauvé de la disparition. Gardez de la graine pour en offrir à d’autres jardiniers. Ils vous remercieront surtout quand ils les auront goûtés. Il faut sauver le haricot ‘Proudon’ ! » Richard Catherine et Georges Salliot (association des Jardins familiaux de Saint-Lô). 

‘Pont-Audemer’ le haricot de Claude

« Croyez-vous qu’on pourrait retrouver le ‘Coco de Pont-Audemer’ ? Nous, maraîchers, l’avons cultivé et vendu sur les marchés de Lisieux et de Cabourg. »
1994. Claude Mesnil, président de la Société d’horticulture et de botanique du centre de la Normandie, ancien « maraîcher de ceinture » à Lisieux puis au Breuil-en-Auge (14), s’adresse à Montviette Nature pour retrouver ce haricot qu’il appréciait tant.
1997. Après trois ans de recherches, le haricot est enfin retrouvé dans l’Eure auprès d’un jardinier amateur. Claude est formel : c’est bien celui qu’il a cultivé. Il en reprend la culture pour maintenir la variété et aider Montviette Nature à la diffuser.  

Claude et Colette ont exploité 60 ares à Lisieux puis au Breuil-en-Auge. Cliché famille Mesnil.
 « Mes parents récoltaient pas mal de graines. »

« Je suis né à Norolles en 1931. Mes parents étaient jardiniers. Mon grand-père, avant 1914, était jardinier à la Monteillerie. Du côté de ma grand-mère, ils étaient six enfants, tous jardiniers : un au jardin public, un au jardin de l’hôpital… J’étais au travail à quatorze ans chez mes parents. À Lisieux, on a exploité 60 ares avec coffres et châssis jusqu’en 1965. On a été expropriés. On a cherché un terrain avec une bonne terre à proximité. Au Breuil-en-Auge, on a trouvé une terre de gros sable et d’alluvions. On a monté une serre légumière de 2000 m2 et tout le restant en plein champ, en versant nord-sud. Le Douet du Mieux a fourni de l’eau même pendant la sécheresse de 1976. »
Claude et son épouse Colette cultivent des variétés normandes, comme le ’Poireau de Carentan’ « mais devenu trop court pour la clientèle », le « pois » ‘Petit carré de Caen’… « On avait un hectare et demi d’exploitation. C’était rentable. »  « Mes parents récoltaient pas mal de graines. »
Pour la récolte des haricots : « Il y avait des tâcherons, des cueilleurs qui faisaient les vendanges, la saison en montagne, les cueillettes de cerises, de fraises, de fruits. Ils arrivaient en voiture et leur caravane. Ils cueillaient les haricots chez nous. »
« Après le marché de Lisieux, on a décidé de faire les marchés sur la côte, à Cabourg puis Dives-sur-Mer. Sur la côte, les clients aiment la marchandise fraîche, belle et bonne. On présentait les légumes dans les paniers à pommes de mon père en châtaignier. » 

Colette vend trois variétés de haricots au marché de Cabourg
Le ‘Pont-Audemer’

Le haricot que Claude et Colette ont cultivé sous le nom de ‘Pont-Audemer’ est un haricot nain, à feuillage vert moyen, à fleur blanche. La gousse large, d’abord verte, se marque rapidement de stries rougeâtres. En mûrissant, la gousse jaunit, les stries deviennent d’un rouge plus vif. Le grain : les gousses longues, droites contiennent de six à dix grains. Grain beige fauve dessiné de stries d’un rouge brun violacé. Exposé à la lumière, le grain brunit et se teinte d’une couleur rouille foncé. Il se consomme entre vert et sec. 

Pas de trace écrite du ‘Coco de Pont-Audemer’

Le ‘Coco de Pont-Audemer’ était cultivé autour de Lisieux et dans l’Eure, sous cette appellation. Mais le nom de ‘Coco de Pont-Audemer’ n’est jamais référencé dans les catalogues des semenciers nationaux, ni chez les cultivateurs grainiers normands. Alors comment l’identifier ? 

 

La piste du manuscrit d’Avranches

La bibliothèque patrimoniale d’Avranches conserve un manuscrit de l’agronome Louis-René Le Berryais (1722-1807) sur les haricots connus au XVIIIe siècle*. Parmi une dizaine de haricots nains dits « haricots suisses », à noter la description du ‘Suisse rouge’ : « Phaseolus humilis albus e rubro variegatus cylindrus. Haricot Nain / nain blanc suisse marbré de rouge : de tous les haricots suisses, celui-ci est le plus beau. Il est très hâtif ; et produit des cosses étroites, mais longues de six à sept pouces, garnies de fèves longues de neuf à dix lignes, cylindriques, marbrées de rouge sur fond blanc. »
* Signalé par Michel Vivier et mis en lumière par Antoine Jacobsohn dans son ouvrage Du fayot au mangetout, L’histoire du haricot sans en perdre le fil, Éd. du Rouergue, 2010. À lire : la biographie de Le Berryais sur le site Wikimanche

Planche XLIX, figure 1, Manuscrit sur les haricots, L.R. Leberryais, Bibliothèque patrimoniale Avranches (50)

Le haricot ‘Suisse rouge’ 

En 1891, Vilmorin-Andrieux fait une rapide description d’un haricot ‘Suisse rouge’: « Plante vigoureuse ramifiée, mais ne filant ordinairement pas ; feuillage raide pas très grand ni très ample, uni, d’un vert un peu grisâtre. Grain allongé presque droit, marbré de taches lie de vin, généralement allongé formant des stries longitudinales sur un fond rouge pâle. »
Il est produit chez deux cultivateurs-grainiers à Caen : A. Lenormand en 1901 et I. Sénécal en 1921 sous le nom de ‘Suisse rouge’.
Aux États-Unis, le haricot ‘Improved Goddard’ ou ‘Boston Favorite’ est très proche du ‘Coco de Pont-Audemer’.
Peut-être que de nouveaux documents d’archives et des recherches plus fines permettront d’identifier formellement ce mystérieux ‘Coco de Pont-Audemer’… 

Catalogue Vilmorin 1944, haricot Suisse rouge
En 1997, Claude a retrouvé le 'Coco de Pont-Audemer'...

En mai les muguets

Au 1er mai, le muguet est cueilli au jardin ou dans les bois. Au jardin, il est blanc, quelquefois rose et exceptionnellement  double. Dans les bois, sa cueillette est désormais réglementée, car il y est de plus en plus rare.
« Le geste de s’offrir un brin de muguet est apparu longtemps après la guerre. Ici, dans les campagnes, ça ne fait que depuis 20 ans. » Madeleine,  1998.

Au jardin

« Le muguet, il faut que ça se plaise et en février, il faut lui mettre un peu d’humus. » Thiéville
« J’ai vu jusqu’à  quinze clochettes par tige. Dans un coin du mur, j’avais du muguet rose. Je lui mettais du marc de café. J’en avais à couper à la faux. Pour l’entretenir, il faut arracher l’herbe sale à la main. Jamais avec un outil ! » Thiéville
« On portait les premiers brins de muguet à la Vierge. » Mais à Vieux-Pont-en-Auge : « Notre  brave curé n’en voulait pas, parce que ça sentait trop fort. Surtout quand l’église est fermée» raconte Madeleine.

Trois muguets
Muguet double recueilli à Montpinçon (14)
Un rare muguet à fleur double

Recueilli par l’association Montviette dans un jardin à Montpinçon (14), ce muguet double et à la corolle légèrement colorée mérite d’être sauvegardé et développé.

Il est déjà décrit au XVIIIe siècle : « Je ne parle point ici du muguet ordinaire, dont les bois sont pleins : il vient ordinairement sans culture. L’espèce en question demande plus de culture, étant très-rare. Nous en devons la découverte au Frère Didace, Récolet, qui étoit habile homme en fait de fleurs. On le plante en bonne terre & en belle exposition : on le multiplie de plant enraciné au mois de Septembre. »
Description de  Louis  Liger, La nouvelle maison rustique, ou Économie rurale, pratique et générale de tous les biens de campagne, Tome second, Libraires associés, Paris, 1790, p. 241

En Normandie dans les bois

Le muguet sauvage,  Convallaria majalis, Liliaceae, est absent du Cotentin. Autrefois très commun dans les bois du Pays d’Auge et de l’Orne, il est devenu rare et sa cueillette est réglementée. Michel Provost,  Atlas de répartition  des plantes vasculaires de Basse-Normandie, Presses universitaires de Caen, 1993.

 

« Il y en avait dans les bois de Fervaques, mais les pieds ont disparu. » Saint-Pierre-de-Mailloc
«On allait au bal de la Fête du muguet à Marie-Joly. » Pierre se souvient : « On allait en cueillir dans la forêt de Cinglais. Il y avait du monde et on n’en trouvait pas beaucoup. On n’avait pas le droit d’y aller la veille. Interdit ! Des années, on n’en trouvait qu’un ou deux brins et les clochettes étaient plus petites. »
 « Au Bois Bunel, on prenait les racines et on les remettait dans le jardin. » Pont-Audemer (27)
L’érudit Arthème Pannier (1817 – 1882) signale la présence de muguet dans le bois de la Hêtre à Saint-Germain-de-Livet (14). (Carnet conservé à la société historique de Lisieux)

Pour rappel, le muguet est une plante toxique. Les accidents sont rares mais il est important d’en être informé.

Muguet sauvage, bois de La Roque Baignard. Cueillette réglementée. Photographie J.F. de Witte
Note d'Arthème Pannier in Carnet conservé à la société historique de Lisieux

Sauver le chou de Tourlaville

En 2015, sur les marchés autour de Cherbourg, on vendait encore des plants du ‘chou de Tourlaville’ produits à Bretteville-en-Saire (50). Désormais cette variété n’est plus cultivée que par des amateurs. Une variété en danger de disparition ? 

Catalogue Lenormand Caen 1909

Cette variété bien connue était cultivée depuis la fin du XIXe siècle dans le Val de Saire, mais aussi dans les jardins autour de Caen, en Pays d’Auge et jusqu’à Rouen.

« Chou pommé blanc de Tourlaville, (vrai) ou Cabus. Très hâtif ‘Lemarchand’ Obtenu par M. Lemarchand, l’un de nos principaux cultivateurs maraîchers, qui le cultive en très grandes quantités et en plein champ  » (Catalogue A. Lemarchand, Caen, 1909)
« Chou prompt de Tourlaville, très hâtif, (graine cultivée dans la Manche) » (Catalogue R. Guesdon, successeur Maison Bazin-Simon, Sourdeval-la-Barre (50), 1924-1925)
À Caen, E. Rosette, en 1928 : « Chou cabus précoce de Tourlaville (variété très cultivée en Normandie pour la production de printemps) ».
« Chou pommé de Tourlaville, (vrai) extra » (Catalogue A. Heusse, successeur Maison Bassière, Lisieux, 1937)
« Chou de Tourlaville variété de mérite pour le bord de mer », (Catalogue E. Picard,  Rouen, 1938)
À Caen, l’établissement Sénécal sélectionne une souche de porte-graine : « De Tourlaville, sélection de drageons, se recommande comme chou de primeur. Tourlaville amélioré dit Lemarchand (sélection de drageons) commence à produire en avril une pomme énorme très serrée. » (Catalogue I. Sénécal, Caen, 1961)
Les cultivateurs grainiers du début du XXe siècle mettent un point d’honneur à sélectionner et conserver le type original, à ce qu’il ne soit pas confondu avec des variétés proches comme le chou ‘Prompt de Caen’.

 

Chou précoce de Tourlaville
La variété est longuement décrite par le semencier Vilmorin :
« Pomme assez haute et pointue, formée par l’enroulement des feuilles, dont quelques-unes ont une moitié libre et l’autre engagée dans la pomme. Feuilles larges et amples, d’un vert très foncé, à côtes très grosses et rondes près de la tige, se recourbant brusquement pour appuyer les feuilles contre la pomme. C’est une variété bien distincte, précoce, vigoureuse, qu’on voit arriver en grande quantité à la halle de Paris dès la fin de l’hiver, des environs de Cherbourg, où elle est cultivée en grand.
En dehors de son pays d’origine, elle ne paraît pas avoir d’avantage bien marqué sur les choux cœur de bœuf. C’est, au surplus, une race un peu variable au point de vue de l’apparence des feuilles, qui sont tantôt lisses, tantôt cloquées. » (Vilmorin-Andrieux et Cie, Les plantes potagères, Description et culture des principaux légumes des climats tempérés, 2e édition, Vilmorin-Andrieux et Cie, Paris, 1891, p. 123 – Collection Montviette Nature)
En 1926, dans son Catalogue général des graines potagères, Vilmorin indique : « Chou précoce de Tourlaville, Chou de printemps pour le bord de la mer. Pomme assez haute, pointue. Variété distincte, précoce. »

Mode de culture

« Semer en pleine terre en août-septembre ; repiquer en pépinière ; mettre en place en novembre ou au printemps à 40 ou 50 cm d’intervalle. (Catalogue E. Picard, Rouen, 1938) 

Leçons de choses 1920

Quand le ‘Tourlaville’ sert à des essais…

1934, le Bureau d’études sur les engrais de la Société commerciale des potasses d’Alsace, situé 34 rue Richard Lenoir à Caen et basé ensuite à Granville, diffuse un livret intitulé  La fumure des terres en Basse-Normandie  où des essais sont menés sur différentes cultures comme celle la pomme de terre à La Mancellière. Le président des maraîchers de Tourlaville-Cherbourg, monsieur Burnel, se prête volontiers à l’expérience. Il est diqu’ « autrefois, on faisait un large emploi des varechs qui apportaient une dose importante de potasse… Actuellement le varech est de moins en moins employé en raison des frais élevés qu’entraîne sa récolte… » Le bureau des engrais suggère donc l’emploi de chlorure de potasse pour obtenir le chou de Tourlaville de belle venue que montre l’image [ci-dessous] ! (Livret collection Montviette Nature) 

À lire aussi : la page wiki https://www.wikimanche.fr/Chou_de_Tourlaville et les notes de Michel Vivier dans son ouvrage  Savoirs et secrets des jardiniers normands, Éd. Charles Corlet, 2007. 

La haie plessée

Le plessage, une technique ancienne et efficace, refait son apparition.

Pourquoi plesser une haie ?
Cette méthode permet de se passer de matériaux artificiels (barbelés, etc.) et nécessite peu d’équipement. De plus, la régénération de la haie plessée consiste en un nouveau plessage et l’efficacité ne sera perdue que le temps de l’opération. Par contre, la régénération d’une haie vive demande un recépage, ce qui implique une inefficacité de plusieurs années.

Entailler, plier, entrelacer
Partant d’une haie vive, l’idée est de créer une trame ou un maillage vivant. On entaille les troncs à la base de haut en bas sur la longueur et la profondeur nécessaires pour les rendre flexibles. Puis on les amène presque à l’horizontale, les tressant entre des piquets ou des troncs laissés intacts, faisant office de piquets vivants. Des pousses, sur les troncs pliés et à la base, complèteront la trame année après année.  Le « miracle » est que la fine lame qui relie le tronc à sa base, si elle contient écorce, liber, cambium et un peu d’aubier,  permet la survie et la croissance du sujet. La souche, elle, se comporte comme après un recépage ; ce qui en  augmente la durée de vie.

la fine lame qui relie le tronc à sa base...

Une technique ancienne…
Cette technique, peut-être d’origine celte ou saxonne, était répandue en Europe. On en trouve une description dans la Guerre des Gaules de Jules César : « ils [les Nerviens] ont eu l’habitude, pour arrêter plus facilement la cavalerie des peuples voisins, dans le cas où le désir du pillage l’attirerait sur leur territoire, de tailler et de courber de jeunes arbres, dont les branches, horizontalement dirigées et entrelacées de ronces et d’épines, forment des haies semblables à un mur, et qui leur servent de retranchement, à travers lesquels on ne peut ni pénétrer ni même voir. »  (Livre II, chapitre XVII -Traduction française disponible sur  http://bcs.fltr.ucl.ac.be/CAES/BGII.html)  [consulté le 24.10.2022]
De multiples variantes régionales existent, chacune étant la meilleure !
Le summum étant une haie plessée d’aubépines uniquement, montée sur un talus empierré et doublée d’un fossé, impénétrable au cheval comme au lapin.
La haie plessée était présente dans la région comme en attestent les noms de lieux-dits y faisant référence, (lire ci-dessous le document du chercheur Dominique Fournier) ainsi que des tableaux (voir le tableau de Claude Monet La Pie (1868-1869), des photos ou des vestiges sur de vieilles haies.
Elles disparurent avec l’apparition du barbelé à la fin du 19e et surtout après la Première Guerre mondiale. Le coup de grâce fut donné par la mécanisation intensive et le remembrement au sortir de la Deuxième Guerre mondiale.

… remise en valeur aujourd’hui
Depuis quelques décennies, la technique connaît un regain au Royaume-Uni où sont même organisés des concours de plessage régionaux. Les participants doivent respecter scrupuleusement le style associé et l’usage des outils afférents.
En France, la technique réapparaît dans le Nord, le Nord-Ouest, le Perche, le Morvan, etc.

Les essences
Les végétaux utilisés pour créer une haie qui sera plessée sont multiples. Il vaut mieux prendre des plants indigènes et éviter ceux toxiques pour les animaux concernés. Pour contenir le bétail, aubépine, prunellier et houx sont les plus efficaces, mais le houx est très lent à croître. Les autres espèces faciles à plesser sont : noisetier, charme, hêtre, érable champêtre, chêne… Un mélange de ces espèces créera une bonne haie.

Erable champêtre

Quand plesser ?
Après la plantation, il faudra attendre cinq à dix ans et/ou une hauteur de haie de 2,5 à 4 mètres avant de plesser, pour obtenir après plessage une hauteur de 1,20 à 1,40 mètre. (Les hauteurs et durées sont indicatives, car variables en fonction des essences, de l’environnement et du climat.)
La période pour effectuer le travail va de septembre à mars, hors gel. Les mois de septembre, octobre et mars sont préférés pour la cicatrisation.
La répétition du processus se fait tous les quinze à vingt-cinq ans, voire cinquante ans dans des conditions optimales. Et la perte d’efficacité ne durera que le temps du plessage, ce qui en fait la conduite idéale des haies pour clore un champ.
La taille d’entretien devrait idéalement se faire manuellement, ce qui permet de voir et d’anticiper les problèmes. La fréquence de la taille, qu’elle soit manuelle ou mécanique, devrait être d’une fois tous les deux à trois ans pour donner plus de sous-produits, favoriser la biodiversité et allonger la durée de vie des plants. La taille en dôme, en triangle ou en trapèze favorisera l’accès de la lumière sur toute la haie.

La procédure
Il faut compter plesser 10 à 30 mètres par jour en fonction de ses capacités (!) et de l’état de la haie.
Sur une pente, on commence par le haut du terrain et on plesse la haie du bas vers le haut, ce qui diminue la pliure.

  1. On commence par nettoyer la base de la haie : on ôte les bois morts et mal configurés, les ronces, etc. Puis on sélectionne les troncs que l’on va plier en évitant cependant d’enlever trop vite les surnuméraires. On élague les branches pouvant entraver le pliage. Du côté animaux, on garde des branches pour protéger la base de la haie. De l’autre côté, on élague bien pour permettre à la lumière d’atteindre les troncs et les bases, afin que les pousses verticales puissent démarrer.
  1. Ensuite, pour un droitier, on exerce une traction de la main gauche sur le tronc et avec la serpe on entame celui-ci en oblique à une hauteur d’au minimum trois fois le diamètre au minimum (10-20 centimètres du sol). On entaille jusqu’au moment où le tronc devient flexible. Tout est alors une question de dosage entre coupe et traction pour amener le sujet presque à l’horizontale dans l’axe de la coupe sans casser le lien de vie. On plie jusqu’à ce que le tronc soit stable, en contact avec le sol ou avec le tronc précédent. Jusqu’à 7 centimètres de diamètre, on utilise la serpe ou la hache. Au-delà, la tronçonneuse facilite le travail (mais ne peut pas être utilisée lors de concours !).
    Ceci fait, on coupe le talon de la taille en évitant de créer une poche qui pourrait accumuler l’eau  et on passe au tronc suivant.
  1. En fin de journée, on enfonce des piquets de noisetier ou de châtaignier (4 centimètres de diamètre et 150 centimètres de hauteur) tous les 50 centimètres, légèrement décalés côté bétail, et on tresse au sommet des tiges de noisetier ou de charme pour stabiliser l’ensemble. Cela s’appelle la parure.
    La vie des piquets et des tiges n’est pas très longue, mais les pousses sur les troncs et à la base renforceront le maillage et compenseront rapidement l’affaiblissement de la structure morte.
    Pour les puristes, une touche finale consiste à couper en biais le sommet des piquets à la même hauteur.

Les outils
une serpe, qui peut être à long manche, pour dégager les ronces, orties, débris, bois mort divers et pour réaliser l’entaille;
– un échenilloir pour élaguer les troncs;
– une hache pour élaguer et pour réaliser les piquets;
– une scie à archet pour couper les talons;
– une tronçonneuse pour les gros sujets (diamètre de plus de 10 centimètres);
– un maillet en bois (qui peut être une section de tronc avec un tronçon de branche toujours attaché);
– un sécateur;
– une pierre à aiguiser, des vêtements résistant aux épines, de solides chaussures et des gants (et une trousse de premiers secours…).

Serpe à long manche, gros sécateur et hache, collection Montviette Nature et château de Crèvecoeur

 

Les variantes

Chaque type de plessage est lié à une région, c’est-à-dire au matériel végétal qui est disponible et à la destination de la haie. Plutôt que de décrire toutes ces variantes, voici les options principales à chaque étape.
La haie peut être simple ou double, avec même un chemin d’entretien entre les deux ensembles. Elle peut aussi être montée sur un talus doublé de fossés.
Le sens du plessage est généralement unique, mais rien n’empêche d’utiliser les deux sens, à partir d’un siège de noisetiers par exemple.
En Allemagne, des haies de charmes sont plessées en croix, et au point de contact, l’écorce est enlevée, ce qui fera fusionner les deux végétaux.
Pour combler un vide, on peut également partir en sens opposé, faire à mi-hauteur une seconde entaille et revenir dans le sens initial.
Avec ce même objectif, on peut plesser sous l’horizontale et au point de contact avec le sol faire une deuxième entaille et marcotter la tige à cet endroit.
Dans la même idée, une tige irrégulière peut être ramenée dans l’axe de la haie par plusieurs entailles dans le plan horizontal.
Le plessage peut s’effectuer à différentes hauteurs. C’est alors la partie verticale des troncs qui sert  de piquet.
Les piquets peuvent être droits, inclinés, décalés, morts ou vivants, positionnés avant le plessage ou après.
Le sommet peut être coupé droit, en oblique, en pointe ou contenir un segment de branche qui aura le même rôle que la parure.
La parure connaît de nombreuses versions dont une des extrêmes est le chevron utilisé dans certaines parties du Yorkshire.
Des arbres de haut jet ou des têtards peuvent être présents. Ils sont facilement intégrés au système et apportent ombre, bois, fruits, beauté et enrichissent le biotope.

Article et réalisations Philippe Deltenre

 

Pour en savoir plus
Franck Viel, Le plessage de la haie champêtre, clôture vivante, Maison botanique (de Boursay) et Association Passages, août 2003.

Le plessage de la haie champêtre, clôture vivante, Guide technique, Maison botanique, 2012 (consultable en ligne).
Conduite de la haie : plessage, Fiche réalisée par le Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement de la Sarthe, 2009 (disponible en téléchargement).
Le plessage des haies, sur le site Internet de l’association Haies vives.
John Wright, A Natural History of the Hedgerow, Profile Books, London, 2017.
Murray Maclean, Hedges and Hedgelaying, The Crowood Press, 2020.
Alan Brooks, Hedging, A Practical Handbook, British Trust for Conservation Volunteers, 1975.

 

Le Plessis et la Plesse dans les noms de lieux

par Dominique Fournier (linguiste, spécialiste de la microtoponymie)

 La pratique du plessis, de la haie pliée ou plessée est attestée dans la toponymie normande depuis le Moyen Âge, et ses traces sont nombreuses en pays d’Auge. Le terme de base évoquant cette technique est l’ancien français plaisse, plesse désignant une haie faite de branches entrelacées, puis un terrain clos ceint d’une telle haie. Le mot survit en patois normand et d’autres parlers d’oïl avec un sens technique : il y désigne la branche d’une haie dépassant le niveau voulu de la clôture, et rabattue obliquement vers le centre où elle est maintenue par un lien. Il est aussi attesté dans le Berry au sens de “branche rabattue”, et dans le Maine avec celui de “clôture ; clôture en épines”. Ils’agit soit du dérivé de plaissier, plessier“plier; entrelacer” (du latin populaire °plaxare), soit du produit du gallo-roman °plaxa, féminin de °plaxu “plié, entrelacé”, issu du latin populaire °plaxus, réfection du latin classique plexus, de même sens.

Les mots plaisse et plaissier appartiennent à une très riche famille en ancien français, dont plaisseis, plessis est sans doute le mieux connu. Ce dernier possède tous les sens de plaisse, et a désigné plus généralementdivers lieux clos de haies entrelacées, de claies, de clôtures ou de palissades. De cette même famille relèvent encore plais, synonyme de plaisse (d’où le type toponymique le Plais, le Play, le Plix, etc.) ; plaissié, synonyme de plaisseis (d’où le type le Plessé, etc.); plaissee “clos, parc fermé de haies”, etc.

On constatera que de nombreux toponymes augerons du type la Plesse ou le Plessis ont désigné des manoirs et des fiefs ainsi défendus, mais aussi des domaines plus modestes ou des bois usant de cette technique. Pour ce qui est du premier type, connu dans toute la Normandie, l’un des domaines les plus importants de ce nom dut être celui de la Plesse, manoir, seigneurie et ancienne ferme à Saint-Germain-de-Montgommery (la Plesse 1666, la Plaise 1753/1785, la Plesse 1834, la Plisse 1835/1845, la Plesse 1883, 2022).

Mais c’est le type Plessis qui est le mieux attesté, tant dans le pays d’Auge (on y relève plus d’une vingtaine d’occurrences) que dans le reste de la Normandie, environ 150, sans doute plus, comme Le Plessis, lieu-dit à Forges (61). Parmi les toponymes les plus anciens, citons le Plessis, ancienne ferme et bois du fief de Beaumont-en-Auge (es plesseiz 1261/1266, le Plessis 1753/1785) ; ancien domaine vers Le Pin (le Plesseiz;eu Plesseiz du Pin 1261/1266 ; ancien bois à Ouilly-le-Vicomte (quoddam nemus cum fundo terre quod vocatur Le Plesseiz 1277) ; le Plessis Esmangard, nom primitif de Dozulé (Plessitium Ermengardis 1382 (?), Notre-Dame du Plessis Ermengard 1400, le fief du Plessis Esmenguard, autrement Silly 1620/1640, le Plessis Esmangard 2001) ; le Plessis, ferme, manoir et ancien fief à Saint-Germain-la-Campagne, 27 (le Plessis 1416, 1753/1785, 1998) ; hameau et ancien fief à Épaignes, 27 (le fief du Plessis 1540, le fief du Plessis, assis a Espaigne 1541, le Plessy 1753/1785, le Plessis 1878, 1985 ; etc.

 

 

 

Petits usages du noisetier

« Dans les haies, des noisetiers il y en a partout » raconte Raymond.  D’autres l’appellent « la coude » ou « le coudrier ». Pour le paysan ou le jardinier, le noisetier présente de nombreux atouts : c’est un bois souple, facile à travailler qui  convient bien pour les objets longs.
Les enquêtes menées auprès des anciens en Normandie ont révélé qu’une vingtaine d’objets étaient  facilement fabriqués.
A la ferme : Gaule, réquêt ou gaulet, perche, tendeur à peaux de lapin, manches d’outils, hart, fourchet, trique, baguette de sourcier, bâton de marche.
Au jardin : Cordeau, pique-chou, rames à haricots, rames à pois.
Jeux d’enfants : Lance-pomme, lance-pierre, bûchettes

Gaule à pommes : Les noisetiers les plus vigoureux poussent bien droit. On peut ainsi confectionner de longues gaules légères. Pour gauler les pommes, il ne faut pas frapper sur les branches comme une brute mais utiliser la flexibilité du bois de noisetier pour agiter les branches sans abimer les bourgeons.  A la fin de la saison, les gaules sont remisées à l’arrière du pressoir ou de la grange.
Quand on est assez jeune et peu enclin au vertige, on monte dans les pommiers les plus chargés en fruits pour abattre les pommes. On se sert alors d’une courte gaule, le réquet,  pour atteindre les fruits peu accessibles. « Quand mon père secouait une grosse branche, il pouvait faire tomber une « pouche » de pommes. » Le Pin  « J’ai un gaulet, petite gaule à pommes pour monter dans les pommiers ». Saint-Martin-de-Fresnay
Dès la fin du mois de juillet, les pommiers commencent à ployer sous le poids des fruits. Pour éviter que les branches ne se brisent, on les soutient avec des perches. Les pommes sont ainsi hors de portée des vaches même si on les entrave avec des « piétins ».

Ce petit bâton fourchu permet de redresser « l’herbe versée » quand on fait les talus, la faucille d’une main, le fourchet dans l’autre.

« Pour faire les harts, en général c’était la coude. Mais aussi avec les repousses  de chêne. Le père Couraye, il avait le coup, il en faisait en moins de deux pour lier les fagots. Ça se fait quand la sève marche. En mars, avril, ça se tordait mieux.  On faisait à mesure. En général,  c’était solide. Ça ne coutait pas cher, mais c’était moins rapide que le fil de fer.  C’était surtout pour faire des bourrées au pied, tu appuyais au pied, ça serrait, on tirait dessus avec le hart. J’aimais ça. » Francis,  Saint-Pierre-de-Mailloc

Tendeur à peaux de lapin ; Autrefois dans les fermes, lorsque l’on tuait un lapin, sa peau était mise à sécher dans un grenier sur un tendeur ou une fourche en noisetier dans l’attente du passage du marchand de peaux de lapins. Le prix de vente des peaux était dérisoire. « Ma mère nous remettait cette maigre recette qui était placée dans notre tirelire ». Le Pin

Quand on coupe une haie, on sélectionne les branches les plus droites et au diamètre adéquat pour confectionner tous les manches d’outils qui cassent fréquemment, de la binette à la fourche à fumier. On pèle  l’écorce du bois encore vert à la plane, « sur le banc à planer pour écorcer le noisetier ou peler le noisetier ». Ablon

« Je tresse trois pousses de coude ensemble. Je les attache et les laisse pousser au moins deux ans. Ça  fait une jolie canne ». René, Grandmesnil
« Mon père refaisait les barreaux des râteliers avec du noisetier pelé. » Renée, Saint-Désir-de-Lisieux
Le sourcier, celui « qui a le don de trouver l’eau» utilise uniquement une baguette fraiche de noisetier qu’il cueille dans la haie la plus proche. «  Dans ma ferme, quand j’ai décidé de creuser un puits pour abreuver tous les animaux, le patron de l’entreprise de forage a déterminé l’endroit où creuser avec une baguette de sourcier. » Saint-Pierre-de-Mailloc, 1990
Quand on change les veaux ou les bœufs d’herbage, il faut avoir une bonne trique pour les faire avancer, les arrêter ou les empêcher de se diriger dans une mauvaise direction. A utiliser avec modération. On ne frappe pas les vaches laitières que l’on doit pouvoir approcher chaque jour pour les traire. En revanche, on ne pénètre jamais dans la cour au taureau sans une grosse trique qui stationne toujours à l’entrée de l’herbage.

Pique-chou en noisetier

Le « haricot à rames » est une plante grimpante qui a besoin d’être tuteurée « Dès que les haricots réclament les rames ». Ils s’enroulent autour de baguettes de noisetier fixées deux par deux par le jardinier. L’hiver venu, les rames sont soigneusement remisées pour être réutilisées l’année suivante.
Contrairement aux haricots, le pois s’accroche aux rames avec des vrilles comme la vigne. Les branches d’orme en forme d’arrête de poisson convenaient bien pour le soutenir. Le noisetier a remplacé l’orme disparu des haies vers 1980.
« Mon grand-père était fier de montrer ses poireaux alignés « au cordeau ». Manerbe

Bûchettes en rameaux de noisetier dans un cahier de 1937, école de Grandmensil (14)

« Quelques jours après la rentrée des classes du cours préparatoire,  la maîtresse  nous a demandé d’apporter une dizaine de buchettes pour apprendre à compter. » Ecole Le Pin, 1963
Les « mauvais gamins » fabriquent facilement des lance-pierre qui peuvent s’avérer dangereux. Les plus intrépides s’en servent pour casser les carreaux des maisons abandonnées. « J’étais très adroit avec le lance-pierre. J’abattais un pigeon à 20 mètres, mieux qu’avec un fusil. » Pont-L’évêque.  « Dans les élingues, des fois on mettait des billes. » Thiéville.  « Lance-pierre pour tirer les merles ». Patrick, Clarbec
« Quelques jours après la rentrée des classes du cours préparatoire,  la maîtresse  nous a demandé d’apporter une dizaine de buchettes pour apprendre à compter. » Ecole Le Pin, 1963
Le lance pomme sert à multiplier la forme du bras.

A découvrir l’atelier découverte « Les petits usages du noisetier » sur les évènements à suivre…