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Retrouver la rose ‘Génie de Chateaubriand’

À Lisieux

Au milieu du XIXᵉ siècle, le jardin de l’Évêché de Lisieux  est entièrement planté de roses prestigieuses ou nouvelles. Plus de 300 variétés y sont réparties selon un ordre qu’a soigneusement noté Arthème Pannier, membre de la Société d’émulation. Ce document  est conservé à la Société historique de Lisieux.

Beaucoup de ces roses sont des obtentions des célèbres rosiéristes caennais : Pierre Oger et Gustave Thierry. Une toute nouvelle rose a été obtenue par les pépiniéristes lexoviens Jules et Gabriel Oudin : ′Génie de Chateaubriand′. Elle apparaît à six  endroits dans les parterres du jardin de l’Évêché.

Jules-Auguste Oudin s’est exercé très tôt à la technique des hybridations et a obtenu, auparavant,  des roses sans doute aujourd’hui disparues : ‘Perpétuelle Lindsey  en 1845, hybride perpétuelle à grande fleur rouge pourpre, nuancée de rouge vif au centre, ‘Duchesse de Normandie’ en 1846. En 1850, il créera ‘Triomphe d’Oudin’, également introuvable. (D’après les recherches de Daniel Lemonnier, spécialiste des roses normandes à découvrir sur le site « Roses normandes ».)

« Une rose nouvelle »

Dans le journal Le Normand (journal de Lisieux et de Pont-l’Évêque) du 20 octobre 1848, on peut lire : « Le Calvados est un des départements de la Normandie où l’horticulture est le plus en progrès. La Ville de Lisieux surtout se distingue par ses améliorations horticoles. Voici en quels termes M. Victor Pâquet parle d’une nouveauté florale obtenue dans notre ville. « Rose Chateaubriand » – MM. Oudin de Lisieux, nous adressent une Rose très remarquable, à laquelle ils se proposent de donner le nom du grand littérateur dont l’histoire perpétuera à jamais le souvenir. Cette Rose appartient à la section des Perpétuelles-Hybrides […] Nous considérons leur Rose comme l’une des plus belles fleurs connues. Elle est d’un rouge ou plutôt d’un violet-évêque des plus beaux, et très odorante. »

« Les boutons ont le pédoncule très allongé, et forment un magnifique bouquet, qui succède à la fleur du centre, laquelle est très grande. Cette belle plante sera figurée dans l’Instructeur-Jardinier pour lequel nous nous sommes empressés de la faire peindre aussitôt l’avoir reçue de Lisieux. »

« Une rose aux reflets de velours noir »

La rose a été peinte en 1848, à la demande de Victor Pâquet, par le peintre L. Constans, probablement Léon Louis Aristide Constans (1815 1871) et la description du rosier a été publiée dans de nombreuses revues d’horticulture :

Dans la Revue horticole du 15 avril 1850, la description est signée Oudin (p. 141-142) :
« Végétation vigoureuse ; rameaux droits, à écorce lisse, garnis d’aiguillons arqués en dessous, rougeâtres sur les jeunes rameaux et prenant une teinte grise sur les anciens, acérés, se détachant très facilement […].Les feuilles sont planes en dessus, vert clair comme argenté en dessous ; elles sont presque toujours composées de 7 folioles, rarement de 5 […].  Les fleurs se développent à l’extrémité des branches. […].La fleur n’a jamais moins de 0m,09 à 0m,40 de diamètre, quelquefois davantage ; les pétales sont très amples et imitent par leur forme une coquille ; leur dimension diminue insensiblement de la circonférence au centre, lequel se trouve formé de pétales roulés en couronne.

Hortalia, bibliothèque numérique de la SNHF

La couleur dominante est d’un rouge ou plutôt d’un violet évêque des plus beaux ; des reflets écarlates et des nuances de velours noir en rehaussent encore l’éclat ; le revers des pétales est d’un lilas pâle comme argenté. »

Les descendants de Génie de Chateaubriand

La rose grimpante ′Veilchenblau′ a été obtenue, en 1909, d’un croisement entre ′Rosa rubifolia′ avec ′Souvenir de Brodissue elle-même de ′Génie de Chateaubriand′.

Champignons rares ou peu observés

Chaque année, depuis 1991, Montviette Nature organise des randonnées mycologiques à l’automne et parfois au printemps. Ces randonnées sont guidées par Jean-Louis, mycologue fidèle et persévérant.

Faire participer le public aux inventaires
Faire participer le public

Au départ de ces sorties, les randonneurs sont invités à marcher le plus lentement possible, à observer attentivement chaque espace, à scruter le moindre morceau de bois, à soulever les feuilles tombées sur le chemin et, ainsi, être capables de repérer le plus petit champignon.
Des sujets sont prélevés et confiés à Jean-Louis. Commence alors pour lui l’identification. Souvent, il sait reconnaître  immédiatement l’individu.

Mais, d’autres fois, Jean-Louis doit emporter soigneusement le sujet et le glisser sous le microscope pour examiner le prélèvement plus en détail. Deux ou trois critères vont lui permettre alors de le classer à sa juste place (famille et genre) et faire concorder ce qu’il observe avec les dessins microscopiques publiés dans des monographies spécialisées pour préciser l’espèce. Quand Jean-Louis bute sur une réelle difficulté, il lui faut la confirmation du spécialiste chevronné, Thierry.

 

1250 espèces observées

Tous les sujets qui ont été prélevés à Montviette sont conservés sous enveloppe avec la date et le lieu précis de la récolte.  Près de 1250 espèces sont actuellement en herbier.

Depuis 30 ans, Jean-Louis arpente les chemins du Pays d’Auge et s’arrête parfois dans des lieux incongrus, comme le bord d’un muret ou le revêtement d’un rond-point.
Il a ainsi découvert des champignons qui sont présents sur le territoire, mais restent inobservés car trop fugaces. De plus, ces sujets sont peu décrits même dans la documentation spécialisée.

Toutes les bonnes volontés sont les bienvenues pour accompagner les recherches, signaler des trouvailles…

Exemples de trouvailles faites en Pays d’Auge depuis 1990 :
Cordyceps militaris parasite sur larve d’insecte, découvert le 28 mai 2004 à Moyaux (14).
Geastrum triplex, Moyaux

Psilachnum lanceolatoparaphysatum sur une tige de raifort dans un jardin à Saint-Martin-de-la-Lieue

Marasmius coharens, cuticule  vue au microscope, récolté à Tordouet

Cyathus striatus, famille Nidulariacées, récolté sur souche débitée à Montviette

Melanoleuca verrucipes observé le 30 octobre 2012 près d’Orbec sur le site de La Dame blanche

Rhodotus palmatus, deux clichés, collectés en 2014 à Marolles

Cortinarius sanguineus récolté le 9 novembre 2018 à Lécaude

Hygrophorus calyptriformis, dit « bonnet de lutin », rare, récolté le 25 septembre 2008 sur pelouse calcaire à Moyaux

Strobilomyces strobilaceus « bolet pomme de pin », peu courant, forêt mixte, le 20 août 2006 à Blangy-le-Château

Paxillus atrotomentosus, Montviette

Helvella crispa, helvelle crépue, récolté en janvier 1995 à Moyaux

Tuber blotii, truffes Saint-Jean,  récoltées le 27 juin 2015 en centre ville à Lisieux

Volvariella surrecta, parasite du clytocibe nébuleux, 200 exemplaires observés en novembre 2018 à Saint-Désir-de-Lisieux

Lycogala epidendron, 2008, tas de bois à Saint-Martin-de-la-Lieue

Haricot Petit carré de Caen

Le ‘Petit carré de Caen’, célèbre haricot

Connue à travers toute la France, l’histoire du haricot ‘Petit carré de Caen’ commence en Normandie.

« Pois anglais » dans ses débuts…

La société d’horticulture de Caen organise chaque année des visites de jardins et de parcs. Lors d’une visite du domaine de Fontaine-Henry, vers 1844, les membres s’intéressent au potager de madame la marquise de Canisy, tenu par un certain Brion.  Fier d’une de ses cultures, le jardinier montre ce qu’il appelle le « pois anglais », un haricot à rames sorti des jardins des anciens Prémontrés de l’abbaye d’Ardenne près de Caen.

Le président de la société d’horticulture, Gustave Thierry, est fasciné par cette nouveauté. Il envoie une note enthousiaste aux sociétés voisines, disant : « Cet excellent légume, le meilleur sans contredit, est essentiellement normand et de plus bas-normand… Son grain est petit, aplati aux extrémités, presque carré, d’où un autre nom : le Petit carré. »

… le ‘Petit carré de Caen’ devient une star.

Ses qualités de mangetout  prolifique, fondant, et la conviction de Gustave Thierry vont en faire une variété emblématique. Il envoie des graines aux sociétés d’horticulture. Ainsi, à l’automne 1868, à Lisieux, a lieu une distribution de graines de haricot nain carré, dit haricot ‘Prédomme’, offertes par Gustave Thierry, conservateur du jardin botanique de Caen.

Fin du XIXe siècle, le semencier Vilmorin-Andrieux l’inscrit à son catalogue et le décrit ainsi : « Cosses vertes, très nombreuses, droites, charnues, très tendres et très marquées par la saillie des grains, de 0m07 à 0m09 de longueur, contenant six ou sept grains blancs, presque ronds, souvent aplatis et obtus aux extrémités… Le litre pèse 820 grammes et 100 grammes contiennent environ 470 grains. »

Le cultivateur grainier A. Lenormand dans son catalogue de 1909 précise : « Une des meilleures variétés de haricots mange-tout. Grain très fin, de qualité tout à fait supérieure, très productif. » Il vend le litre de semence 2,25 F. La maison Rosette à Caen en fait aussi « la réclame »…

Un grain carré...
Au sommet de la gloire

Jusqu’au début des années 1960, le ‘Petit carré de Caen’ est cultivé partout en France.

Une forme naine va aussi apparaître sur le marché des semences. Elle figure encore au catalogue de la maison Bazin Simon de Sourdeval-la-Barre (50), édité en 1924  par René Guesdon, son successeur : « haricot blanc petit carré de Caen, sans rame, mange-tout. Les 100 kg sont proposés au prix de gros de 1300 F. »

Malgré tout,  il n’aura pas le même succès que la variété à rames et sera vite délaissé.

Le déclin

Puis, peu après 1960, pour faire de la place à des souches, des variétés sans doute plus productives, le ‘Petit carré de Caen’ est écarté du catalogue national des variétés et n’est plus commercialisé.

Seuls quelques anciens vont en poursuivre la culture et conserver sa semence. Néanmoins il nous faudra attendre 1991 pour en retrouver la trace : à l’occasion d’une bourse d’échange à la foire aux arbres de Lisieux, une jardinière de Thury-Harcourt offre à Montviette Nature une glane de ‘Petit carré de Caen’ liée par un brin de laine rouge.

Le renouveau

Remise en culture, en 1991,  par un groupe de jardiniers de l’association Montviette Nature, la variété est ainsi sauvée de l’oubli et peut être à nouveau cultivée en Normandie par des jardiniers amateurs. Ce haricot est cultivé et présenté au Jardin Conservatoire du Pays d’Auge à Saint-Pierre-sur-Dives.

Quelques maraîchers l’ont à nouveau adopté dans leurs cultures légumières.

À l’automne 2000, une glane est confiée aux propriétaires du château de Fontaine-Henry pour que le ‘Petit carré de Caen’ retrouve son jardin d’origine.

Louis Gauthier et les fraises de Caen

La fraise de Caen s’est fait une très belle réputation au XIXe siècle…
Depuis le XVIIe siècle, les variétés cultivées étaient peu nombreuses : ′Écarlate de Virginie′, ′Fraisier ananas′, ′Écarlate de Bath′…  jusqu’à ce que des sélections nouvelles s’imposent.
La Normandie  va y jouer un grand rôle avec le fraisiériste Louis Gauthier.

Ecarlate de Bath, Traité des arbres fruitiers, 1768, coll. Montviette Nature
Éloge de la Normandie

La revue mensuelle  Histoire industrielle, dans son numéro du mois de juillet 1909, fait l’éloge de l’œuvre de Louis Gauthier (1860 – 1935) et de la Normandie où Caen est présentée comme la région de culture de la fraise la plus importante de France…

« Louis Gauthier, qui est chevalier du Mérite agricole, est né à Caumont-l’Éventé (Calvados) en 1860. À trente ans, il était jardinier en chef du  château de Grentheville, près de Caen. Et là, il eut l’occasion toute trouvée d’expérimenter sur les fraisiers, la fécondation artificielle et l’hybridation. Il réussit tant et si bien que de la Belle de Meaux, variété des quatre saisons dont il sut marier le pollen avec une variété à gros fruits, il obtint le célèbre fraisier Louis Gauthier (à filets remontants). »   Cette fraise créée en 1896      « possède une fécondité permanente et ainsi se succèdent les récoltes en mai, juin, juillet et jusqu’au mois de novembre ».

Louis Gauthier,  qui est devenu « le  Maire de Grentheville […]  nous explique qu’il y a, dans l’obtention des fraisiers, deux points principaux à viser :
1° Ceux destinés à fournir la fraise du Commerce, doivent donner un fruit d’un beau rouge, très gros et d’une grande fermeté, afin de pouvoir se transporter aisément et faire bonne figure à la vente.
2° Les fraisiers destinés pour la culture, à la clientèle particulière, et dont les fruits seront consommés sur place, doivent donner une fraise très tendre à la chair parfumée. Plus mièvre peut-être que les autres, cette fraise est d’une délicatesse infinie, d’un parfum capiteux – si tant est qu’on puisse s’enivrer d’un tel parfum !
Nous dirions volontiers que la fraise du Commerce est comme ces appétissantes et plantureuses filles des champs, dont l’exubérante santé éclate de toutes parts ; tandis que la fraise bourgeoise, celle qui aura les honneurs de la consommation sur place, est plus aristocratique, plus fine dans ses attaches, plus pâle dans ses coloris, plus tendre dans sa chair, plus exquise et plus raffinée, comme le sont nos délicates parisiennes…

"Fraise blanche" dite "fraise bourgeoise" à consommer sur place ?
Une fraise rose...

L’éducation des fraisiers est donc toute différente selon ce que l’on veut obtenir ; si la Fraise Louis Gauthier est la plus grosse et la plus productive des fraises connues, la Merveille de France est venue, il y a deux ans, lui disputer les lauriers que la première avait conquis de toutes parts. »

Les variétés créées par Louis Gauthier

Louis Gauthier a créé plusieurs centaines de variétés de fraisiers « qui se sont emparées des fertiles terrains de Caen ». Chaque année, 60 000 pieds sont expédiés « sur les deux continents… pour aller s’acclimater dans les pays les plus lointains ». Mais que sont devenues les obtentions de Louis Gauthier, parmi lesquelles la ′Tardive de Caen′, l’ ′Arlette de Normandie′, la ‘Châtelaine de Grentheville’ ? La fraise ′Louis Gauthier′ figurait dans les  catalogues A. Lenormand en 1909 et E. Rosette en 1928 aux côtés de la fraise ‘Ville de Caen’. La ‘Louis Gauthier’ décrite comme  à «  très gros fruits blanc-rosé» semble ne plus être détenue que par quelques collectionneurs.

Fraise de Caen, catalogue Rosette, Caen, 1928, coll. Montviette Nature
Publicité Louis Gauthier, Bulletin de la société d'horticulture de Caen

Dans les jardins de Normandie est toujours cultivée une fraise à chair blanc-rosé très parfumée. Cette variété, qui n’a pas été identifiée, serait-elle une des obtentions de Louis Gauthier ?

Les épines

En Normandie, l’aubépine partage avec le prunellier le nom d’ « épinette », qui désigne un buisson épineux.

Les épines servent à « clore » 

Les épines étaient utilisées pour clôturer les haies. Dans sa délibération du 23 décembre 1859, le conseil municipal de Saint-Pierre-sur-Dives fixe les « tarifs des droits à percevoir sur le marché, sous les halles, dans les rues et places publiques de la ville, soit 0,40 franc par 6 mètres de terrain occupé, ou censé l’être, par chaque charretée d’épine noire pour la clôture des haies… ».

A Montviette, un chemin creux qui part du bourg et monte vers le plateau s’appelle le « chemin de l’Épinette ».

Le tour des mares doit être infranchissable

La plupart des mares qui ont été creusées sur les plateaux du Pays d’Auge ont été protégées par des épineux. On les appelle les « mares closes ». L’arbuste le plus fréquemment planté est le prunellier, mais on rencontre aussi de l’aubépine. Sur le bord du chemin, la haie doit être impénétrable.

Autrefois, la haie fixait la limite de la propriété de la parcelle, mais il arrivait qu’un seul pied d’épine suffise à la borner.

Son bois très dur était utilisé par les tourneurs pour confectionner de la vaisselle en bois.

L’épine blanche et l’épine noire

L’épine noire n’est autre que le prunellier (Prunus spinosa) aux dards extrêmement piquants.

Elle est en fleur dès le mois de mars, tandis que l’épine blanche fleurit en mai. On dit que « quand l’épine blanche fleurit, le froid revient ».

Photo Rodolphe Murie
L’épine à la Vierge

L’aubépine (Crataegus laevigata et Crataegus monogyna) est un arbre consacré à la Vierge, appelé aussi « épine à la Vierge ». Il  était planté près des lavoirs. Les mères y  mettaient à égoutter les linges des nouveau-nés afin de les protéger.

Près de Saint-Pierre-sur-Dives, pour le traitement des rhumatismes, on recommandait de « frictionner l’articulation douloureuse avec des fleurs d’aubépine ».

Au Mesnil-Durand, le fruit de l’ « épine blanche », préparé en confiture, soignait la bronchite.

L’Épine à la dame

Un arbre appelé l’ « Épine à la dame » est toujours visible à la sortie du village de Préaux-Saint-Sébastien pour rappeler un drame survenu ici au milieu du XVIIe siècle. Dans l’église, une plaque rappelle également cet événement tragique. À l’issue du pèlerinage à Préaux-Saint-Sébastien, deux groupes de pèlerins  quittaient l’église. Mais  l’un voulut devancer l’autre. Dans la mêlée qui s’ensuivit, un homme de la procession de Falaise provoqua la mort d’une femme de la procession de Ticheville.

Le tribunal ecclésiastique décida que la ville de Falaise ne viendrait plus à Préaux, mais qu’elle enverrait chaque année, en réparation, une délégation de bourgeois et de deux prêtres. Ils s’arrêteraient devant l’épine plantée à l’endroit de la tragédie, sans aller plus loin.

Dans les jardins et les parcs fleurit l’épine rose parfois double…

Choux normands

À la fin du XIXe siècle, la terre normande a vu se créer de nombreuses variétés de légumes parfaitement adaptés aux conditions climatiques. Les choux y ont eu la meilleure part. Que sont devenues ces variétés  locales ?

Chou grappé de Cherbourg

Chou grappé de Cherbourg, chou prompt de Tourlaville, chou pommé de Mortagne blanc,  Milan très hâtif de Caen, hâtif de Dieppe, pommé de Tinchebray, de Mortagne à côtes violacées… Peut-on encore espérer retrouver quelques-unes de ces variétés ?

Des passionnés de jardin et de patrimoine se sont lancés dans cette aventure. À ce jour  ont été retrouvés le Tourlaville, le chou pommé de Louviers et un chou d’Ouessant qui pourrait être le « palmier du Bocage » cité par Jules Lecœur.

En Seine-Maritime, Gérard Mallet a su conserver l’imposant chou de Saint-Saëns.

Nous avons retrouvé les catalogues de cultivateurs grainiers :

  • René Guesdon, successeur Bazin-Simon, à Sourdeval-la-Barre
  • A. Lenormand puis I. Sénécal  à Caen
  • E. Rosette à Caen
  • André Heusse, successeur maison Bassière, à Lisieux
Catalogue Guesdon (Bazin-Simon), Sourdeval-la-Barre, 1924 :
  • Chou grappé de Cherbourg
  • Chou prompt de Tourlaville, très hâtif, graine cultivée dans la Manche
  • Chou pommé de Mortagne blanc
  • Chou pommé de la Trappe gros
  • Chou pommé de Tinchebray
  • Chou de Mortagne à côtes violacées
  • Chou  Milan très hâtif d’Avranches
  • Chou  Milan très hâtif de Caen
  • Chou Milan hâtif de Dieppe
  • Chou Milan pied court d’hiver de la Manche
  • Chou-fleur dur de Cherbourg
Catalogue  A. Lenormand, Caen, 1909 :
  • Chou pommé  blanc de Tourlaville, (vrai)
  • Très hâtif  ‘Lemarchand’, obtenu par M. Lemarchand, l’un de nos principaux cultivateurs maraîchers, qui le cultive en très grandes quantités et en plein champ
  • Chou grappé de Cherbourg
  • Chou pommé tardif gros, pied court de la Manche
  • Chou Milan gros, pied court de Caen, hâtif, extra
  • Chou Milan ordinaire, pied court de Caen, hâtif, extra
Catalogue  E. Rosette, Caen, 1928 :
  • Chou cabus précoce de Tourlaville (variété très cultivée en Normandie pour la production de printemps)
  • Trois choux de deuxième et d’arrière-saison : grappé de Cherbourg, pomme moyenne, excellente variété à planter serré ; de Mortagne, variété à grand rendement, très cultivée en Normandie ; chou pommé tardif de la Manche
  • Chou de Milan court hâtif de Caen, très bonne variété un peu hâtive, craint un peu les gelées
  • Chou de Milan ordinaire de Caen, variété très recommandable, pomme moyenne dure, de bonne qualité, résiste bien au froid
  • Chou brocolis tardif de Caen, pomme énorme,  se récolte en mai
Catalogue  André Heusse ( succ. maison Bassière), Lisieux, 1937 :
  • Chou  Milan d’Avranches
  • Chou pommé de Louviers extra, récolte de Louviers, (vrai)
  • Chou pommé de Tourlaville, (vrai) extra
  • Chou grappé de Cherbourg
  • Chou pommé tardif Mortagne, extra
  • Chou pommé tardif de la Trappe
  • Chou pommé du Pin
  • Chou de Milan ou pommé frisé d’Avranches, hâtif
  • Chou de Milan ou pommé frisé de Caen, extra
Catalogue Le Paysan, 1947 :
  • Chou très hâtif de Louviers (variété se rapprochant du chou Cœur de bœuf moyen mais à pomme plus large et plus arrondie, un peu moins précoce)
  • Chou pommé précoce  de Tourlaville (Prompt de Caen). Variété à pomme assez haute. Convient pour la culture de primeurs précoce et vigoureuse
  • Chou Cœur de bœuf gros, chou de Cherbourg, chou grand-père
  • Chou  de Mortagne blanc. Pied court, belle grosse pomme aplatie et blanche
Graines Caillard , Vimoutiers, 1937 :
  • Chou de Mortagne blanc
  • Chou de Tourlaville
Petit traité pratique de culture potagère, N.J. Prévost, Rouen, 1854, le chou de Quevilly, Bibliothèque de la SNHF
Culture de choux verts :  chou canne  et chou bouture 

 « Le chou cavalier, ou chou en arbre, peut atteindre jusqu’à deux mètres de hauteur. C’est avec la tige de cette variété que l’on fait les Cannes de Chou, de vente courante à Jersey et sur le littoral de la Normandie. » (Désiré Bois,  Les plantes alimentaires chez tous les peuples et à travers les âges,  Histoire, utilisation, culture, Vol. I, Paul Lechevalier, Paris, 1927)

Dans l’Orne, on cultive un chou cavalier, le « chou canne ». Les feuilles sont données à manger aux lapins. La tige est courbée, puis séchée pour en faire une canne solide et durable.

« Les choux verts sont demeurés le légume favori du paysan et de bien des citadins. Hauts souvent de plus de six pieds, leurs feuilles vert tendre, où la pluie et la rosée sèment des perles d’argent, s’épanouissent en panache au sommet du tronc élancé, comme celles d’un palmier. De là sans doute le nom de palmiers du Bocage qu’on leur a donné. Il n’est pas un jardin qui n’en ait de larges carrés ; chaque jour, soir et matin, la ménagère les plume pour la soupe, pour l’abreuvée des bestiaux et des porcs, qui les mangent crus, mincés et mêlés à l’eau de son et de farine. » (Jules Lecœur, Esquisses du bocage normand, 1883)

Dans les jardins du Pays d’Auge, on cultivait deux espèces de chou perpétuel qui fournissaient toute l’année des pousses bien vertes : le « chou bouture » à feuilles lisses appelé aussi « chou des familles » et le « chou bouture »  à feuilles frisées.

Chêne et gland

Les chênes produisent des glands dont on se servait pour nourrir les bêtes. Mais, attention, ils peuvent aussi être dangereux… 

Le Quesnay

Le Quesnay, Rouvres,  le Chêne au loup  et le Chêne à la Vierge  à Marolles : autant de noms de paroisses ou de lieux-dits qui montrent l’importance et l’implantation de cet arbre en Pays d’Auge.

Paniers en feuille de chêne

Son bois est toujours recherché pour les fabrications les plus nobles : les meubles, les parquets. Lors des enquêtes menées sur l’histoire des arbres et de leurs petits usages, les anciens ont aussi révélé : « On fabriquait les paniers à pommes avec la feuille de chêne. On prélevait de jeunes tiges sur des souches de chênes. Les brins étaient ensuite fendus et tressés. » Sainte-Marguerite-de-Viette

 « L’hiver, on donnait des glands à manger aux lapins, mais on prenait soin d’enlever la petite pointe au bout du gland. »  Grandmesnil

« Pendant la guerre, on a fait du café avec des glands grillés, mais ça donne un café amer. »

« Quand les veaux avaient la diarrhée, on allait chercher de l’écorce de chêne que l’on faisait chauffer       dans le lait. »  Ou bien :  « On faisait une tisane de tan de chêne que l’on donnait aux veaux qui avaient la diarrhée. » Saint-Georges-en-Auge

À la fin de l’année

« À la fin de l’année, le maître nous faisait cirer les tables d’école avec de la pomme de chêne. » Lisieux        La « pomme de chêne » n’est pas un fruit mais la gale provoquée par la ponte d’une petite guêpe, le      cynips, dans un rameau de chêne.

Le gland rouge

Mais ce fruit  peut être dangereux. En 2013, des chevaux et des bovins se sont intoxiqués pour en avoir trop mangé sous les haies. Les anciens racontent que le moment où il est le plus toxique, c’est au début du printemps « quand le gland est rouge »…

Un éleveur a perdu cinq bœufs qui avaient mangé des glands. L’autopsie du vétérinaire a indiqué que leurs intestins étaient complètement durcis par le tanin.

Aspérule odorante ou petit muguet

Étrange petite plante sauvage qui ne sent rien lorsqu’elle est fraîche et qu’il est nécessaire de laisser sécher pour en sentir le parfum. En redécouvrir les usages…

Sous les hêtres

L’aspérule odorante (Galium odoratum) est une plante discrète des sous-bois de feuillus. En forêt de Montpinçon (Calvados), elle pousse sous les hêtres et les chênes en touffes serrées. En mai, sa floraison est remarquable : ses petites fleurs blanches en étoile tapissent le pied des arbres.

Mais paradoxalement elle ne sent rien, ou presque, quand elle est fraîche. Son arôme se dégage lorsque l’on coupe la fleur et qu’elle commence de sécher. La plante dégage alors un parfum d’amande.

Muguet des armoires

Autrefois, en Basse-Normandie,  les fleurs et le feuillage séchés de l’aspérule étaient glissés en bouquets enveloppés de papier de soie entre les piles de linge rangées dans les  armoires pour éloigner les mites, d’où son nom de « muguet des armoires ». Le botaniste normand Louis-Alphonse de Brébisson ajoute, dans sa Flore de la Normandie en 1835, qu’il a entendu  qu’on l’appelait  « petit muguet ».

Elle fut tellement utilisée que les Normands l’ont cultivée au jardin. Culture facile à conduire.

En cuisine

Le chef cuisinier Jean-Marie Dumaine, originaire de Tinchebray, exerce ses talents en Allemagne. Il ne cuisine que les plantes sauvages. En 2012, pour son retour dans son pays natal, et avec la complicité de Montviette Nature, il avait préparé une délicieuse crème à l’aspérule. La veille, il avait parfumé le lait chaud en y  laissant, toute la nuit, des feuilles et des fleurs sèches d’aspérule. Le lendemain, après l’avoir égoutté, il avait préparé une crème aux œufs selon une recette traditionnelle.

Dangers et vertus de l’absinthe

Malgré sa mauvaise réputation, l’absinthe a été cultivée dans les jardins de Normandie, mais pour de curieux usages…

Au banc des accusées

En 1906, la Ligue nationale contre l’alcoolisme tempête contre l’usage de l’absinthe : « Elle rend fou et criminel, fait de l’homme une bête et menace l’avenir de notre temps. »

À la fin du XIXe siècle, la consommation abusive de l’absinthe distillée est responsable de formes de folie qui amènent les autorités à l’interdire à partir du 16 mars 1915.

Cette mesure restera en vigueur pendant 96 ans.

Et pourtant, pourtant…

Au  XIIe siècle, l’usage de la plante (Artemisia absinthium) était préconisé par sainte Hildegarde qui lui accordait de nombreuses vertus :                                   « Vin d’absinthe en friction sur la tête jusqu’au matin avec un bonnet de laine

Pour éclaircir les yeux, donner un élixir d’absinthe fait de vin cuit dans du miel et de jus d’absinthe

Troubles digestifs, hypertension

Inflammation des gencives : vin d’absinthe

Pommade contre l’arthrite faite de jus d’absinthe, de graisse de cerf et de bouc.  »

(Hildegarde de Bingen, Physica)

De même, le Livre des simples médecines publié au XIIe siècle recommande l’emploi de l’absinthe contre une douzaine de maux dont les vers du ventre, l’obstruction du foie et la jaunisse, les maux de tête, l’apoplexie…

Le comble est sans doute « contre l’ivresse, donner du jus d’absinthe avec du miel et de l’eau chaude ».

Elle est même appelée herbe sainte

Dans sa Flore populaire de la Normandie en  1887, Charles Joret mentionne le nom d’ « herbe sainte » à propos de l’absinthe dans la région de Condé-sur-Noireau.

Certaines femmes s’en servent de contraceptif. Parfois même, elle entre dans des préparations abortives avec la rue officinale.

On l’appelle aussi l’ « herbe aux vers ». Pour les adultes, les feuilles sont mises à macérer dans du vin blanc.

Aux enfants sujets aux vers, chaque printemps, on fait boire une tisane de feuilles. « J’ai le souvenir d’une boisson très amère », grimace Roland, qui s’était arrêté comme de nombreux visiteurs devant la plante au Jardin Conservatoire à Saint-Pierre-sur-Dives.

À la nouvelle lune…

Au Breuil-en-Auge, Geneviève s’en servait pour mettre ses poules à couver. Elle raconte : «  À la pleine lune, les œufs éclosent bien. Mais, à la nouvelle lune, ça s’en va en s’étiolant… Pour que la poule reste sur ses œufs, on mettait dessous, dans le nid, trois brins d’absinthe fraîche mais bien sèche, en étoile. Alors la poule reste bien sur ses œufs. Il ne faut pas en mettre plus : une fois j’ai mis plusieurs brins, ça l’a entêtée ; elle a laissé ses œufs… »

Pour une bonne couvée, les poussins doivent naître dans la journée, sinon la poule abandonne les derniers œufs à éclore.

On peut lire les ouvrages de Benoît Noël sur l’histoire de l’absinthe aux Éditions BVR.

Les prés baignants de l’Orbiquet

En Normandie dans la vallée de l’Orbiquet,  dès le XVe siècle, les éleveurs ont tenté de produire davantage d’herbe et de foin et, pour ce faire, ils ont inventé un système ingénieux de baignage des parcelles.

Un pré baignant, dessin montage Vincent Ladune et Quentin Dorléans
Une rivière riche en sédiments

En amont de sa source, l’Orbiquet est une rivière souterraine. Dans sa course, elle arrache des sédiments aux roches qu’elle traverse. Ce qui en fait une rivière exceptionnellement riche en minéraux que les éleveurs ont su très tôt utiliser dans leurs prairies.

La technique du baignage

On installe un barrage sur le lit de la rivière et on dévie une partie du cours d’eau sur les prairies en contrebas par un ingénieux système de vannes et de rigoles.  « Un vannage en bois barre le cours du ruisseau et fait monter le niveau de l’eau. Le vannage gonfle un porteur. C’est un fossé d’environ 60 cm de large, en creux par rapport au terrain. Il emmène l’eau sur les parcelles. Le porteur doit être plus haut que le ruisseau, car il faut que l’eau revienne au ruisseau. Du porteur, on faisait sept, huit saignées qui partaient un peu en biais pour prendre la flotte. Tous les deux, trois mètres, on laissait une tanque, une levée de gazon pour que l’eau ne revienne pas. On baignait presque toute l’année, en dehors des récoltes. On mettait à l’herbe les bestiaux vers le 3-4 avril. On les faisait pâturer cinq fois dans l’année et on faisait une coupe de foin. Mais fallait pas qu’ils couchent dedans la nuit. »

Partager l’eau

Le partage de l’eau est acté devant notaire entre les propriétaires et les locataires,  et après consultation d’un expert en hydraulique qui établit un plan d’irrigation. Le règlement d’eau fixe précisément les jours, heures et hauteurs de chacune des vannes à manœuvrer. « On avait une convention de baignage. Je tournais l’eau tous les deux, trois jours. On était quatre propriétaires. Les tours étaient calculés en fonction de la surface. Pour 20 ares, c’était deux jours de baignage. On levait la vanne deux, trois coups dans la journée. La manivelle était cachée dans un têtard. On changeait l’eau tous les deux jours. Et on ne baignait que quatre ou cinq saignées par coup. Tous les dix jours, on revenait au point de départ. »

Plan M. d'Hacqueville
Plan Peulvey
Couteau double
Plan Chaumont Quitry
Les rigoleux 

Michel et Francis racontent : « Les rigoles ou les saignées, il fallait les refaire tous les ans. On avait des couteaux doubles, des simples et des bêches de baignage. Les couteaux simples pour les porteurs. Les doubles, c’est pour les rigoles. On les refaisait l’hiver et, au 15-20 décembre, on rebaignait.
La bêche de baignage doit avoir quatre doigts de large. Elle est affûtée à la meule. On foule d’abord sur le talon et parfois on foule dessus. Le manche du couteau est en néflier. »

Les gestes du rigoleux
Foins au bord de l'Orbiquet vers 1900
Bêche de baignage
Le Baignage : porteurs et saignées
Pour en savoir plus

Au départ de Saint-Julien-de-Mailloc, suivre le parcours des boucles de l’Orbiquet. Lire les articles de la revue Le Pays d’Auge.