Archives pour la catégorie Plantes à usages

Plantes magiques

Savoirs et superstitions

Au cours des enquêtes menées par Montviette Nature sur le patrimoine naturel en Normandie, les personnes interrogées ont raconté comment des plantes servaient à faire des blagues, soigner, faire peur, prévenir du mal et du malfait, deviner et même nuire…

Faire de mauvaises blagues en utilisant des plantes sauvages communes était le jeu des farceurs mais aussi des sorciers…

Avec les grandes herbes

Quand les gens circulaient chaque jour par les chemins de Normandie, ils se livraient parfois ou étaient victimes de cette farce : de chaque côté du chemin, on choisit de longues herbes que l’on       attache ensemble.

Alors au crépuscule, l’écolier qui rentre chez lui, la trayeuse ou l’homme de journée qui s’en revient du travail, se prennent les pieds dedans et  tombent.

"Baletière" et un peu sorcière, randonnée "Des bêtes et des gens", Montviette 2018
Se rendre invisible

On racontait aussi que l’on pouvait se rendre invisible !

Pour cela, il fallait fabriquer une potion, mais pas n’importe              laquelle.

Il fallait recueillir des spores de fougère quand elles se détachent de la fronde… mais avant qu’elles ne touchent le sol.

Cette récolte est presque impossible et le reste de la recette             demeure secret…

Des plantes pour soigner

Pour soigner les petits maux, passer le pipi au lit des enfants, tenter de guérir des bêtes malades, se débarrasser  des verrues, de l’eczéma ou de dartres

La fougère


« Pour passer le pipi au lit des enfants, mettre des fougères dans leur matelas. » Normandie
« Pour le fourchet, quand une vache boite, la faire piler sur un rond plantain. Le couper quand le pied est dessus. Puis faire sécher dans une épine de la haie. » Mittois, Montviette (14)

 

La plante à herber les veaux

« Il fallait herber les bêtes avec la plante à herber les veaux. Elle était dans le jardin cachée à cause des enfants, cultivée derrière la maison. Il fallait percer un trou dans l’oreille du veau, avec un fer rougi à blanc. La racine était grattée. On la gardait en place plusieurs jours. C’était les gamins qui       venaient la titiller plusieurs fois par jour. Il leur en venait gros comme ça. Le veau était sauvé ! Pareil avec les cochons. » Ronfeugerai (61)

Ellébore fétide en graines

 

Cerner les dartres

Cette recette retrouvée dans le tiroir du buffet de ses grands-parents fermiers entre 1920 et 1950 à Cussay (61) a été conservée et confiée à Montviette Nature par Monique.
« Demain matin à jeun, tu iras chercher 5 pousses d’Erable de l’année, les couper de manière que les petits rejetons qui se trouvent sur les pousses soient en forme de croix. Ensuite cerner la dartre plutôt en plus de grandeur qu’elle n’existe avec chacun des petits bois, les déposer tour à tour dans un petit sac, pendre le sac au-dessus de la porte où il passe le plus souvent, c’est-à-dire à la porte de votre cuisine.
Et dire ensuite cinq Pater et cinq Ave en l’honneur des cinq plaies de notre Seigneur Jésus-Christ. (Et toujours à jeun.)
Cerner avec la main droite du sens que le soleil tourne. »

……………………

« Trois pousses d’églantier ou trois pousses d’érable sur les dartres. Faire trois prières : trois Notre Père, trois Je vous salue Marie et trois Notre-Dame. J’avais attrapé ça sur les veaux. »  Écorches (61)

Passer les verrues

« Piquer la verrue principale avec la pointe d’une épine noire. Casser le rameau sans le détacher tout à fait. Il doit tenir encore par un petit morceau d’écorce comme un fil. Quand la branche est sèche, toutes les verrues sont parties. » Saint-Ouen-le-Houx (14)

« Couper la moitié d’une pomme de terre, la  poser sur la verrue,  reconstituer la pomme de terre et l’enterrer. Quand elle est pourrie, la verrue s’en va. » Sainte-Marguerite-des-Loges (14)

Erable champêtre
Prévenir et protéger

Prendre soin de sa maisonnée, protéger les bêtes et les gens, se prémunir des petits maux…
Autrefois, dans les fermes, on ne changeait pas les bêtes d’herbage le vendredi.

Pétales de rose

« Mon père faisait la pavée de la Fête-Dieu. Il prenait les roseaux d’une mare et plein de roses. Devant l’autel, on faisait une rosace, grande comme une assiette, qu’avec des roses. Le curé marchait sous le dais avec l’ostensoir. De petites filles avaient des  paniers de pétales de roses effeuillées. Elles les jetaient «  à l’ostensoir » sur le passage du curé qui bénissait les reposoirs. Après les vêpres, les gens ramassaient les pétales tombés au sol parce qu’ils étaient bénits. Ils les emportaient chez eux : ça protégeait la maison de la foudre. Au 15 août, après la procession avec les cierges, on emportait les cierges dans les maisons : on mettait ces flambeaux-là au pied du lit du mort. » Saint-Cyr-du-Ronceray, Cheffreville-Tonnencourt (14)

Prévenir et protéger 

Marron d’Inde

« Pour ne pas avoir d’hémorroïdes, mettre un marron dans sa poche. Le changer à la nouvelle saison et brûler l’autre. » Saint-Pierre-sur-Dives (14)

Buis
« Le jour des Rameaux on met du buis bénit dans les étables et les écuries. » Livarot (14)
«Quand vient l’orage, on asperge les pièces de la maison avec de l’eau bénite avec un rameau de buis bénit. »  Sainte-Marguerite-de-Viette (14)

Persil
« Le persil, il ne faut pas le repiquer ni donner des pieds. Accrocher une branche dans un arbre, il se sème tout seul. Il faut en ressemer tous les ans. La deuxième année, il ne faut pas s’en servir, il n’est plus bon. Il est devenu maléfique. » Ronfeugerai (61)

Prévenir et protéger 

Houx

« Pour protéger les animaux des maux de l’hiver et aussi pour ceux qui naissent pendant l’hiver, on mettait à la porte de l‘étable un bouquet, une gerbe ou couronne, faits de gui, de houx et de sureau. » Vire (14)
« Une feuille de houx et quelques grains de sel dans la baratte pour que le beurre prenne. »  Livarot (14)
« On suspend un bouquet de houx vert dans l’étable aux petits veaux. »  Asnières (27), Montviette, Notre-Dame-de-Courson (14)
« Pour soigner des cors aux pieds : prendre cinq ou sept pousses de houx, les pincer en leur laissant un morceau de pelure sur la tige. Il faut que la tige reste accrochée à l’arbre. Quand elles sèchent une semaine après, il n’y a plus de cors aux pieds. Ma voisine l’a fait. » Asnières (27)

Prévenir et protéger 

Chasse-diable

Millepertuis androsème ou « chasse-diable » : « Chaque été, ma grand-mère m’emmenait chercher une fleur jaune sur un talus. Elle disait que c’était pour parfumer son missel ». Thury-Harcourt (14)

Prévenir et protéger 

Ne pas manquer d’argent

En 1997, au Jardin Conservatoire, lors d’une visite guidée sur le thème des Plantes de la guerre, le guide présente topinambour, rutabaga, orge, et une petite plante sauvage, l’argentine, dont on a parfois mangé la racine. Dans le groupe, un homme très attentif, commence alors  à raconter  son aventure liée à cette plante : « Je travaillais chez un artisan et mon épouse faisait des ménages chez les autres. Je perds mon travail et je suis bien inquiet des revenus qui vont nous rester pour vivre. Je rencontre un copain qui me dit : « Tu vas aller faire un tour, chercher le lait à la ferme, ou promener le chien. Et sur le chemin, tu vas forcément trouver de l’argentine. Tu vas en cueillir une feuille, la mettre dans ton portefeuille en faisant un vœu :    celui de ne jamais manquer d’argent. Pas d’en gagner beaucoup, seulement de ne pas en manquer. Et tu vas continuer ta balade. » C’est ce que j’ai fait. Quinze jours plus tard un autre artisan m’a proposé du travail… » Dieppe (76)
Le terme « argentine » est identifié par le botaniste Alphonse de Brébisson.  (Flore de la Normandie, Première partie, Phanérogamie, A. Hardel, Caen, 1836, p. 98)
L’argentine ou potentille ansérine  est une plante vivace commune au bord des chemins,  autour des étables,  ainsi nommée en raison de ses feuilles couvertes en dessous d’un duvet d’un blanc argenté. Elle était aussi appelée « herbe à cochon ». La plante est signalée sous ce nom à Vimoutiers et la Ferté-Fresnel par l’abbé  A.- L. Letacq. (« Des noms vulgaires de plantes usités dans les cantons de Vimoutiers et de La Ferté-Fresnel (Orne) », Bulletin mensuel de la Société scientifique Flammarion d’Argentan, 1888, p. 128.)

Prévenir et protéger 

Absinthe

Au Breuil-en-Auge (14),  Geneviève s’en servait pour mettre ses poules à couver : «  À la pleine lune, les œufs éclosent bien. Mais à la nouvelle lune, ça s’en va en s’étiolant… Pour que la poule reste sur ses œufs, on mettait dessous, dans le nid, trois brins d’absinthe fraîche mais bien sèche, en étoile. Alors la poule reste bien sur ses œufs. »
Mais Geneviève met en garde : « Il ne faut pas en mettre plus. Une fois, j’ai mis plusieurs brins, ça l’a entêtée. Elle a laissé ses œufs… »
Pour une bonne couvée, les poussins doivent naître dans la journée, sinon la poule abandonne les derniers œufs à éclore.

Deviner

Ortie et pommes pour deviner


« Pour deviner le nom de mon futur époux, j’ai pelé une pomme sans casser la pelure. Je l’ai  jetée par-dessus mon épaule. En tombant par terre, la pelure a formé une lettre : l’initiale de mon futur… »
Pont-l’Évêque (14)

Une feuille d’ortie pour savoir si le malade       vivra…

« Pour savoir si un malade vivra ou mourra, mettre une ortie dans l’urine du malade pendant vingt-quatre heures. Si l’ortie sèche, il mourra. Si l’ortie reste verte, il vivra. » (Carnet de formules magiques d’un sieur Dossin des environs de Pont-l’Évêque, XIXe siècle – Société historique de Lisieux)

Des plantes pour nuire

Certains, malveillants, utilisent des plantes pour malfaire ou nuire : datura, if, œillet.

L’ « herbe aux sorciers » ou datura servait à « endormir » les bêtes à l’engraissement. En 1842, une dame d’Avranches voulut se débarrasser de son mari en lui en faisant absorber quotidiennement. Le malheureux réchappa de l’affaire après de       terribles souffrances et la dame termina sa vie en prison. (D’après Michel Vivier, revue Le Pays d’Auge)
« Des fois quelqu’un a de mauvaises pensées : il met de l’if coupé dans un herbage où il y a des bêtes. » Montviette (14)

 Œillet

« On m’a offert des œillets à mon mariage. Ma mère a dit que ce n’était pas bien de faire ça. »  Saint-Pierre-sur-Dives (14)
« Ma mère a eu un bouquet d’œillets et quelqu’un est décédé dans la maison presque aussitôt… » Sallenelles (14)

Faire peur

L’herbe éguérante

On craignait aussi de rencontrer le sorcier, surtout à la lisière des bois. Le fourbe aborde le passant, fait innocemment un bout de chemin avec lui, mais s’arrange pour le faire marcher sur une plante qui semble anodine. En fait, il s’agit de l’herbe éguérante. Le passant est alors incapable de retrouver son chemin et se perd dans le bois.
L’herbe éguérante n’est autre qu’une potentille des terres acides  qui pousse uniquement à la lisière des bois de feuillus, appelée tormentille ou tourmentille (Potentilla erecta). Sa fleur devrait avoir cinq pétales comme les autres potentilles, mais elle n’en a que quatre. On ne sait pourquoi.

Cette anomalie botanique n’égare pas que les marcheurs : dans un bulletin de l’association Le Pays Bas-Normand de Flers paru en juillet 1919,     J. Lechevrel rapporte qu’après avoir dansé autour du feu de la Saint-Jean « Filles et garçons voient avec mélancolie la flamme s’éteindre. […] C’est fini, malheur à qui s’attarde dans l’effusion d’une dernière étreinte, l’herbe éguérante cachera son chemin, il tombera de fatigue mystérieusement, attiré par les brindilles à l’étrange pâleur. »             (J. Lechevrel, « La chanson populaire au pays bas-normand », Le Pays Bas-Normand, juillet 1919,      p. 215)

Ne pas marcher sur la « tourmentine ». C’est une      « malherbe », l’herbe éguérante. Elle pousse en cercles dans toutes les forêts sauf celles à conifères et se cueille l’été. (D’après Anne Marchand, conteuse – Société historique de Lisieux)

 

Houlque laineuse
De bonnes blagues

Aujourd’hui les blagues sont plus raisonnables, comme de faire goûter une prunelle (Prunus       spinosa) à un innocent à la fin de l’été quand sa chair paraît mûre, délicieuse et attirante, mais s’avère en réalité horriblement astringente !

Au cours d’une balade, lorsque l’on voit des graminées bien mûres, comme la houlque laineuse (Holcus lanatus),  le plaisantin peut proposer de confectionner des paniers en tressant de manière savante quelques tiges de graminées ramassées.
Pour tresser ces brins, il réclame de l’aide. Il croise alors les herbes dans la bouche de sa victime, lui demande de serrer un peu, juste ce qu’il faut,  et… tire d’un coup sec.

« Holcus lanatus, une des trente espèces les plus répandues dans la région. »

La houlque laineuse pousse dans les prairies et sur les talus, au bord des chemins de Normandie.

(Michel Provost, Atlas de répartition des plantes vasculaires de Basse-Normandie, Presses universitaires de Caen, 1993)

Pois gourmands

 « On avait un pois « gourmand  »  facile à cueillir : sa gousse est jaune. C’est un grand pois. Il faut le ramer solidement. » Tordouet

Tôt au printemps, les jardiniers sèment les pois à écosser et les pois « gourmands » qui, eux,  seront consommés en « mangetout ».

Pois  jaune fondant

Le ‘Pois jaune fondant’ retrouvé à Tordouet en 1990 s’est avéré être une variété réputée  dans toute la Normandie. Elle figurait dans différents catalogues de graines.
C’est un pois mangetout à fleur blanche teintée de jaune pâle. Les gousses sont d’un jaune tendre remarquable et, ainsi, faciles à récolter.  La  plante est  vigoureuse et demande des rames solides et hautes. Les gousses doivent être mangées jeunes avant la formation des fils.
‘Pois mangetout beurre’  (Catalogue André Heusse, successeur Maison Bassière, Semences sélectionnées, Prix courant des graines potagères, fourragères et de fleurs pour 1937, Lisieux, 1937)
« ‘Pois beurre à rames’, excellente variété à cosses épaisses, sans parchemin » (E. Rosette, Catalogue de graines & plantes, Caen, 1928)

Pois jaune fondant retrouvé en 1990
Pois crotte de lièvre

Dans la région de Balleroy, des familles  conservent une autre variété à gousse jaune : le ‘Pois crotte de lièvre’.

Son  grain est brun doré moucheté.

Sa fleur d’un joli rose veiné de rose soutenu.

Son nom de variété n’est pas connu.

'Crotte de lièvre' à fleur rose soutenu
Pois gris retrouvé en Cotentin
Pois gris

En Cotentin, autour de Sainte-Mère-Église, les jardiniers se transmettent toujours le ‘Pois crochu’, un mangetout fondant à la gousse recourbée. Lors de nos enquêtes avec Élisabeth et en partenariat avec le  musée de la ferme du Cotentin,  les anciens vantaient les mérites d’un « pois gris ». Longtemps recherché, le voici enfin retrouvé grâce à Florian et remis en culture en vue de sa conservation.

‘Pois gris géant à fleur violette’ (Catalogue René Guesdon, cultivateur grainier, successeur Maison Bazin Simon fondée en 1820, Prix courant général pour marchands de graines potagères, fourragères et de fleurs, Sourdeval-la-Barre, 1924-1925)

Pois à écosser

 

Parmi les variétés de pois à écosser retrouvées en Normandie, quelques souches ont été préservées comme  le ‘Pois capucin bleu’.

Sa  fleur est rose violine.  Le  grain  est bleu  violine  plutôt sombre.

Le ‘Pois normand’ est une variété encore connue et réputée. Elle est très prolifique et facile à cultiver.

Herbes à salade

Laitue, chicorée, mâche sont les trois types de plantes cultivées au jardin pour préparer la salade. Les inventaires de petits jardins ont prouvé qu’il en existait bien d’autres, ainsi que des plantes que l’on allait  ramasser sur les talus et dans les dunes…

Chicorée frisée fine de Rouen (Graines Le Paysan, 1947, coll. Montviette Nature)

La salade n’est pas un genre de plante mais une préparation culinaire  au sens de « herbes salées » de l’italien herba salata.

Le terme de salade, qui apparaît au XIIIe siècle, en dérive et s’est ensuite appliqué aux plantes elles-mêmes préparées avec du sel, de l’huile et du vinaigre.

Dans certaines familles de Normandie, on ne parle pas de vinaigrette mais de « salade à l’huile et au vinaigre ».

Bernadette précise : « Chez nous,  on mangeait de la salade tous les soirs du printemps et de l’été. » Et les salades peuvent varier. À côté de la laitue ‘Brune du Perche’ ou de la ‘Laitue de Flers’ : « Au printemps, on va cueillir des pissenlits mangés avec des œufs durs et des pommes de terre. »

Laitue de Flers, très rustique (Dernière trouvaille de Montviette Nature)
Laitue 'Brune du Perche', don du Conservatoire de Sainte Marthe
Herbes  sauvages du bord de mer

Sur le littoral, au bord des dunes, « on ramasse de la roquette et du plantain corne de cerf » mais aussi sur des talus exposés au soleil comme à Courménil (61). La roquette est une espèce vivace qui pousse dans les terrains sablonneux et en bord de mer. Elle est très fréquente autour d’Arromanches (14), Agon-Coutainville (50). Sa fleur est d’un jaune soutenu, la fleur est légèrement amère et poivrée. Le plantain corne de cerf pousse à l’état sauvage dans les mêmes types de sol en compagnie du pourpier d’été, sorte de petite plante grasse. Toutes ces plantes ont été  commercialisées au début du XXe siècle. Elles figuraient aux catalogues de A. Lenormand et E. Rosette à Caen, et de A. Heusse à Lisieux…

Roquette vivace à Agon-Coutainville (50)
Plantain Corne de cerf, à Courménil (61)
Pourpier d'été ou pourpier vert
Herbes  sauvages des talus

À l’intérieur des terres, dans les jardins, on cultive le  cresson de jardin, petit cresson annuel à fleurs jaunes en épis. Roquette et cresson de jardin sont très poivrés et viennent plutôt en accompagnement de laitue, tout comme la pimprenelle à salade que l’on peut aussi ramasser sur les talus secs.

Quelques petites herbes à  réintroduire au jardin, à retrouver lors des bourses aux plantes ?

Pimprenelle, Pontchardon (61)
Cresson de terre ou de jardin
Chicorée de Louviers catalogue Rosette Caen 1928

La guimauve

Plante des terres humides et du bord de mer,  en Normandie la guimauve a longtemps servi de plante remède.

Embarquée sur les navires

Au XVIIIe siècle, un chirurgien navigant à bord de bateaux négriers au départ d’Honfleur précise dans ses notes qu’il embarquait des fleurs de guimauve. Elles étaient  ajoutées à des violettes et des graines de lin pour soigner les marins. « Pour lutter contre la gonorrhée virulente ou chaude pisse, des saignées associées à des boissons adoucissantes telles qu’infusions de graines de lin, de fleurs de guimauve, de bouillon de violette. » (Bruno Dubois, « Le chirurgien navigant à bord des navires négriers armés à Honfleur au XVIIIe siècle », Le Pays d’Auge, novembre 1995)

Depuis quelques années, après une période d’oubli, les jardiniers l’ont adoptée au jardin comme plante ornementale. Elle s’adapte très facilement même dans les sols un peu secs.

La guimauve officinale se plaît dans les marais salés du bord de mer de Granville à Rouen,  dans l’embouchure de la Sélune, de l’Orne et sur les rives de la Seine. À l’intérieur des terres, elle se cantonne à quelques zones humides le long des berges de la Touques.

 

« Le père Landry avait de la guimauve dans son jardin. Quand on avait mal à la gorge ou une angine, on allait  en chercher chez lui. »  Sainte-Marguerite-de-Viette

La guimauve (Althaea officinalis, Malvaceae), cette plante au feuillage tout doux, aux fleurs rose pâle, a aussi été cultivée dans les jardins, car on en faisait grand usage dans la pharmacopée familiale.

Quand les dents des petits perçaient, « on leur donnait de la racine de guimauve à mâchonner ».

En 1887, Louis Lescène, le pharmacien de Livarot, note dans son ordonnancier qu’il a « délivré 125 g de  poudre de guimauve ». En juillet 1899, il prépare « 300 g de guimauve pour des décoctions ». Les  prescriptions de cette plante seront très fréquentes jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.

Au XIXe siècle, les médecins prescrivent de la poudre ou des décoctions  de guimauve pour différents petits maux. (Extrait d’un des ordonnanciers de 1876 à 1945, archives de la pharmacie Lescène, Livarot. (Coll. part.)

Trop rare genévrier

Le genévrier pousse à l’état sauvage dans les bois, ou plutôt il y poussait, car son arrachage depuis plus d’un siècle l’a presque fait disparaître des  forêts de Normandie.  

En 1846, selon le botaniste Durand-Duquesney,  il était  commun en Pays d’Auge et à l’est de Lisieux, poussant « dans les bois et les coteaux arides ».  Aujourd’hui, le botaniste Michel Provost constate que « cet arbuste thermophile est maintenant assez rare en Basse-Normandie et même inexistant dans la Manche » .  (Atlas des plantes vasculaires de Basse-Normandie, Presses universitaires de Caen, 1993)
Pourtant au XIVe siècle le coutumier d’Hector de Chartres rapporte qu’en forêt de Brix et en forêt de Gavray (situées dans l’actuel département de la Manche), les paroissiens sont autorisés à prélever le saule, le saule marsault, les épines, le sureau, l’aulne, le genêt, le genévrier et la ronce. En revanche, aucune mention n’en est faite pour les massifs forestiers du Pays d’Auge.
« À Montviette, à l’emplacement du bois près du Cabaret aux cènes, il y avait des genévriers qui ont disparu. » Ce  témoignage,  recueilli lors de l’enquête sur les arbres en 1995-1996, confirme leur déclin. Aujourd’hui toutes les stations sont en très nette régression. Est-ce dû au fait de leur utilisation trop intense ?

Utilisé dans les fermes

Autrefois le genévrier était utilisé dans les fermes : « A l’arrière- saison, on brosse les tonneaux à cidre avec les branches du genévrier. On en avait un pied dans la cour.
Roland de Neauphes-sur-Dives nous indique qu’ « on en avait un pied dans un coin du jardin ». Souvent les genévriers « ont été arrachés dans les bois pour être replantés dans les cours de ferme. On s’en servait pour préparer les pots à lard ».
Aujourd’hui, dans la forêt de Montpinçon, il n’en subsiste que deux pieds. Un autre a été préservé dans une haie à Montviette. Tous trois sont peu vigoureux.

Quand on tuait le cochon

À Pont-l’Évêque, quand on tuait le cochon, on préparait « une infusion de baies de genévrier pour nettoyer les pots à lard ».
D’autres témoignages précisent que pour nettoyer les pots à lard « on utilisait aussi une décoction de feuilles et de tiges dont on frottait les parois avant d’y mettre le cochon à saler ». Dans certaines maisons, on ajoutait une branche de genévrier dans la saumure avec le thym et le laurier.

De l’usage des baies de genévrier

À Notre-Dame-de-Courson, « on allait ramasser des baies de genévrier dans les bois. On en faisait un digestif », raconte Colette.
Dès le  XIIe siècle, les baies du genévrier servent à soigner. Le Livre des simples médecines préconise : « Contre les flux de ventre […] baigner le patient jusqu’au nombril dans de l’eau de pluie où ces semences de genièvre auront cuit et frotter ces parties du corps avec de l’eau chaude. Du genévrier on faisait de l’huile qui était efficace contre la fièvre quarte, l’épilepsie ou les douleurs de boyaux. »
Le mardi 31 décembre 1555, Gilles de Gouberville relate dans son journal qu’il est souffrant. Ses serviteurs  « s’en allèrent au matin à Cherebourg. Pour une unse de mélilot et de l’uyle de genèvre pour mettre sur [son] estomac. »

Arbres vénérés en Normandie

Au cours de l’histoire, l’arbre est si présent dans le quotidien et l’imaginaire des hommes  qu’ils  en font un usage domestique essentiel et parfois vénèrent certains sujets…

Le paysage au Moyen-âge

Au Moyen-âge,  les arbres sont appréciés  pour l’usage que l’on en fait : « bois à mesrien pour son edifier », bois d’œuvre pour la construction, bois de chauffe, palissage des enclos, cueillette des fruits, glandée, fourrage…
Entre 1398 et 1416, Hector de Chartres, maître des eaux et forêts du roi Charles VI, dresse l’inventaire des droits sur les forêts normandes. Ces droits sont répertoriés dans le  Coutumier d’Hector de Chartres, manuscrit conservé aux Archives départementales de Seine-Maritime. En Normandie, il visite les forêts de Seine-Maritime, de l’Eure, de Touques, d’Orbec et des Moutiers-Hubert, l’Orne et les forêts de Brix et de Gavray, de Lithaire (50).  Il recense les droits sur le fou, le chesne, le meslier, la puisne, la bourdaigne, l’esglentier, le pommier de bosc, le saux, le maresaux et l’espine (hêtre, chêne, néflier, troène, bourdaine, églantier, pommier sauvage, saule, saule marsault, aubépine).

Chêne pédonculé et glands
Les noms de lieux

Ces arbres sont si présents dans le quotidien et l’imaginaire des hommes que leur nom se fixe dans le toponyme de la paroisse. Aujourd’hui, de nombreuses communes et de lieux-dits portent le nom d’arbres : Saint-Martin-de-Fresnay (frêne), Saint-Germain-de-Livet et Saint-Pierre-des-Ifs (if), La Boissière (buis), Le Tilleul, Le Pin, La Pommeraie (pommier), La Boulaie (bouleau), La Houssaye (houx), La Verneusse (verne, aulne), L’Épinette…
Le linguiste Dominique Fournier, qui a longuement étudié les noms de lieux liés à la végétation,  apporte un éclairage sur leur origine. (Voir bulletins  Histoires et Traditions populaires, Le Billot)
L’if, qui pousse à l’état spontané dans les massifs forestiers, est  particulièrement abondant en Pays d’Auge. Le terme gaulois ivos (if) a donné aussi livet, livaye : Saint-Pierre-des-Ifs, Saint-Germain-de-Livet, Notre-Dame-de-Livaye.
Le buis, introduit par les Romains au début de l’ère chrétienne, s’est naturalisé çà et là. Son nom latin buxus a donné La Boissière, Boissey : lieu où pousse le buis.
Le Chêne, du gaulois cassanos, fut le nom d’une paroisse rattachée en 1830 à celle de Lessard pour      former la commune de Lessard-et-le-Chêne.
Le pommier sauvage, qui sera cultivé ensuite, a donné son nom à La Pommeraie, commune rattachée à celle de Saint-Désir, près de Lisieux.
Le pin est un arbre peu répandu qui a cependant laissé une trace dans le nom de la commune de Le Pin.
Plus  au sud du Pays d’Auge, on a vénéré le frêne à Saint-Martin-de-Fresnay ainsi que le tilleul dans la paroisse du Tilleul rattachée  en 1831 à la commune de Saint-Georges-en-Auge.
Au XVe siècle, à Montviette, la vente d’une parcelle de bois pour  la production de vaisselle en bois de poirier tourné  montre que cet arbre poussait à l’état sauvage dans les bois avec le pommier, le merisier et le bouleau : « toute la vesselle de boys que le ledit vendeur pourra faire pour le pris de chacun cent d’escuelles et plateaux de perier »  (Tabellionnage de Longny, 11 décembre 1482 – Archives départementales de l’Orne)

Les tilleuls à petites feuilles de l'ancien cimetière de la paroisse du Tilleul rattachée à Saint-Georges-en-Auge en 1831
Marronniers à l’entrée des fermes

À la fin du XIXe siècle, des marronniers  ont été plantés à l’entrée des fermes fromagères. Cette économie nouvelle qui allait faire la renommée du Pays d’Auge a aussi marqué le paysage. Ces arbres ont une durée de vie de deux cents ans. Ils sont désormais menacés et  mériteraient d’être sauvegardés.

Vieux arbres et arbres sacrés

Au XIXe siècle, le naturaliste rouennais Henri Gadeau de Kerville parcourt la Normandie à la rencontre de vieux arbres vénérables.

Il les photographie, les identifie, les mesure, et publie ses travaux dans le Bulletin de la Société des amis des sciences naturelles de Rouen. (Coll. Montviette Nature)

Chêne porte-gui Isigny-le-Buat (50) photographié le 24 avril 1898 par Gadeau de Kerville

Quelques arbres ont marqué autrement l’imaginaire des habitants, comme le « chêne aux chiffes »  au Pré-d’Auge, le « chêne à l’image » de  Barneville-la-Bertran ou de Friardel. Trois chênes sacrés : le « Gros chêne » de Friardel abritait une statue de la Vierge, celui de Barneville-la-Bertran celle de saint Jean-Baptiste. Et le chêne du Pré-d’Auge est encore aujourd’hui au centre d’un pèlerinage pour demander de l’aide à saint Méen, patron de la paroisse et saint guérisseur.

Chêne à l'image à Barneville-la-Bertran aujourd'hui disparu
Le Gros chêne à Friardel avec son enclos et sa Vierge
Le "Gros chêne" aujourd'hui

Symbole d’éternité, l’if a été planté dans la plupart des cimetières. Les tempêtes de 1987 et de 1999 en ont abattu de très anciens qui n’ont pas été remplacés.
À Lisieux, une aubépine a servi de limite de territoire entre la cathédrale et l’abbaye du Pré. On l’appelait l’ « épine du chapitre ».
À Préaux-Saint-Sébastien, l’ « épine à la dame » près de l’église rappelle un événement de la confrérie de Charité de la paroisse.
À Saint-Vaast-en-Auge, en novembre 1919, la commune et les anciens combattants plantent un « arbre de la Victoire », toujours vénéré.

Plantation de l'arbre de la Victoire, novembre 1919 à Saint-Vaast-en-Auge. Carte postale (coll. Montviette Nature)
Le cèdre planté en 1919 préservé dans l'enclos du monument aux morts
Le chêne à l’image de Barneville-la-Bertran /Arthème Pannier

 

(Extrait du carnet n°126, conservé à la Société historique Lisieux)
Arthème Pannier (1817-1882) cofondateur de la société historique de Lisieux écrit :
Barneville
Sur le bord de l’ancien
chemin vicinal qui conduit à la route d’Honfleur
chemin de Barneville à Équemauville,
à Honfleur se dresse
un vieux chêne plus que
séculaire dont il ne reste plus que le vieux tronc
qui est creux, ce tronc
renferme une petite niche
qui contient une statue
de saint Jean (Légende)
Autrefois on allumait
un feu de joie auprès
de ce vieux chêne,
un feu de joie que
le clergé bénissait

À peu de distance du
village de Barneville
au pied d’un coteau boisé
se dresse un vieux chêne
dont les branches tuteurs
couvrent de leur feuillage
une statuette de St Jean
placée dans une niche que
renferme le tronc creux du
chêne appelé dans le pays
chêne de l’image.
Les vieillards du pays racontent que
toutes les nuits, à minuit, Satan
empruntant une forme humaine
apparaît au pied de
ce chêne.
Malheur à ceux qui passaient
à cette heure (à cet endroit) au
pied du vieux chêne.

Jules Oudin, pépiniériste exceptionnel

Toute sa vie, Jules-Auguste Oudin aura été un précurseur et un innovateur dans le domaine de l’horticulture,  la pépinière et l’obtention de variétés florales.

En 1838, il est directeur de la toute jeune Société d’émulation de Lisieux. Il a tout juste 19 ans. En 1866, il fonde la Société d’horticulture. Puis  il installe à La Pommeraye, sur la commune de Saint-Désir, l’une des plus grandes pépinières de France capable de fournir les végétaux les plus rares. Un parcours à donner le tournis…

 

Jules Oudin est né le 22 juillet 1819. Dès son plus jeune âge, il est passionné de botanique. Ce jeune fils de maraîcher de Lisieux n’ayant reçu qu’une instruction primaire  va parcourir l’Europe pour parfaire sa formation. Au cours de ses voyages et de ses séjours en Angleterre et en Écosse, il rencontre les meilleurs botanistes et horticulteurs. Ainsi, dès 1831, Victor Leroy, découvreur d’arbres américains rentré des États-Unis, le forme à la connaissance de ces plantes nouvelles venues d’outre-Atlantique.
À Lisieux, lors de l’exposition d’horticulture de septembre 1840, Jules-Auguste Oudin présente 240 variétés de dahlias obtenues en Angleterre et ailleurs en Europe. Jusqu’alors la culture du dahlia était réservée à des amateurs éclairés… Il montre aussi son savoir-faire avec des arbres fruitiers sélectionnés : les poires ‘Beurré royal’, ‘Urbaniste’   et  ‘Fortunée’  qui mûrissent en janvier.

Nouveau plan de Lisieux montrant la pépinière de Jules Oudin à La Pommeraye, commune de Saint-Désir

 

La pépinière de La Pommeraye

Son établissement de vente est situé au 41 du boulevard Sainte-Anne où son père exerçait auparavant comme maraîcher. Vers 1855, afin de s’agrandir, Jules-Auguste Oudin transporte ses serres et ses massifs à Malicorne, puis à La Pommeraye sur la commune de Saint-Désir, où il crée un établissement horticole grandiose présenté en ces termes dans un  Guide des étrangers : « C’est à La Pommeraye que se trouve ce vaste et magnifique établissement horticole qui n’a pas de pareil en France et qui a été créé par M. Jules Oudin. »  La taille moyenne des pépinières de Normandie est de 2 à 10 hectares. Pour aménager la sienne,  il défriche les 55 hectares du Bois l’Évêque sous les railleries des propriétaires voisins. Dans cette pépinière aux dimensions hors norme, il élève des conifères de tous les pays,        acclimate des arbres et des arbustes rares.
En 1866, il fonde la Société d’horticulture de Lisieux.

Plusieurs catalogues de roses sont conservés à la bibliothèque de Genève, Suisse
Obtenteur de rhododendrons et de roses

Il crée plusieurs roses, dont au moins une lui a survécu même si elle reste introuvable à ce jour en Europe : la  rose ‘Génie de  Chateaubriand’. D’après Daniel Lemonnier, il serait le créateur de plusieurs sujets disparus :
‘Mademoiselle Cillard’ 1852, ‘Joséphine Oudin’, ‘Madame Oudin’, ‘Duchesse de Normandie’ 1846, ‘Triomphe d’Oudin’ (ou ‘Triomphe d’Oullins’) 1850.
Il rencontre  Alexandre Dumas et échange des lettres sur les origines du pommier et du nom de la paroisse de La Pommeraye. Ces lettres ont été  publiées dans  le Dartagnan  du 3 mars 1868, le journal d’Alexandre Dumas. Puis il va devenir         « hybrideur » de rhododendrons, une technique à peine mise au point. Aujourd’hui le ‘Boule de neige‘  (1878) est encore commercialisé et apprécié des paysagistes.

Hortalia, bibliothèque numérique de la SNHF

D’abord baptisée ‘Rose Chateaubriand’ en 1848, créée par Jules et Gabriel Oudin, elle est renommée ‘Génie de Chateaubriand’ dès 1849. Une rose à rechercher…

Expositions à Paris

Sa première exposition à Paris  en 1867 est très      remarquée. Mais c’est en 1878 qu’il va réaliser un véritable exploit : depuis La Pommeraye, il transporte au Trocadéro et sur le Champ-de-Mars            42 000 arbres et arbustes adultes, en pots ! La liste en est démesurée : 112 variétés de houx, 82                espèces de chênes, 468 types de conifères et, particulièrement remarqué, le Thuya gigantea dont Jules  Oudin est le seul détenteur en Europe. Exposés  pendant  six mois, les arbres sont ensuite achetés par l’État et installés à Boulogne, Vincennes et au Jardin des plantes. Il est promu chevalier de la Légion d’honneur. Son retour à Lisieux est fêté par un banquet  donné dans les      salons de l’hôtel de ville.
Oudin prépare de nouveaux projets et agrandit encore la pépinière.  Mais, alors qu’il visite une pépinière près de Beuzeville avec son fils Louis, il meurt foudroyé d’une rupture d’anévrisme. Il sera enterré dans le cimetière de Saint-Désir dans le carré des Oudin le lundi 30 août 1882.

Un Sequoia sempervirens encore en place dans la pépinière disparue

 

Sa mort subite l’a empêché de transmettre son œuvre à un successeur. Son épouse et ses deux garçons, Victor et Louis, vont tenter néanmoins de maintenir l’activité au niveau d’exigence que Jules-Auguste avait fixé, mais  la pépinière finira par disparaître autour de 1910.
La famille ne laisse pas de traces dans la région et les souvenirs de cet incroyable établissement s’effacent tout doucement. À La Pommeraye, nous avons seulement retrouvé un Sequoia sempervirens de  plus de 20 mètres de haut.

Publié dans La feuille du cultivateur et le journal d’agriculture pratique, 1861, Bruxelles, ce reportage sur l’aménagement du Jardin de l’Evêché à Lisieux et l’œuvre de Jules Oudin :
« La municipalité de Lisieux fait les frais d’un jardin public au milieu de la ville, près du palais de justice. Ce jardin est bien tenu. Le jardinier est habile et les habitants l’encouragent. J’y ai remarqué de beaux rosiers haute tige qui, aux mois de juin et juillet, ont donné de belles fleurs; on y plantait des boutures de dahlias, dont un grand nombre appartenaient à de bonnes variétés. Le goût des habitants pour les fleurs fut une obligation à la municipalité de ne placer sous leurs yeux que de belles choses. Presque tous ceux de ces habitants qui ont maison de campagne, s’adonnent à la floriculture et ne veulent chez eux que des espèces diamants. Aussi la profession de fleuriste pépiniériste est-elle assez prospère dans le pays. On cite, entre autres, un établissement fondé sur le chemin de Saint-Pierre-sur-Dives, par M. Oudin, et qui est un modèle pour son étendue et son aménagement.
Oudin expédie des arbres fruitiers, des fleurs rares et des plantes de serre dans toute la Normandie et la Bretagne. Il fait cultiver quinze hectares de pépinière, cinq de fleurs de pleine terre, quatre de plantes maraîchères; cinq hectares sont occupés par ses serres. Je n’ai pu me rendre chez lui ; mais je sais que malgré toutes les charges que lui imposent des cultures aussi considérables, il fait d’excellentes affaires. » Guézou-Duval. [Écho agricole]

Retrouver la rose ‘Génie de Chateaubriand’

À Lisieux

Au milieu du XIXᵉ siècle, le jardin de l’Évêché de Lisieux  est entièrement planté de roses prestigieuses ou nouvelles. Plus de 300 variétés y sont réparties selon un ordre qu’a soigneusement noté Arthème Pannier, membre de la Société d’émulation. Ce document  est conservé à la Société historique de Lisieux.

Beaucoup de ces roses sont des obtentions des célèbres rosiéristes caennais : Pierre Oger et Gustave Thierry. Une toute nouvelle rose a été obtenue par les pépiniéristes lexoviens Jules et Gabriel Oudin : ′Génie de Chateaubriand′. Elle apparaît à six  endroits dans les parterres du jardin de l’Évêché.

Jules-Auguste Oudin s’est exercé très tôt à la technique des hybridations et a obtenu, auparavant,  des roses sans doute aujourd’hui disparues : ‘Perpétuelle Lindsey  en 1845, hybride perpétuelle à grande fleur rouge pourpre, nuancée de rouge vif au centre, ‘Duchesse de Normandie’ en 1846. En 1850, il créera ‘Triomphe d’Oudin’, également introuvable. (D’après les recherches de Daniel Lemonnier, spécialiste des roses normandes à découvrir sur le site « Roses normandes ».)

« Une rose nouvelle »

Dans le journal Le Normand (journal de Lisieux et de Pont-l’Évêque) du 20 octobre 1848, on peut lire : « Le Calvados est un des départements de la Normandie où l’horticulture est le plus en progrès. La Ville de Lisieux surtout se distingue par ses améliorations horticoles. Voici en quels termes M. Victor Pâquet parle d’une nouveauté florale obtenue dans notre ville. « Rose Chateaubriand » – MM. Oudin de Lisieux, nous adressent une Rose très remarquable, à laquelle ils se proposent de donner le nom du grand littérateur dont l’histoire perpétuera à jamais le souvenir. Cette Rose appartient à la section des Perpétuelles-Hybrides […] Nous considérons leur Rose comme l’une des plus belles fleurs connues. Elle est d’un rouge ou plutôt d’un violet-évêque des plus beaux, et très odorante. »

« Les boutons ont le pédoncule très allongé, et forment un magnifique bouquet, qui succède à la fleur du centre, laquelle est très grande. Cette belle plante sera figurée dans l’Instructeur-Jardinier pour lequel nous nous sommes empressés de la faire peindre aussitôt l’avoir reçue de Lisieux. »

« Une rose aux reflets de velours noir »

La rose a été peinte en 1848, à la demande de Victor Pâquet, par le peintre L. Constans, probablement Léon Louis Aristide Constans (1815 1871) et la description du rosier a été publiée dans de nombreuses revues d’horticulture :

Dans la Revue horticole du 15 avril 1850, la description est signée Oudin (p. 141-142) :
« Végétation vigoureuse ; rameaux droits, à écorce lisse, garnis d’aiguillons arqués en dessous, rougeâtres sur les jeunes rameaux et prenant une teinte grise sur les anciens, acérés, se détachant très facilement […].Les feuilles sont planes en dessus, vert clair comme argenté en dessous ; elles sont presque toujours composées de 7 folioles, rarement de 5 […].  Les fleurs se développent à l’extrémité des branches. […].La fleur n’a jamais moins de 0m,09 à 0m,40 de diamètre, quelquefois davantage ; les pétales sont très amples et imitent par leur forme une coquille ; leur dimension diminue insensiblement de la circonférence au centre, lequel se trouve formé de pétales roulés en couronne.

Hortalia, bibliothèque numérique de la SNHF

La couleur dominante est d’un rouge ou plutôt d’un violet évêque des plus beaux ; des reflets écarlates et des nuances de velours noir en rehaussent encore l’éclat ; le revers des pétales est d’un lilas pâle comme argenté. »

Les descendants de Génie de Chateaubriand

La rose grimpante ′Veilchenblau′ a été obtenue, en 1909, d’un croisement entre ′Rosa rubifolia′ avec ′Souvenir de Brodissue elle-même de ′Génie de Chateaubriand′.

Haricot Petit carré de Caen

Le ‘Petit carré de Caen’, célèbre haricot

Connue à travers toute la France, l’histoire du haricot ‘Petit carré de Caen’ commence en Normandie.

« Pois anglais » dans ses débuts…

La société d’horticulture de Caen organise chaque année des visites de jardins et de parcs. Lors d’une visite du domaine de Fontaine-Henry, vers 1844, les membres s’intéressent au potager de madame la marquise de Canisy, tenu par un certain Brion.  Fier d’une de ses cultures, le jardinier montre ce qu’il appelle le « pois anglais », un haricot à rames sorti des jardins des anciens Prémontrés de l’abbaye d’Ardenne près de Caen.

Le président de la société d’horticulture, Gustave Thierry, est fasciné par cette nouveauté. Il envoie une note enthousiaste aux sociétés voisines, disant : « Cet excellent légume, le meilleur sans contredit, est essentiellement normand et de plus bas-normand… Son grain est petit, aplati aux extrémités, presque carré, d’où un autre nom : le Petit carré. »

… le ‘Petit carré de Caen’ devient une star.

Ses qualités de mangetout  prolifique, fondant, et la conviction de Gustave Thierry vont en faire une variété emblématique. Il envoie des graines aux sociétés d’horticulture. Ainsi, à l’automne 1868, à Lisieux, a lieu une distribution de graines de haricot nain carré, dit haricot ‘Prédomme’, offertes par Gustave Thierry, conservateur du jardin botanique de Caen.

Fin du XIXe siècle, le semencier Vilmorin-Andrieux l’inscrit à son catalogue et le décrit ainsi : « Cosses vertes, très nombreuses, droites, charnues, très tendres et très marquées par la saillie des grains, de 0m07 à 0m09 de longueur, contenant six ou sept grains blancs, presque ronds, souvent aplatis et obtus aux extrémités… Le litre pèse 820 grammes et 100 grammes contiennent environ 470 grains. »

Le cultivateur grainier A. Lenormand dans son catalogue de 1909 précise : « Une des meilleures variétés de haricots mange-tout. Grain très fin, de qualité tout à fait supérieure, très productif. » Il vend le litre de semence 2,25 F. La maison Rosette à Caen en fait aussi « la réclame »…

Un grain carré...
Au sommet de la gloire

Jusqu’au début des années 1960, le ‘Petit carré de Caen’ est cultivé partout en France.

Une forme naine va aussi apparaître sur le marché des semences. Elle figure encore au catalogue de la maison Bazin Simon de Sourdeval-la-Barre (50), édité en 1924  par René Guesdon, son successeur : « haricot blanc petit carré de Caen, sans rame, mange-tout. Les 100 kg sont proposés au prix de gros de 1300 F. »

Malgré tout,  il n’aura pas le même succès que la variété à rames et sera vite délaissé.

Le déclin

Puis, peu après 1960, pour faire de la place à des souches, des variétés sans doute plus productives, le ‘Petit carré de Caen’ est écarté du catalogue national des variétés et n’est plus commercialisé.

Seuls quelques anciens vont en poursuivre la culture et conserver sa semence. Néanmoins il nous faudra attendre 1991 pour en retrouver la trace : à l’occasion d’une bourse d’échange à la foire aux arbres de Lisieux, une jardinière de Thury-Harcourt offre à Montviette Nature une glane de ‘Petit carré de Caen’ liée par un brin de laine rouge.

Le renouveau

Remise en culture, en 1991,  par un groupe de jardiniers de l’association Montviette Nature, la variété est ainsi sauvée de l’oubli et peut être à nouveau cultivée en Normandie par des jardiniers amateurs. Ce haricot est cultivé et présenté au Jardin Conservatoire du Pays d’Auge à Saint-Pierre-sur-Dives.

Quelques maraîchers l’ont à nouveau adopté dans leurs cultures légumières.

À l’automne 2000, une glane est confiée aux propriétaires du château de Fontaine-Henry pour que le ‘Petit carré de Caen’ retrouve son jardin d’origine.

Louis Gauthier et les fraises de Caen

La fraise de Caen s’est fait une très belle réputation au XIXe siècle…
Depuis le XVIIe siècle, les variétés cultivées étaient peu nombreuses : ′Écarlate de Virginie′, ′Fraisier ananas′, ′Écarlate de Bath′…  jusqu’à ce que des sélections nouvelles s’imposent.
La Normandie  va y jouer un grand rôle avec le fraisiériste Louis Gauthier.

Ecarlate de Bath, Traité des arbres fruitiers, 1768, coll. Montviette Nature
Éloge de la Normandie

La revue mensuelle  Histoire industrielle, dans son numéro du mois de juillet 1909, fait l’éloge de l’œuvre de Louis Gauthier (1860 – 1935) et de la Normandie où Caen est présentée comme la région de culture de la fraise la plus importante de France…

« Louis Gauthier, qui est chevalier du Mérite agricole, est né à Caumont-l’Éventé (Calvados) en 1860. À trente ans, il était jardinier en chef du  château de Grentheville, près de Caen. Et là, il eut l’occasion toute trouvée d’expérimenter sur les fraisiers, la fécondation artificielle et l’hybridation. Il réussit tant et si bien que de la Belle de Meaux, variété des quatre saisons dont il sut marier le pollen avec une variété à gros fruits, il obtint le célèbre fraisier Louis Gauthier (à filets remontants). »   Cette fraise créée en 1896      « possède une fécondité permanente et ainsi se succèdent les récoltes en mai, juin, juillet et jusqu’au mois de novembre ».

Louis Gauthier,  qui est devenu « le  Maire de Grentheville […]  nous explique qu’il y a, dans l’obtention des fraisiers, deux points principaux à viser :
1° Ceux destinés à fournir la fraise du Commerce, doivent donner un fruit d’un beau rouge, très gros et d’une grande fermeté, afin de pouvoir se transporter aisément et faire bonne figure à la vente.
2° Les fraisiers destinés pour la culture, à la clientèle particulière, et dont les fruits seront consommés sur place, doivent donner une fraise très tendre à la chair parfumée. Plus mièvre peut-être que les autres, cette fraise est d’une délicatesse infinie, d’un parfum capiteux – si tant est qu’on puisse s’enivrer d’un tel parfum !
Nous dirions volontiers que la fraise du Commerce est comme ces appétissantes et plantureuses filles des champs, dont l’exubérante santé éclate de toutes parts ; tandis que la fraise bourgeoise, celle qui aura les honneurs de la consommation sur place, est plus aristocratique, plus fine dans ses attaches, plus pâle dans ses coloris, plus tendre dans sa chair, plus exquise et plus raffinée, comme le sont nos délicates parisiennes…

"Fraise blanche" dite "fraise bourgeoise" à consommer sur place ?
Une fraise rose...

L’éducation des fraisiers est donc toute différente selon ce que l’on veut obtenir ; si la Fraise Louis Gauthier est la plus grosse et la plus productive des fraises connues, la Merveille de France est venue, il y a deux ans, lui disputer les lauriers que la première avait conquis de toutes parts. »

Les variétés créées par Louis Gauthier

Louis Gauthier a créé plusieurs centaines de variétés de fraisiers « qui se sont emparées des fertiles terrains de Caen ». Chaque année, 60 000 pieds sont expédiés « sur les deux continents… pour aller s’acclimater dans les pays les plus lointains ». Mais que sont devenues les obtentions de Louis Gauthier, parmi lesquelles la ′Tardive de Caen′, l’ ′Arlette de Normandie′, la ‘Châtelaine de Grentheville’ ? La fraise ′Louis Gauthier′ figurait dans les  catalogues A. Lenormand en 1909 et E. Rosette en 1928 aux côtés de la fraise ‘Ville de Caen’. La ‘Louis Gauthier’ décrite comme  à «  très gros fruits blanc-rosé» semble ne plus être détenue que par quelques collectionneurs.

Fraise de Caen, catalogue Rosette, Caen, 1928, coll. Montviette Nature
Publicité Louis Gauthier, Bulletin de la société d'horticulture de Caen

Dans les jardins de Normandie est toujours cultivée une fraise à chair blanc-rosé très parfumée. Cette variété, qui n’a pas été identifiée, serait-elle une des obtentions de Louis Gauthier ?