Les primevères « à oreilles » ou auricules sont de petites plantes discrètes encore cultivées par des grands-mères attentives et des amateurs éclairés…
La rencontre avec les primevères à oreilles peut étonner : elles sont bleu porcelaine, caramel, feu, grenat ou pourpre. Et les pétales de certaines fleurs sont comme poudrées de farine ! C’est une vivace indigène originaire des Alpes. Son nom vient de la forme de ses feuilles lisses en forme de cornet.
Leur histoire
Au XVIe siècle, le botaniste Charles de L’Écluse ramasse cette petite plante discrète aux environs d’Innsbruck et la met en culture au jardin des plantes de Vienne. L’Europe va s’emparer bien vite de cette nouveauté : elle paraît dans les bouquets peints des œuvres flamandes dès le début du XVIIe siècle. Des tisserands exilés introduisent l’espèce en Angleterre où seront développées les « poudrées », au point d’en faire une spécialité, appelée plus tard les « anglaises ». Les horticulteurs français les achètent aux Hollandais pour les cultiver dans le nord. Ils créent de nouvelles variétés aux couleurs raffinées. Elles sont présentées à la cour de France en 1685.
Au XIXe siècle à Liège, les habitants fiers de leurs collections les exposent à leurs fenêtres ou leurs balcons sur de petits gradins. Vers 1850, la mode gagne Paris où elles sont exposées dans de petits théâtres à fond peint d’un paysage.
Les célèbres pépiniéristes Vilmorin et Andrieux leur consacrent plusieurs pages de présentation dans le volumineux catalogue Les fleurs de pleine terre de 1894.
En Normandie
Dans la plupart des jardins, elles sont cultivées soit en petites bordures à l’ombre, soit le plus souvent dans une terrine ou dans de vieilles bassines qui ne servent plus à la maison. Les coloris sont assez variés, allant du bleu au grenat ou feu. L’œil de la plante est blanc ou jaune. Il est difficile de classer ces variétés dans un des types précis décrits au XIXe siècle. Vilmorin et Andrieux en avaient proposé quatre : les « pures » ou « ordinaires » à coloris bleuâtre ou feu et à œil blanc, les « liégeoises » à œil jaune ou olive, les « anglaises » toujours poudrées et, enfin, les « doubles ».
En Normandie, elles semblent apparaître tardivement avec la mode des plantes grasses à la fin du XIXe. Le cultivateur grainier A. Lenormand, installé à Caen depuis 1860, ne cultive que la ‘Liégeoise variée’ qu’il décrit comme « extra, plante très jolie mais pas assez cultivée ». Elles figurent à son catalogue de 1909. En 1928, l’établissement Rosette, rue Saint-Jean à Caen, propose des graines d’auricules liégeoises variées. En 1937, il n’y en a plus au catalogue Le Paysan. La mode en est passée…
Comme les primevères sauvages, les auricules fleurissent en avril et, au mois d’octobre, quelques fleurs réapparaissent dans les bordures ou les potées. Elles ne gèlent pas. Leur seule crainte est le trop d’humidité.
En Pays d’Auge, les variétés les plus rustiques sont conservées par des grands-mères soigneuses. Elles les reproduisent par éclats de racine ou par bouture. Le semis est beaucoup plus délicat.
À Tortisambert, le calvaire est fleuri d’une potée d’auricules grenat.