Archives pour la catégorie Plantes à usages

Haricot Petit carré de Caen

Le ‘Petit carré de Caen’, célèbre haricot

Connue à travers toute la France, l’histoire du haricot ‘Petit carré de Caen’ commence en Normandie.

« Pois anglais » dans ses débuts…

La société d’horticulture de Caen organise chaque année des visites de jardins et de parcs. Lors d’une visite du domaine de Fontaine-Henry, vers 1844, les membres s’intéressent au potager de madame la marquise de Canisy, tenu par un certain Brion.  Fier d’une de ses cultures, le jardinier montre ce qu’il appelle le « pois anglais », un haricot à rames sorti des jardins des anciens Prémontrés de l’abbaye d’Ardenne près de Caen.

Le président de la société d’horticulture, Gustave Thierry, est fasciné par cette nouveauté. Il envoie une note enthousiaste aux sociétés voisines, disant : « Cet excellent légume, le meilleur sans contredit, est essentiellement normand et de plus bas-normand… Son grain est petit, aplati aux extrémités, presque carré, d’où un autre nom : le Petit carré. »

… le ‘Petit carré de Caen’ devient une star.

Ses qualités de mangetout  prolifique, fondant, et la conviction de Gustave Thierry vont en faire une variété emblématique. Il envoie des graines aux sociétés d’horticulture. Ainsi, à l’automne 1868, à Lisieux, a lieu une distribution de graines de haricot nain carré, dit haricot ‘Prédomme’, offertes par Gustave Thierry, conservateur du jardin botanique de Caen.

Fin du XIXe siècle, le semencier Vilmorin-Andrieux l’inscrit à son catalogue et le décrit ainsi : « Cosses vertes, très nombreuses, droites, charnues, très tendres et très marquées par la saillie des grains, de 0m07 à 0m09 de longueur, contenant six ou sept grains blancs, presque ronds, souvent aplatis et obtus aux extrémités… Le litre pèse 820 grammes et 100 grammes contiennent environ 470 grains. »

Le cultivateur grainier A. Lenormand dans son catalogue de 1909 précise : « Une des meilleures variétés de haricots mange-tout. Grain très fin, de qualité tout à fait supérieure, très productif. » Il vend le litre de semence 2,25 F. La maison Rosette à Caen en fait aussi « la réclame »…

Un grain carré...
Au sommet de la gloire

Jusqu’au début des années 1960, le ‘Petit carré de Caen’ est cultivé partout en France.

Une forme naine va aussi apparaître sur le marché des semences. Elle figure encore au catalogue de la maison Bazin Simon de Sourdeval-la-Barre (50), édité en 1924  par René Guesdon, son successeur : « haricot blanc petit carré de Caen, sans rame, mange-tout. Les 100 kg sont proposés au prix de gros de 1300 F. »

Malgré tout,  il n’aura pas le même succès que la variété à rames et sera vite délaissé.

Le déclin

Puis, peu après 1960, pour faire de la place à des souches, des variétés sans doute plus productives, le ‘Petit carré de Caen’ est écarté du catalogue national des variétés et n’est plus commercialisé.

Seuls quelques anciens vont en poursuivre la culture et conserver sa semence. Néanmoins il nous faudra attendre 1991 pour en retrouver la trace : à l’occasion d’une bourse d’échange à la foire aux arbres de Lisieux, une jardinière de Thury-Harcourt offre à Montviette Nature une glane de ‘Petit carré de Caen’ liée par un brin de laine rouge.

Le renouveau

Remise en culture, en 1991,  par un groupe de jardiniers de l’association Montviette Nature, la variété est ainsi sauvée de l’oubli et peut être à nouveau cultivée en Normandie par des jardiniers amateurs. Ce haricot est cultivé et présenté au Jardin Conservatoire du Pays d’Auge à Saint-Pierre-sur-Dives.

Quelques maraîchers l’ont à nouveau adopté dans leurs cultures légumières.

À l’automne 2000, une glane est confiée aux propriétaires du château de Fontaine-Henry pour que le ‘Petit carré de Caen’ retrouve son jardin d’origine.

Louis Gauthier et les fraises de Caen

La fraise de Caen s’est fait une très belle réputation au XIXe siècle…
Depuis le XVIIe siècle, les variétés cultivées étaient peu nombreuses : ′Écarlate de Virginie′, ′Fraisier ananas′, ′Écarlate de Bath′…  jusqu’à ce que des sélections nouvelles s’imposent.
La Normandie  va y jouer un grand rôle avec le fraisiériste Louis Gauthier.

Ecarlate de Bath, Traité des arbres fruitiers, 1768, coll. Montviette Nature
Éloge de la Normandie

La revue mensuelle  Histoire industrielle, dans son numéro du mois de juillet 1909, fait l’éloge de l’œuvre de Louis Gauthier (1860 – 1935) et de la Normandie où Caen est présentée comme la région de culture de la fraise la plus importante de France…

« Louis Gauthier, qui est chevalier du Mérite agricole, est né à Caumont-l’Éventé (Calvados) en 1860. À trente ans, il était jardinier en chef du  château de Grentheville, près de Caen. Et là, il eut l’occasion toute trouvée d’expérimenter sur les fraisiers, la fécondation artificielle et l’hybridation. Il réussit tant et si bien que de la Belle de Meaux, variété des quatre saisons dont il sut marier le pollen avec une variété à gros fruits, il obtint le célèbre fraisier Louis Gauthier (à filets remontants). »   Cette fraise créée en 1896      « possède une fécondité permanente et ainsi se succèdent les récoltes en mai, juin, juillet et jusqu’au mois de novembre ».

Louis Gauthier,  qui est devenu « le  Maire de Grentheville […]  nous explique qu’il y a, dans l’obtention des fraisiers, deux points principaux à viser :
1° Ceux destinés à fournir la fraise du Commerce, doivent donner un fruit d’un beau rouge, très gros et d’une grande fermeté, afin de pouvoir se transporter aisément et faire bonne figure à la vente.
2° Les fraisiers destinés pour la culture, à la clientèle particulière, et dont les fruits seront consommés sur place, doivent donner une fraise très tendre à la chair parfumée. Plus mièvre peut-être que les autres, cette fraise est d’une délicatesse infinie, d’un parfum capiteux – si tant est qu’on puisse s’enivrer d’un tel parfum !
Nous dirions volontiers que la fraise du Commerce est comme ces appétissantes et plantureuses filles des champs, dont l’exubérante santé éclate de toutes parts ; tandis que la fraise bourgeoise, celle qui aura les honneurs de la consommation sur place, est plus aristocratique, plus fine dans ses attaches, plus pâle dans ses coloris, plus tendre dans sa chair, plus exquise et plus raffinée, comme le sont nos délicates parisiennes…

"Fraise blanche" dite "fraise bourgeoise" à consommer sur place ?
Une fraise rose...

L’éducation des fraisiers est donc toute différente selon ce que l’on veut obtenir ; si la Fraise Louis Gauthier est la plus grosse et la plus productive des fraises connues, la Merveille de France est venue, il y a deux ans, lui disputer les lauriers que la première avait conquis de toutes parts. »

Les variétés créées par Louis Gauthier

Louis Gauthier a créé plusieurs centaines de variétés de fraisiers « qui se sont emparées des fertiles terrains de Caen ». Chaque année, 60 000 pieds sont expédiés « sur les deux continents… pour aller s’acclimater dans les pays les plus lointains ». Mais que sont devenues les obtentions de Louis Gauthier, parmi lesquelles la ′Tardive de Caen′, l’ ′Arlette de Normandie′, la ‘Châtelaine de Grentheville’ ? La fraise ′Louis Gauthier′ figurait dans les  catalogues A. Lenormand en 1909 et E. Rosette en 1928 aux côtés de la fraise ‘Ville de Caen’. La ‘Louis Gauthier’ décrite comme  à «  très gros fruits blanc-rosé» semble ne plus être détenue que par quelques collectionneurs.

Fraise de Caen, catalogue Rosette, Caen, 1928, coll. Montviette Nature
Publicité Louis Gauthier, Bulletin de la société d'horticulture de Caen

Dans les jardins de Normandie est toujours cultivée une fraise à chair blanc-rosé très parfumée. Cette variété, qui n’a pas été identifiée, serait-elle une des obtentions de Louis Gauthier ?

Les épines

En Normandie, l’aubépine partage avec le prunellier le nom d’ « épinette », qui désigne un buisson épineux.

Les épines servent à « clore » 

Les épines étaient utilisées pour clôturer les haies. Dans sa délibération du 23 décembre 1859, le conseil municipal de Saint-Pierre-sur-Dives fixe les « tarifs des droits à percevoir sur le marché, sous les halles, dans les rues et places publiques de la ville, soit 0,40 franc par 6 mètres de terrain occupé, ou censé l’être, par chaque charretée d’épine noire pour la clôture des haies… ».

A Montviette, un chemin creux qui part du bourg et monte vers le plateau s’appelle le « chemin de l’Épinette ».

Le tour des mares doit être infranchissable

La plupart des mares qui ont été creusées sur les plateaux du Pays d’Auge ont été protégées par des épineux. On les appelle les « mares closes ». L’arbuste le plus fréquemment planté est le prunellier, mais on rencontre aussi de l’aubépine. Sur le bord du chemin, la haie doit être impénétrable.

Autrefois, la haie fixait la limite de la propriété de la parcelle, mais il arrivait qu’un seul pied d’épine suffise à la borner.

Son bois très dur était utilisé par les tourneurs pour confectionner de la vaisselle en bois.

L’épine blanche et l’épine noire

L’épine noire n’est autre que le prunellier (Prunus spinosa) aux dards extrêmement piquants.

Elle est en fleur dès le mois de mars, tandis que l’épine blanche fleurit en mai. On dit que « quand l’épine blanche fleurit, le froid revient ».

Photo Rodolphe Murie
L’épine à la Vierge

L’aubépine (Crataegus laevigata et Crataegus monogyna) est un arbre consacré à la Vierge, appelé aussi « épine à la Vierge ». Il  était planté près des lavoirs. Les mères y  mettaient à égoutter les linges des nouveau-nés afin de les protéger.

Près de Saint-Pierre-sur-Dives, pour le traitement des rhumatismes, on recommandait de « frictionner l’articulation douloureuse avec des fleurs d’aubépine ».

Au Mesnil-Durand, le fruit de l’ « épine blanche », préparé en confiture, soignait la bronchite.

L’Épine à la dame

Un arbre appelé l’ « Épine à la dame » est toujours visible à la sortie du village de Préaux-Saint-Sébastien pour rappeler un drame survenu ici au milieu du XVIIe siècle. Dans l’église, une plaque rappelle également cet événement tragique. À l’issue du pèlerinage à Préaux-Saint-Sébastien, deux groupes de pèlerins  quittaient l’église. Mais  l’un voulut devancer l’autre. Dans la mêlée qui s’ensuivit, un homme de la procession de Falaise provoqua la mort d’une femme de la procession de Ticheville.

Le tribunal ecclésiastique décida que la ville de Falaise ne viendrait plus à Préaux, mais qu’elle enverrait chaque année, en réparation, une délégation de bourgeois et de deux prêtres. Ils s’arrêteraient devant l’épine plantée à l’endroit de la tragédie, sans aller plus loin.

Dans les jardins et les parcs fleurit l’épine rose parfois double…

Choux normands

À la fin du XIXe siècle, la terre normande a vu se créer de nombreuses variétés de légumes parfaitement adaptés aux conditions climatiques. Les choux y ont eu la meilleure part. Que sont devenues ces variétés  locales ?

Chou grappé de Cherbourg

Chou grappé de Cherbourg, chou prompt de Tourlaville, chou pommé de Mortagne blanc,  Milan très hâtif de Caen, hâtif de Dieppe, pommé de Tinchebray, de Mortagne à côtes violacées… Peut-on encore espérer retrouver quelques-unes de ces variétés ?

Des passionnés de jardin et de patrimoine se sont lancés dans cette aventure. À ce jour  ont été retrouvés le Tourlaville, le chou pommé de Louviers et un chou d’Ouessant qui pourrait être le « palmier du Bocage » cité par Jules Lecœur.

En Seine-Maritime, Gérard Mallet a su conserver l’imposant chou de Saint-Saëns.

Nous avons retrouvé les catalogues de cultivateurs grainiers :

  • René Guesdon, successeur Bazin-Simon, à Sourdeval-la-Barre
  • A. Lenormand puis I. Sénécal  à Caen
  • E. Rosette à Caen
  • André Heusse, successeur maison Bassière, à Lisieux
Catalogue Guesdon (Bazin-Simon), Sourdeval-la-Barre, 1924 :
  • Chou grappé de Cherbourg
  • Chou prompt de Tourlaville, très hâtif, graine cultivée dans la Manche
  • Chou pommé de Mortagne blanc
  • Chou pommé de la Trappe gros
  • Chou pommé de Tinchebray
  • Chou de Mortagne à côtes violacées
  • Chou  Milan très hâtif d’Avranches
  • Chou  Milan très hâtif de Caen
  • Chou Milan hâtif de Dieppe
  • Chou Milan pied court d’hiver de la Manche
  • Chou-fleur dur de Cherbourg
Catalogue  A. Lenormand, Caen, 1909 :
  • Chou pommé  blanc de Tourlaville, (vrai)
  • Très hâtif  ‘Lemarchand’, obtenu par M. Lemarchand, l’un de nos principaux cultivateurs maraîchers, qui le cultive en très grandes quantités et en plein champ
  • Chou grappé de Cherbourg
  • Chou pommé tardif gros, pied court de la Manche
  • Chou Milan gros, pied court de Caen, hâtif, extra
  • Chou Milan ordinaire, pied court de Caen, hâtif, extra
Catalogue  E. Rosette, Caen, 1928 :
  • Chou cabus précoce de Tourlaville (variété très cultivée en Normandie pour la production de printemps)
  • Trois choux de deuxième et d’arrière-saison : grappé de Cherbourg, pomme moyenne, excellente variété à planter serré ; de Mortagne, variété à grand rendement, très cultivée en Normandie ; chou pommé tardif de la Manche
  • Chou de Milan court hâtif de Caen, très bonne variété un peu hâtive, craint un peu les gelées
  • Chou de Milan ordinaire de Caen, variété très recommandable, pomme moyenne dure, de bonne qualité, résiste bien au froid
  • Chou brocolis tardif de Caen, pomme énorme,  se récolte en mai
Catalogue  André Heusse ( succ. maison Bassière), Lisieux, 1937 :
  • Chou  Milan d’Avranches
  • Chou pommé de Louviers extra, récolte de Louviers, (vrai)
  • Chou pommé de Tourlaville, (vrai) extra
  • Chou grappé de Cherbourg
  • Chou pommé tardif Mortagne, extra
  • Chou pommé tardif de la Trappe
  • Chou pommé du Pin
  • Chou de Milan ou pommé frisé d’Avranches, hâtif
  • Chou de Milan ou pommé frisé de Caen, extra
Catalogue Le Paysan, 1947 :
  • Chou très hâtif de Louviers (variété se rapprochant du chou Cœur de bœuf moyen mais à pomme plus large et plus arrondie, un peu moins précoce)
  • Chou pommé précoce  de Tourlaville (Prompt de Caen). Variété à pomme assez haute. Convient pour la culture de primeurs précoce et vigoureuse
  • Chou Cœur de bœuf gros, chou de Cherbourg, chou grand-père
  • Chou  de Mortagne blanc. Pied court, belle grosse pomme aplatie et blanche
Graines Caillard , Vimoutiers, 1937 :
  • Chou de Mortagne blanc
  • Chou de Tourlaville
Petit traité pratique de culture potagère, N.J. Prévost, Rouen, 1854, le chou de Quevilly, Bibliothèque de la SNHF
Culture de choux verts :  chou canne  et chou bouture 

 « Le chou cavalier, ou chou en arbre, peut atteindre jusqu’à deux mètres de hauteur. C’est avec la tige de cette variété que l’on fait les Cannes de Chou, de vente courante à Jersey et sur le littoral de la Normandie. » (Désiré Bois,  Les plantes alimentaires chez tous les peuples et à travers les âges,  Histoire, utilisation, culture, Vol. I, Paul Lechevalier, Paris, 1927)

Dans l’Orne, on cultive un chou cavalier, le « chou canne ». Les feuilles sont données à manger aux lapins. La tige est courbée, puis séchée pour en faire une canne solide et durable.

« Les choux verts sont demeurés le légume favori du paysan et de bien des citadins. Hauts souvent de plus de six pieds, leurs feuilles vert tendre, où la pluie et la rosée sèment des perles d’argent, s’épanouissent en panache au sommet du tronc élancé, comme celles d’un palmier. De là sans doute le nom de palmiers du Bocage qu’on leur a donné. Il n’est pas un jardin qui n’en ait de larges carrés ; chaque jour, soir et matin, la ménagère les plume pour la soupe, pour l’abreuvée des bestiaux et des porcs, qui les mangent crus, mincés et mêlés à l’eau de son et de farine. » (Jules Lecœur, Esquisses du bocage normand, 1883)

Dans les jardins du Pays d’Auge, on cultivait deux espèces de chou perpétuel qui fournissaient toute l’année des pousses bien vertes : le « chou bouture » à feuilles lisses appelé aussi « chou des familles » et le « chou bouture »  à feuilles frisées.

Chêne et gland

Les chênes produisent des glands dont on se servait pour nourrir les bêtes. Mais, attention, ils peuvent aussi être dangereux… 

Le Quesnay

Le Quesnay, Rouvres,  le Chêne au loup  et le Chêne à la Vierge  à Marolles : autant de noms de paroisses ou de lieux-dits qui montrent l’importance et l’implantation de cet arbre en Pays d’Auge.

Paniers en feuille de chêne

Son bois est toujours recherché pour les fabrications les plus nobles : les meubles, les parquets. Lors des enquêtes menées sur l’histoire des arbres et de leurs petits usages, les anciens ont aussi révélé : « On fabriquait les paniers à pommes avec la feuille de chêne. On prélevait de jeunes tiges sur des souches de chênes. Les brins étaient ensuite fendus et tressés. » Sainte-Marguerite-de-Viette

 « L’hiver, on donnait des glands à manger aux lapins, mais on prenait soin d’enlever la petite pointe au bout du gland. »  Grandmesnil

« Pendant la guerre, on a fait du café avec des glands grillés, mais ça donne un café amer. »

« Quand les veaux avaient la diarrhée, on allait chercher de l’écorce de chêne que l’on faisait chauffer       dans le lait. »  Ou bien :  « On faisait une tisane de tan de chêne que l’on donnait aux veaux qui avaient la diarrhée. » Saint-Georges-en-Auge

À la fin de l’année

« À la fin de l’année, le maître nous faisait cirer les tables d’école avec de la pomme de chêne. » Lisieux        La « pomme de chêne » n’est pas un fruit mais la gale provoquée par la ponte d’une petite guêpe, le      cynips, dans un rameau de chêne.

Le gland rouge

Mais ce fruit  peut être dangereux. En 2013, des chevaux et des bovins se sont intoxiqués pour en avoir trop mangé sous les haies. Les anciens racontent que le moment où il est le plus toxique, c’est au début du printemps « quand le gland est rouge »…

Un éleveur a perdu cinq bœufs qui avaient mangé des glands. L’autopsie du vétérinaire a indiqué que leurs intestins étaient complètement durcis par le tanin.

Aspérule odorante ou petit muguet

Étrange petite plante sauvage qui ne sent rien lorsqu’elle est fraîche et qu’il est nécessaire de laisser sécher pour en sentir le parfum. En redécouvrir les usages…

Sous les hêtres

L’aspérule odorante (Galium odoratum) est une plante discrète des sous-bois de feuillus. En forêt de Montpinçon (Calvados), elle pousse sous les hêtres et les chênes en touffes serrées. En mai, sa floraison est remarquable : ses petites fleurs blanches en étoile tapissent le pied des arbres.

Mais paradoxalement elle ne sent rien, ou presque, quand elle est fraîche. Son arôme se dégage lorsque l’on coupe la fleur et qu’elle commence de sécher. La plante dégage alors un parfum d’amande.

Muguet des armoires

Autrefois, en Basse-Normandie,  les fleurs et le feuillage séchés de l’aspérule étaient glissés en bouquets enveloppés de papier de soie entre les piles de linge rangées dans les  armoires pour éloigner les mites, d’où son nom de « muguet des armoires ». Le botaniste normand Louis-Alphonse de Brébisson ajoute, dans sa Flore de la Normandie en 1835, qu’il a entendu  qu’on l’appelait  « petit muguet ».

Elle fut tellement utilisée que les Normands l’ont cultivée au jardin. Culture facile à conduire.

En cuisine

Le chef cuisinier Jean-Marie Dumaine, originaire de Tinchebray, exerce ses talents en Allemagne. Il ne cuisine que les plantes sauvages. En 2012, pour son retour dans son pays natal, et avec la complicité de Montviette Nature, il avait préparé une délicieuse crème à l’aspérule. La veille, il avait parfumé le lait chaud en y  laissant, toute la nuit, des feuilles et des fleurs sèches d’aspérule. Le lendemain, après l’avoir égoutté, il avait préparé une crème aux œufs selon une recette traditionnelle.

Dangers et vertus de l’absinthe

Malgré sa mauvaise réputation, l’absinthe a été cultivée dans les jardins de Normandie, mais pour de curieux usages…

Au banc des accusées

En 1906, la Ligue nationale contre l’alcoolisme tempête contre l’usage de l’absinthe : « Elle rend fou et criminel, fait de l’homme une bête et menace l’avenir de notre temps. »

À la fin du XIXe siècle, la consommation abusive de l’absinthe distillée est responsable de formes de folie qui amènent les autorités à l’interdire à partir du 16 mars 1915.

Cette mesure restera en vigueur pendant 96 ans.

Et pourtant, pourtant…

Au  XIIe siècle, l’usage de la plante (Artemisia absinthium) était préconisé par sainte Hildegarde qui lui accordait de nombreuses vertus :                                   « Vin d’absinthe en friction sur la tête jusqu’au matin avec un bonnet de laine

Pour éclaircir les yeux, donner un élixir d’absinthe fait de vin cuit dans du miel et de jus d’absinthe

Troubles digestifs, hypertension

Inflammation des gencives : vin d’absinthe

Pommade contre l’arthrite faite de jus d’absinthe, de graisse de cerf et de bouc.  »

(Hildegarde de Bingen, Physica)

De même, le Livre des simples médecines publié au XIIe siècle recommande l’emploi de l’absinthe contre une douzaine de maux dont les vers du ventre, l’obstruction du foie et la jaunisse, les maux de tête, l’apoplexie…

Le comble est sans doute « contre l’ivresse, donner du jus d’absinthe avec du miel et de l’eau chaude ».

Elle est même appelée herbe sainte

Dans sa Flore populaire de la Normandie en  1887, Charles Joret mentionne le nom d’ « herbe sainte » à propos de l’absinthe dans la région de Condé-sur-Noireau.

Certaines femmes s’en servent de contraceptif. Parfois même, elle entre dans des préparations abortives avec la rue officinale.

On l’appelle aussi l’ « herbe aux vers ». Pour les adultes, les feuilles sont mises à macérer dans du vin blanc.

Aux enfants sujets aux vers, chaque printemps, on fait boire une tisane de feuilles. « J’ai le souvenir d’une boisson très amère », grimace Roland, qui s’était arrêté comme de nombreux visiteurs devant la plante au Jardin Conservatoire à Saint-Pierre-sur-Dives.

À la nouvelle lune…

Au Breuil-en-Auge, Geneviève s’en servait pour mettre ses poules à couver. Elle raconte : «  À la pleine lune, les œufs éclosent bien. Mais, à la nouvelle lune, ça s’en va en s’étiolant… Pour que la poule reste sur ses œufs, on mettait dessous, dans le nid, trois brins d’absinthe fraîche mais bien sèche, en étoile. Alors la poule reste bien sur ses œufs. Il ne faut pas en mettre plus : une fois j’ai mis plusieurs brins, ça l’a entêtée ; elle a laissé ses œufs… »

Pour une bonne couvée, les poussins doivent naître dans la journée, sinon la poule abandonne les derniers œufs à éclore.

On peut lire les ouvrages de Benoît Noël sur l’histoire de l’absinthe aux Éditions BVR.

Dans les bois la bourdaine

En lisière des bois, en Normandie, pousse un arbuste plutôt discret : la bourdaine. On a oublié tous les usages que les anciens en faisaient…

La bourdaine, Rhamnus frangula ou Frangula alnus, pousse en lisière des bois au sol frais.
En 1835, dans sa Flore populaire de Normandie, le botaniste Louis-Alphonse de Brébisson précise que « son bois fournit un charbon très estimé pour la fabrication de la poudre à canon ».

Dans l’Orne, les anciens l’appellent encore le « bois de rose », même si l’on a oublié depuis longtemps qu’au XVIIe siècle son écorce servait à obtenir une teinte rose. L’usage a disparu mais le nom est resté.

Dans les bois, il se reconnaît à son écorce brune marquée de points plus clairs et réguliers. Ses fleurs blanches donnent une petite cerise noire que les grands-mères allaient cueillir pour préparer une tisane pour aider à la digestion.

Feuilles et bois de bourdaine
Réparer les galoches

A l’occasion des enquêtes menées par Montviette Nature sur l’histoire des arbres en Pays d’Auge, Renée racontait qu’à Montpinçon « le père Clément, le menuisier du village, allait cueillir des branches de bourdaine dans les bois. Il en taillait des chevilles pour réparer la semelle de bois des galoches que portaient les enfants pour aller à l’école. » À Montviette, on se souvient encore que vers 1930 « un marchand de balais, le père Varin, fabriquait un onguent avec de l’écorce de bourdaine pour soulager des rhumatismes. Il le distribuait quand il venait vendre ses balais dans les fermes. »

Galoches conservées au Pin, Calvados
Ça affole les chevreuils

Au Renouard, Roland observait que « ça affole les chevreuils. Quand ils mangent les premières pousses de bourdaine et de bouleau, ils se mettent à gueuler. Ils viennent auprès des maisons… »

Aimer les mauvaises herbes

Celles que l’on appelle les « mauvaises herbes »  qui envahissent le jardin, celles dont on a tant de mal à se débarrasser pourraient-elles être aussi  des  alliées ?

C’est lorsqu’une plante peut être utile qu’on change son regard sur elle et qu’on peut enfin l’apprécier…

Orpin blanc
Pourpier sauvage
Roquette vivace
Roquette vivace
Aegopode panaché
Aspérule odorante
Origan
Des herbes à manger

On cueille les pissenlits au printemps pour préparer de délicieuses salades. Pourquoi ne pas y ajouter quelques brins d’orpin blanc ou « trique-madame »  qui colonise les murs et les rebords de toits,  ou  le   « poivre des murailles »  ? Ces deux petites plantes grasses servaient autrefois à agrémenter les salades. La première rosette des chardons se cuisine. En bord de mer, il est possible de récolter les jeunes feuilles de la roquette vivace. L’ail des ours est en train de faire sa place en grande cuisine ; pourtant c’est une « peste » qui envahit les espaces frais un peu ombragés comme entre Saint-Martin-de-la-Lieue et Lisieux. L’origan qui pousse sur les talus peut être adopté aussi pour parfumer les plats.  Le pourpier, considéré comme une mauvaise herbe des potagers, fait son retour en cuisine, en salade ou cuit comme l’épinard…

Des plantes remèdes

La guimauve, plante sauvage du littoral, était réputée pour soigner les maux de gorge. Le fenouil bâtard, plante vivace des bords de côte, était appelé «anis» et cultivé dans les jardins dans le sud du Pays d’Auge pour soigner les indigestions, aider à la montée de lait des mères et des nourrices.

Soigner ses bêtes

La tanaisie était ramassée et parfois cultivée dans les jardins, mais à l’écart pour ne pas être trop envahissante. Elle servait en litière dans la niche des chiens et  dans les poulaillers  pour chasser les puces et les tiques. Le petit géranium « herbe à Robert » était donné comme  fortifiant pour démarrer les poussins.  Les lapins en sont très friands.

Orner le jardin

Plutôt que de vouloir chasser à tout prix la ficaire aux petites étoiles jaunes des bordures, ne pourrait-on pas l’utiliser comme couvert sous les arbustes ?  Et pourquoi ne pas ramener au jardin l’aspérule odorante, petite plante forestière commune en Pays d’Auge ? Elle garnira le sol sous les arbustes et sera la bienvenue pour parfumer les laitages.
Quant à l’aegopode, peut-on lui trouver un peu de charme en accueillant la variété foliis variegatis, dite panachée, mise à l’honneur au XIXe siècle dans les rocailles et les grottes créées un peu partout dans les jardins de Normandie ?

Ce sujet a été mis à l’honneur au Garden en fête de Cabourg, les 16 et 17 avril 2016.

L’arbre aux chapelets

Les historiens estiment que l’usage du chapelet coïncide avec les débuts du culte à la Vierge Marie, probablement dès le Xe siècle.

Graines et gousses d'arbre aux chapelets
Histoire du chapelet

À l’origine, le chapelet est une couronne de fleurs appelée « chapel » ou petit chapeau. Cette couronne devient un objet religieux et se transforme. Le chapelet catholique est constitué de cinq dizaines de grains pour compter les Je vous salue Marie.
Dès le Moyen-âge, les chapelets sont fabriqués en perles de verre et le plus souvent en perles taillées dans des os de cheval. C’est le métier du patenostrier. Ces chapelets sont réservés aux paroissiens plutôt fortunés. Les pauvres doivent se contenter de matières peu chères. Ainsi, dans les couvents, on a cultivé un arbre sur lequel on récolte des graines qui sont ensuite enfilées.

Fleurs en grappe odorante, début mai
L’arbre aux chapelets

Selon de récentes recherches menées par des historiens, il semblerait que, dès le Xe siècle, et jusqu’au XIIIe siècle, des moines cisterciens établis en Hongrie aient rapporté le Staphylea pinnata, puis l’aient cultivé dans les monastères de l’est de la France (Publication de la Société des naturalistes luxembourgeois, 2000). Cette pratique se serait ensuite répandue dans l’ensemble du pays. Les graines récoltées fraîches au milieu de l’été servaient à fabriquer le chapelet des pauvres.

Les gousses de l'arbre aux chapelets

Au XVIe siècle, dans le Nouvel herbier des plantes qui croissent en Allemagne de Jérôme Bock, il est précisé à propos du staphylier : « On en  fait aussi des chapelets. »
Cette culture se répand ensuite un peu partout en France. En Pays d’Auge, nous en avons retrouvé des sujets dans des jardins à Moyaux, Grandmesnil, Saint-Martin-de-Fresnay. Un staphylier pousse dans la haie d’un herbage à Bavent…
Un arbre aux chapelets fleurit dans le jardin du moulin d’Argences et un autre au Jardin Conservatoire à Saint-Pierre-sur-Dives.
Cet arbuste de deux à cinq mètres est spontané en Alsace et dans le nord du Jura. Au jardin,  il se multiplie facilement par semis ou drageons. Début mai, ses fleurs  en bouquets blancs embaument les parterres.
Dès le XVIe siècle, différents ouvrages de botanique signalent l’usage des graines de staphylier pour la fabrication de chapelets. (D’après F. Geissert,  Bulletin de l’association des Amis du jardin botanique de Saverne, 2001, p. 21-25)

Vers 1850, Arthème Pannier note dans un de ses carnets conservés à la société historique de Lisieux la présence d'un staphylier.
Les graines sont récoltées début juillet