Archives pour la catégorie Plantes à usages

Les épines

En Normandie, l’aubépine partage avec le prunellier le nom d’ « épinette », qui désigne un buisson épineux.

Les épines servent à « clore » 

Les épines étaient utilisées pour clôturer les haies. Dans sa délibération du 23 décembre 1859, le conseil municipal de Saint-Pierre-sur-Dives fixe les « tarifs des droits à percevoir sur le marché, sous les halles, dans les rues et places publiques de la ville, soit 0,40 franc par 6 mètres de terrain occupé, ou censé l’être, par chaque charretée d’épine noire pour la clôture des haies… ».

A Montviette, un chemin creux qui part du bourg et monte vers le plateau s’appelle le « chemin de l’Épinette ».

Le tour des mares doit être infranchissable

La plupart des mares qui ont été creusées sur les plateaux du Pays d’Auge ont été protégées par des épineux. On les appelle les « mares closes ». L’arbuste le plus fréquemment planté est le prunellier, mais on rencontre aussi de l’aubépine. Sur le bord du chemin, la haie doit être impénétrable.

Autrefois, la haie fixait la limite de la propriété de la parcelle, mais il arrivait qu’un seul pied d’épine suffise à la borner.

Son bois très dur était utilisé par les tourneurs pour confectionner de la vaisselle en bois.

L’épine blanche et l’épine noire

L’épine noire n’est autre que le prunellier (Prunus spinosa) aux dards extrêmement piquants.

Elle est en fleur dès le mois de mars, tandis que l’épine blanche fleurit en mai. On dit que « quand l’épine blanche fleurit, le froid revient ».

Photo Rodolphe Murie
L’épine à la Vierge

L’aubépine (Crataegus laevigata et Crataegus monogyna) est un arbre consacré à la Vierge, appelé aussi « épine à la Vierge ». Il  était planté près des lavoirs. Les mères y  mettaient à égoutter les linges des nouveau-nés afin de les protéger.

Près de Saint-Pierre-sur-Dives, pour le traitement des rhumatismes, on recommandait de « frictionner l’articulation douloureuse avec des fleurs d’aubépine ».

Au Mesnil-Durand, le fruit de l’ « épine blanche », préparé en confiture, soignait la bronchite.

L’Épine à la dame

Un arbre appelé l’ « Épine à la dame » est toujours visible à la sortie du village de Préaux-Saint-Sébastien pour rappeler un drame survenu ici au milieu du XVIIe siècle. Dans l’église, une plaque rappelle également cet événement tragique. À l’issue du pèlerinage à Préaux-Saint-Sébastien, deux groupes de pèlerins  quittaient l’église. Mais  l’un voulut devancer l’autre. Dans la mêlée qui s’ensuivit, un homme de la procession de Falaise provoqua la mort d’une femme de la procession de Ticheville.

Le tribunal ecclésiastique décida que la ville de Falaise ne viendrait plus à Préaux, mais qu’elle enverrait chaque année, en réparation, une délégation de bourgeois et de deux prêtres. Ils s’arrêteraient devant l’épine plantée à l’endroit de la tragédie, sans aller plus loin.

Dans les jardins et les parcs fleurit l’épine rose parfois double…

Choux normands

À la fin du XIXe siècle, la terre normande a vu se créer de nombreuses variétés de légumes parfaitement adaptés aux conditions climatiques. Les choux y ont eu la meilleure part. Que sont devenues ces variétés  locales ?

Chou grappé de Cherbourg

Chou grappé de Cherbourg, chou prompt de Tourlaville, chou pommé de Mortagne blanc,  Milan très hâtif de Caen, hâtif de Dieppe, pommé de Tinchebray, de Mortagne à côtes violacées… Peut-on encore espérer retrouver quelques-unes de ces variétés ?

Des passionnés de jardin et de patrimoine se sont lancés dans cette aventure. À ce jour  ont été retrouvés le Tourlaville, le chou pommé de Louviers et un chou d’Ouessant qui pourrait être le « palmier du Bocage » cité par Jules Lecœur.

En Seine-Maritime, Gérard Mallet a su conserver l’imposant chou de Saint-Saëns.

Nous avons retrouvé les catalogues de cultivateurs grainiers :

  • René Guesdon, successeur Bazin-Simon, à Sourdeval-la-Barre
  • A. Lenormand puis I. Sénécal  à Caen
  • E. Rosette à Caen
  • André Heusse, successeur maison Bassière, à Lisieux
Catalogue Guesdon (Bazin-Simon), Sourdeval-la-Barre, 1924 :
  • Chou grappé de Cherbourg
  • Chou prompt de Tourlaville, très hâtif, graine cultivée dans la Manche
  • Chou pommé de Mortagne blanc
  • Chou pommé de la Trappe gros
  • Chou pommé de Tinchebray
  • Chou de Mortagne à côtes violacées
  • Chou  Milan très hâtif d’Avranches
  • Chou  Milan très hâtif de Caen
  • Chou Milan hâtif de Dieppe
  • Chou Milan pied court d’hiver de la Manche
  • Chou-fleur dur de Cherbourg
Catalogue  A. Lenormand, Caen, 1909 :
  • Chou pommé  blanc de Tourlaville, (vrai)
  • Très hâtif  ‘Lemarchand’, obtenu par M. Lemarchand, l’un de nos principaux cultivateurs maraîchers, qui le cultive en très grandes quantités et en plein champ
  • Chou grappé de Cherbourg
  • Chou pommé tardif gros, pied court de la Manche
  • Chou Milan gros, pied court de Caen, hâtif, extra
  • Chou Milan ordinaire, pied court de Caen, hâtif, extra
Catalogue  E. Rosette, Caen, 1928 :
  • Chou cabus précoce de Tourlaville (variété très cultivée en Normandie pour la production de printemps)
  • Trois choux de deuxième et d’arrière-saison : grappé de Cherbourg, pomme moyenne, excellente variété à planter serré ; de Mortagne, variété à grand rendement, très cultivée en Normandie ; chou pommé tardif de la Manche
  • Chou de Milan court hâtif de Caen, très bonne variété un peu hâtive, craint un peu les gelées
  • Chou de Milan ordinaire de Caen, variété très recommandable, pomme moyenne dure, de bonne qualité, résiste bien au froid
  • Chou brocolis tardif de Caen, pomme énorme,  se récolte en mai
Catalogue  André Heusse ( succ. maison Bassière), Lisieux, 1937 :
  • Chou  Milan d’Avranches
  • Chou pommé de Louviers extra, récolte de Louviers, (vrai)
  • Chou pommé de Tourlaville, (vrai) extra
  • Chou grappé de Cherbourg
  • Chou pommé tardif Mortagne, extra
  • Chou pommé tardif de la Trappe
  • Chou pommé du Pin
  • Chou de Milan ou pommé frisé d’Avranches, hâtif
  • Chou de Milan ou pommé frisé de Caen, extra
Catalogue Le Paysan, 1947 :
  • Chou très hâtif de Louviers (variété se rapprochant du chou Cœur de bœuf moyen mais à pomme plus large et plus arrondie, un peu moins précoce)
  • Chou pommé précoce  de Tourlaville (Prompt de Caen). Variété à pomme assez haute. Convient pour la culture de primeurs précoce et vigoureuse
  • Chou Cœur de bœuf gros, chou de Cherbourg, chou grand-père
  • Chou  de Mortagne blanc. Pied court, belle grosse pomme aplatie et blanche
Graines Caillard , Vimoutiers, 1937 :
  • Chou de Mortagne blanc
  • Chou de Tourlaville
Petit traité pratique de culture potagère, N.J. Prévost, Rouen, 1854, le chou de Quevilly, Bibliothèque de la SNHF
Culture de choux verts :  chou canne  et chou bouture 

 « Le chou cavalier, ou chou en arbre, peut atteindre jusqu’à deux mètres de hauteur. C’est avec la tige de cette variété que l’on fait les Cannes de Chou, de vente courante à Jersey et sur le littoral de la Normandie. » (Désiré Bois,  Les plantes alimentaires chez tous les peuples et à travers les âges,  Histoire, utilisation, culture, Vol. I, Paul Lechevalier, Paris, 1927)

Dans l’Orne, on cultive un chou cavalier, le « chou canne ». Les feuilles sont données à manger aux lapins. La tige est courbée, puis séchée pour en faire une canne solide et durable.

« Les choux verts sont demeurés le légume favori du paysan et de bien des citadins. Hauts souvent de plus de six pieds, leurs feuilles vert tendre, où la pluie et la rosée sèment des perles d’argent, s’épanouissent en panache au sommet du tronc élancé, comme celles d’un palmier. De là sans doute le nom de palmiers du Bocage qu’on leur a donné. Il n’est pas un jardin qui n’en ait de larges carrés ; chaque jour, soir et matin, la ménagère les plume pour la soupe, pour l’abreuvée des bestiaux et des porcs, qui les mangent crus, mincés et mêlés à l’eau de son et de farine. » (Jules Lecœur, Esquisses du bocage normand, 1883)

Dans les jardins du Pays d’Auge, on cultivait deux espèces de chou perpétuel qui fournissaient toute l’année des pousses bien vertes : le « chou bouture » à feuilles lisses appelé aussi « chou des familles » et le « chou bouture »  à feuilles frisées.

Chêne et gland

Les chênes produisent des glands dont on se servait pour nourrir les bêtes. Mais, attention, ils peuvent aussi être dangereux… 

Le Quesnay

Le Quesnay, Rouvres,  le Chêne au loup  et le Chêne à la Vierge  à Marolles : autant de noms de paroisses ou de lieux-dits qui montrent l’importance et l’implantation de cet arbre en Pays d’Auge.

Paniers en feuille de chêne

Son bois est toujours recherché pour les fabrications les plus nobles : les meubles, les parquets. Lors des enquêtes menées sur l’histoire des arbres et de leurs petits usages, les anciens ont aussi révélé : « On fabriquait les paniers à pommes avec la feuille de chêne. On prélevait de jeunes tiges sur des souches de chênes. Les brins étaient ensuite fendus et tressés. » Sainte-Marguerite-de-Viette

 « L’hiver, on donnait des glands à manger aux lapins, mais on prenait soin d’enlever la petite pointe au bout du gland. »  Grandmesnil

« Pendant la guerre, on a fait du café avec des glands grillés, mais ça donne un café amer. »

« Quand les veaux avaient la diarrhée, on allait chercher de l’écorce de chêne que l’on faisait chauffer       dans le lait. »  Ou bien :  « On faisait une tisane de tan de chêne que l’on donnait aux veaux qui avaient la diarrhée. » Saint-Georges-en-Auge

À la fin de l’année

« À la fin de l’année, le maître nous faisait cirer les tables d’école avec de la pomme de chêne. » Lisieux        La « pomme de chêne » n’est pas un fruit mais la gale provoquée par la ponte d’une petite guêpe, le      cynips, dans un rameau de chêne.

Le gland rouge

Mais ce fruit  peut être dangereux. En 2013, des chevaux et des bovins se sont intoxiqués pour en avoir trop mangé sous les haies. Les anciens racontent que le moment où il est le plus toxique, c’est au début du printemps « quand le gland est rouge »…

Un éleveur a perdu cinq bœufs qui avaient mangé des glands. L’autopsie du vétérinaire a indiqué que leurs intestins étaient complètement durcis par le tanin.

Aspérule odorante ou petit muguet

Étrange petite plante sauvage qui ne sent rien lorsqu’elle est fraîche et qu’il est nécessaire de laisser sécher pour en sentir le parfum. En redécouvrir les usages…

Sous les hêtres

L’aspérule odorante (Galium odoratum) est une plante discrète des sous-bois de feuillus. En forêt de Montpinçon (Calvados), elle pousse sous les hêtres et les chênes en touffes serrées. En mai, sa floraison est remarquable : ses petites fleurs blanches en étoile tapissent le pied des arbres.

Mais paradoxalement elle ne sent rien, ou presque, quand elle est fraîche. Son arôme se dégage lorsque l’on coupe la fleur et qu’elle commence de sécher. La plante dégage alors un parfum d’amande.

Muguet des armoires

Autrefois, en Basse-Normandie,  les fleurs et le feuillage séchés de l’aspérule étaient glissés en bouquets enveloppés de papier de soie entre les piles de linge rangées dans les  armoires pour éloigner les mites, d’où son nom de « muguet des armoires ». Le botaniste normand Louis-Alphonse de Brébisson ajoute, dans sa Flore de la Normandie en 1835, qu’il a entendu  qu’on l’appelait  « petit muguet ».

Elle fut tellement utilisée que les Normands l’ont cultivée au jardin. Culture facile à conduire.

En cuisine

Le chef cuisinier Jean-Marie Dumaine, originaire de Tinchebray, exerce ses talents en Allemagne. Il ne cuisine que les plantes sauvages. En 2012, pour son retour dans son pays natal, et avec la complicité de Montviette Nature, il avait préparé une délicieuse crème à l’aspérule. La veille, il avait parfumé le lait chaud en y  laissant, toute la nuit, des feuilles et des fleurs sèches d’aspérule. Le lendemain, après l’avoir égoutté, il avait préparé une crème aux œufs selon une recette traditionnelle.

Dangers et vertus de l’absinthe

Malgré sa mauvaise réputation, l’absinthe a été cultivée dans les jardins de Normandie, mais pour de curieux usages…

Au banc des accusées

En 1906, la Ligue nationale contre l’alcoolisme tempête contre l’usage de l’absinthe : « Elle rend fou et criminel, fait de l’homme une bête et menace l’avenir de notre temps. »

À la fin du XIXe siècle, la consommation abusive de l’absinthe distillée est responsable de formes de folie qui amènent les autorités à l’interdire à partir du 16 mars 1915.

Cette mesure restera en vigueur pendant 96 ans.

Et pourtant, pourtant…

Au  XIIe siècle, l’usage de la plante (Artemisia absinthium) était préconisé par sainte Hildegarde qui lui accordait de nombreuses vertus :                                   « Vin d’absinthe en friction sur la tête jusqu’au matin avec un bonnet de laine

Pour éclaircir les yeux, donner un élixir d’absinthe fait de vin cuit dans du miel et de jus d’absinthe

Troubles digestifs, hypertension

Inflammation des gencives : vin d’absinthe

Pommade contre l’arthrite faite de jus d’absinthe, de graisse de cerf et de bouc.  »

(Hildegarde de Bingen, Physica)

De même, le Livre des simples médecines publié au XIIe siècle recommande l’emploi de l’absinthe contre une douzaine de maux dont les vers du ventre, l’obstruction du foie et la jaunisse, les maux de tête, l’apoplexie…

Le comble est sans doute « contre l’ivresse, donner du jus d’absinthe avec du miel et de l’eau chaude ».

Elle est même appelée herbe sainte

Dans sa Flore populaire de la Normandie en  1887, Charles Joret mentionne le nom d’ « herbe sainte » à propos de l’absinthe dans la région de Condé-sur-Noireau.

Certaines femmes s’en servent de contraceptif. Parfois même, elle entre dans des préparations abortives avec la rue officinale.

On l’appelle aussi l’ « herbe aux vers ». Pour les adultes, les feuilles sont mises à macérer dans du vin blanc.

Aux enfants sujets aux vers, chaque printemps, on fait boire une tisane de feuilles. « J’ai le souvenir d’une boisson très amère », grimace Roland, qui s’était arrêté comme de nombreux visiteurs devant la plante au Jardin Conservatoire à Saint-Pierre-sur-Dives.

À la nouvelle lune…

Au Breuil-en-Auge, Geneviève s’en servait pour mettre ses poules à couver. Elle raconte : «  À la pleine lune, les œufs éclosent bien. Mais, à la nouvelle lune, ça s’en va en s’étiolant… Pour que la poule reste sur ses œufs, on mettait dessous, dans le nid, trois brins d’absinthe fraîche mais bien sèche, en étoile. Alors la poule reste bien sur ses œufs. Il ne faut pas en mettre plus : une fois j’ai mis plusieurs brins, ça l’a entêtée ; elle a laissé ses œufs… »

Pour une bonne couvée, les poussins doivent naître dans la journée, sinon la poule abandonne les derniers œufs à éclore.

On peut lire les ouvrages de Benoît Noël sur l’histoire de l’absinthe aux Éditions BVR.

Dans les bois la bourdaine

En lisière des bois, en Normandie, pousse un arbuste plutôt discret : la bourdaine. On a oublié tous les usages que les anciens en faisaient…

La bourdaine, Rhamnus frangula ou Frangula alnus, pousse en lisière des bois au sol frais.
En 1835, dans sa Flore populaire de Normandie, le botaniste Louis-Alphonse de Brébisson précise que « son bois fournit un charbon très estimé pour la fabrication de la poudre à canon ».

Dans l’Orne, les anciens l’appellent encore le « bois de rose », même si l’on a oublié depuis longtemps qu’au XVIIe siècle son écorce servait à obtenir une teinte rose. L’usage a disparu mais le nom est resté.

Dans les bois, il se reconnaît à son écorce brune marquée de points plus clairs et réguliers. Ses fleurs blanches donnent une petite cerise noire que les grands-mères allaient cueillir pour préparer une tisane pour aider à la digestion.

Feuilles et bois de bourdaine
Réparer les galoches

A l’occasion des enquêtes menées par Montviette Nature sur l’histoire des arbres en Pays d’Auge, Renée racontait qu’à Montpinçon « le père Clément, le menuisier du village, allait cueillir des branches de bourdaine dans les bois. Il en taillait des chevilles pour réparer la semelle de bois des galoches que portaient les enfants pour aller à l’école. » À Montviette, on se souvient encore que vers 1930 « un marchand de balais, le père Varin, fabriquait un onguent avec de l’écorce de bourdaine pour soulager des rhumatismes. Il le distribuait quand il venait vendre ses balais dans les fermes. »

Galoches conservées au Pin, Calvados
Ça affole les chevreuils

Au Renouard, Roland observait que « ça affole les chevreuils. Quand ils mangent les premières pousses de bourdaine et de bouleau, ils se mettent à gueuler. Ils viennent auprès des maisons… »

Aimer les mauvaises herbes

Celles que l’on appelle les « mauvaises herbes »  qui envahissent le jardin, celles dont on a tant de mal à se débarrasser pourraient-elles être aussi  des  alliées ?

C’est lorsqu’une plante peut être utile qu’on change son regard sur elle et qu’on peut enfin l’apprécier…

Orpin blanc
Pourpier sauvage
Roquette vivace
Roquette vivace
Aegopode panaché
Aspérule odorante
Origan
Des herbes à manger

On cueille les pissenlits au printemps pour préparer de délicieuses salades. Pourquoi ne pas y ajouter quelques brins d’orpin blanc ou « trique-madame »  qui colonise les murs et les rebords de toits,  ou  le   « poivre des murailles »  ? Ces deux petites plantes grasses servaient autrefois à agrémenter les salades. La première rosette des chardons se cuisine. En bord de mer, il est possible de récolter les jeunes feuilles de la roquette vivace. L’ail des ours est en train de faire sa place en grande cuisine ; pourtant c’est une « peste » qui envahit les espaces frais un peu ombragés comme entre Saint-Martin-de-la-Lieue et Lisieux. L’origan qui pousse sur les talus peut être adopté aussi pour parfumer les plats.  Le pourpier, considéré comme une mauvaise herbe des potagers, fait son retour en cuisine, en salade ou cuit comme l’épinard…

Des plantes remèdes

La guimauve, plante sauvage du littoral, était réputée pour soigner les maux de gorge. Le fenouil bâtard, plante vivace des bords de côte, était appelé «anis» et cultivé dans les jardins dans le sud du Pays d’Auge pour soigner les indigestions, aider à la montée de lait des mères et des nourrices.

Soigner ses bêtes

La tanaisie était ramassée et parfois cultivée dans les jardins, mais à l’écart pour ne pas être trop envahissante. Elle servait en litière dans la niche des chiens et  dans les poulaillers  pour chasser les puces et les tiques. Le petit géranium « herbe à Robert » était donné comme  fortifiant pour démarrer les poussins.  Les lapins en sont très friands.

Orner le jardin

Plutôt que de vouloir chasser à tout prix la ficaire aux petites étoiles jaunes des bordures, ne pourrait-on pas l’utiliser comme couvert sous les arbustes ?  Et pourquoi ne pas ramener au jardin l’aspérule odorante, petite plante forestière commune en Pays d’Auge ? Elle garnira le sol sous les arbustes et sera la bienvenue pour parfumer les laitages.
Quant à l’aegopode, peut-on lui trouver un peu de charme en accueillant la variété foliis variegatis, dite panachée, mise à l’honneur au XIXe siècle dans les rocailles et les grottes créées un peu partout dans les jardins de Normandie ?

Ce sujet a été mis à l’honneur au Garden en fête de Cabourg, les 16 et 17 avril 2016.

L’arbre aux chapelets

Les historiens estiment que l’usage du chapelet coïncide avec les débuts du culte à la Vierge Marie, probablement dès le Xe siècle.

Graines et gousses d'arbre aux chapelets
Histoire du chapelet

À l’origine, le chapelet est une couronne de fleurs appelée « chapel » ou petit chapeau. Cette couronne devient un objet religieux et se transforme. Le chapelet catholique est constitué de cinq dizaines de grains pour compter les Je vous salue Marie.
Dès le Moyen-âge, les chapelets sont fabriqués en perles de verre et le plus souvent en perles taillées dans des os de cheval. C’est le métier du patenostrier. Ces chapelets sont réservés aux paroissiens plutôt fortunés. Les pauvres doivent se contenter de matières peu chères. Ainsi, dans les couvents, on a cultivé un arbre sur lequel on récolte des graines qui sont ensuite enfilées.

Fleurs en grappe odorante, début mai
L’arbre aux chapelets

Selon de récentes recherches menées par des historiens, il semblerait que, dès le Xe siècle, et jusqu’au XIIIe siècle, des moines cisterciens établis en Hongrie aient rapporté le Staphylea pinnata, puis l’aient cultivé dans les monastères de l’est de la France (Publication de la Société des naturalistes luxembourgeois, 2000). Cette pratique se serait ensuite répandue dans l’ensemble du pays. Les graines récoltées fraîches au milieu de l’été servaient à fabriquer le chapelet des pauvres.

Les gousses de l'arbre aux chapelets

Au XVIe siècle, dans le Nouvel herbier des plantes qui croissent en Allemagne de Jérôme Bock, il est précisé à propos du staphylier : « On en  fait aussi des chapelets. »
Cette culture se répand ensuite un peu partout en France. En Pays d’Auge, nous en avons retrouvé des sujets dans des jardins à Moyaux, Grandmesnil, Saint-Martin-de-Fresnay. Un staphylier pousse dans la haie d’un herbage à Bavent…
Un arbre aux chapelets fleurit dans le jardin du moulin d’Argences et un autre au Jardin Conservatoire à Saint-Pierre-sur-Dives.
Cet arbuste de deux à cinq mètres est spontané en Alsace et dans le nord du Jura. Au jardin,  il se multiplie facilement par semis ou drageons. Début mai, ses fleurs  en bouquets blancs embaument les parterres.
Dès le XVIe siècle, différents ouvrages de botanique signalent l’usage des graines de staphylier pour la fabrication de chapelets. (D’après F. Geissert,  Bulletin de l’association des Amis du jardin botanique de Saverne, 2001, p. 21-25)

Vers 1850, Arthème Pannier note dans un de ses carnets conservés à la société historique de Lisieux la présence d'un staphylier.
Les graines sont récoltées début juillet

Bardane : peste ou salvatrice ?

La bardane est ce que, dans un jardin ou dans  une prairie,  on appelle une « peste », autrement dit une invasive, une plante dont les jardiniers et les cultivateurs essaient de se débarrasser. Pourtant elle peut avoir des atouts… 

Ou capitanou…

La bardane est une grande plante avec laquelle jouent les enfants. Ils l’appellent « capitanou » ou « capitagneux ». Elle pousse dans les terrains abandonnés, envahit les décombres. Les feuilles de l’Arctium lappa sont très larges, duveteuses et même un peu poisseuses. La fleur d’un violet rose ressemble à celle du chardon ; elle est équipée de fins crochets. C’est cette partie de la plante qu’affectionnent particulièrement les enfants. Lancée sur les vêtements de leurs petits camarades, la fleur y reste solidement attachée. Et gare quand elle s’accroche dans les cheveux !…

Herbe aux puces
Faut-il vraiment s’en débarrasser ?

La bardane colonise les espaces qu’elle occupe. C’est une plante difficile à arracher car sa racine est profonde. Ses graines se sèment tout alentour et sont transportées au plus loin par les animaux qui l’emmènent dans leurs poils ou leur laine…
Mais elle n’est peut-être pas qu’une peste, car sa racine brune à chair blanche se consomme : on en a mangé pendant la guerre et d’autres périodes de famine plus anciennes. Une espèce est cultivée et très appréciée au Japon, le gobo.

Sauvée par la bardane

Et puis, nous avons recueilli cette histoire à l’occasion d’une visite au Jardin Conservatoire de Saint-Pierre-sur-Dives. Un garde-chasse de la région de Falaise raconte qu’un jour il se promenait avec sa chienne. Soudain, une vipère a jailli d’un talus et a mordu la chienne à la patte. Désemparé, il s’est souvenu avoir entendu qu’il fallait trouver de la bardane et frotter la morsure avec le jus pressé de la feuille. Ce qu’il a fait. Il dit avoir ainsi sauvé sa chienne…

Cocos normands

Le haricot, rapporté par les conquistadors, est introduit assez tard en Europe du Nord. À la fin du XIXe siècle, des variétés normandes font leur apparition sur les marchés, comme le ‘Coco de Pont-Audemer’…

Les « pois de mai »

Au XVIIIe siècle, deux siècles après leur découverte par les conquistadors, les Normands adoptent ces légumineuses qui ressemblent fort aux pois et aux fèves qu’ils consommaient depuis toujours… Ainsi, les premiers haricots cultivés en Normandie sont appelés « pés » ou « pois de mai » et parfois « fèves ». Ferdinand Gidon, médecin à Caen, a mené des recherches sur l’origine des plantes alimentaires en Normandie. Dans ses « Notes pour l’archéologie de l’alimentation » publiées en 1936 (Bulletin de la Société des antiquaires de Normandie), il écrit : « Le haricot décrit par Albert Legrand au Moyen-âge était en France du Nord et en Allemagne une forme naine de Dolichos ou Vigna appelées fèves à visage, fèves peintes, cultivées jusqu’à l’arrivée en Europe du haricot (Phaseolus) rapporté par Christophe Colomb. Mais le nom de haricot est étranger au dialecte normand. »

Le 'Soissons' à rames
Coco de Pont-Audemer

Les premiers haricots introduits sont à rames et se mangent secs ou demi-secs. Leur gousse est dure et parcheminée et ne se consomme pas. Le type même en est la variété ‘Soissons’. Puis les haricots ont évolué : les grains deviennent plus fins et apparaissent les variétés « de pied », naines. Au début du XXe siècle, on trouve sur les marchés des variétés locales dont la généalogie n’a pas été déterminée : le ‘Coco de Caen’ ou le ‘Pont-Audemer’…

Le 'Coco de Pont-Audemer'

En 1937, la Maison André Heusse, rue Pont-Mortain à Lisieux, propose aux jardiniers un ‘Haricot prolifique de Lisieux’ et le ‘Coco de Caen’.
Jusqu’en 1960, les jardiniers de l’Eure et de Lisieux ont cultivé le ‘Coco de Pont-Audemer’.

Claude Mesnil, président de la Société d’horticulture de Lisieux jusqu’en 2014 et maraîcher à la retraite, se souvient : « On était des producteurs de ceinture. Nos terres étaient juste à la sortie de la ville. Le ‘Pont-Audemer’, c’était un fameux haricot, on le cultivait sur nos terres, rue Roger Aini et ensuite au Breuil-en-Auge. À la fin de l’été, on le vendait sur les marchés de Lisieux et de Cabourg. » Et Claude ajoute que pour la récolte  « il y avait des tâcherons, des cueilleurs qui faisaient les vendanges, la saison en montagne, les cueillettes de cerises, de fraises, de fruits. Ils arrivaient en voiture avec leur caravane. Ils cueillaient les haricots. »

Claude Mesnil, maraîcher à Lisieux, trie ses cocos

À Condé-sur-Noireau, à l’occasion d’une conférence à la médiathèque,  un jardinier âgé a envoyé son fils remettre à Montviette Nature le ‘Coco de la Passion’ « pour qu’il ne soit pas perdu ».

Il est aujourd’hui cultivé et remis dans le circuit des échanges…

Retrouver la recette ?

Un jardinier raconte : « À Saint-Julien-sur-Calonne, on cultivait le haricot ‘Saint-Marc’. On le semait le jour de la Saint-Marc, le 25 avril. Ce haricot était proche de la variété ‘Pont-Audemer’… »

Un soir, à la fermeture du Jardin Conservatoire à Saint-Pierre-sur-Dives, une famille apporta une boîte contenant des haricots. Des cocos. Ils se souvenaient : « Lorsque l’on était enfants, on allait chez notre grand-mère, près d’Orbec. Elle nous servait une tarte aux cocos. On n’en connaît pas la recette… »